Kassé Mady Diabaté est mort le 24 mai, à l’âge de 69 ans. Le griot issu de la tradition mandingue portait haut cet art multiséculaire, au point d’être qualifié de “baobab de la musique malienne” par le président Ibrahim Boubacar Keïta.
Kassé Mady Diabaté avait pour destin de faire pleurer les âmes avec sa voix. C’était un don, qui lui a été reconnu à l’âge de 7 ans, quand le jeune Mady (diminutif de Mohammed) chantait tout en paissant son troupeau dans la région malienne du Kangaba, au cœur du foyer historique de la communauté mandingue, près de la frontière guinéenne, là où s’écoulent les premières eaux du fleuve Niger. Le surnom de “Kassé”, qui dérive d’un mot signifiant “pleurer”, lui a été attribué en reconnaissance de ce timbre si particulier, ce grain dans la voix qui charrie la mélancolie. Kassé Mady Diabaté, décédé le 24 mai à l’âge de 69 ans, a été inhumé samedi 26, à Bamako, en présence du président malien Ibrahim Boubacar Keïta.
Sa famille disait que le don de Kassé Mady Diabaté lui avait été légué par un autre “Kassé Mady”, son grand-père Bintoufama Diabaté, qui avait acquis le titre suprême de “Djeli Fama”. Il le tenait aussi de sa tante, Siramory Diabaté, griote très respectée. Il est rare de trouver une personne qui incarne “la plus haute tradition du chant griotique, sachant restituer certains classiques comme à l’instant magique de leurs naissances”, écrit très justement Francis Dordor sur le site des Inrocks, qui avait rencontré le griot à Bamako et l’avait entendu dans un petit bar de la ville, à l’Akwaba. “C’est dans le rayonnement de cette voix que nous avions soudain compris l’important de cette tradition griotique qui dépasse toutes les conceptions de l’art musical en vigueur. Kassé Mady [Diabaté], plus qu’un banal chanteur, était l’un des plus généreux dispensateur d’harmonie que le Mali et l’Afrique ait jamais connu.”
Peut-être parce que son véritable don de conteur s’imposait lorsqu’il chantait au centre de ces petites formations musicales qui s’improvisent dans les cours des maisons ou dans les petits bars le soir à Bamako, l’aura de Kassé Mady Diabaté a surtout été reconnue au Mali, et n’a que peu rejailli sur les scènes internationales. À la différence d’un autre griot de caste, Salif Keïta, né lui aussi en 1949, et dont la voix d’or sera l’ambassadeur mondial de la culture mandingue. On disait Kassé Mady Diabaté trop timide, laissant filer les opportunités. L’humilité sera pourtant l’une de ses qualités premières, celle qui l’a toujours ramené au cœur de son métier, qui est, selon l’adage, de propager la sagesse par les contes et le chant.
Fusions et défusions
La carrière de Kassé Mady Diabaté débute au sein de “La Maravillas du Mali”, un orchestre très influencé par un voyage effectué à Cuba dans les années 1960 par plusieurs musiciens aux frais de la jeune présidence socialiste malienne, qui s’enthousiasmait pour l’aventure politique, économique et culturelle initiée par Castro. “Il y avait un tel engouement pour la musique cubaine que le groupe avait pris un nom espagnol”, se souvenait Kassé Mady Diabaté. La formation prend ensuite le nom de “National Badema du Mali”, orchestre officiel du pays. Kassé Mady Diabaté est alors un chanteur fonctionnaire au service de Bamako.
Ce n’est qu’à l’approche de la quarantaine que le griot se lance dans deux albums solo, intitulés “Fodé”, puis “Kéla”, et donne des concerts en France. Il accorde alors une interview à RFI, dans laquelle il considère être “encore très jeune”, “pense avoir beaucoup d’avenir dans la musique”. Il dit aussi avoir reçu la bénédiction des griots avant de partir, et s’engage à “envoyer au village” l’argent qu’il aura gagné en Europe.
Kassé Mady Diabaté avait intégré très tôt les riches métissages de l’afro-cubanisme, et la curiosité pour le “world beat” le pousse, au gré des années 1990, dans un métissage flamenco avec le projet “Songhai 2”. Il s’aventurera même sur les rives du blues, à l’invitation de Taj Mahal. Partout où il passe, quels que soient les rythmes soutenant sa voix, l’art griot reste un ancrage. Après des années de silence, il convainc un label mexicain d’installer des micros dans son village de Kela, au bord du fleuve Niger, et de les mêler à des enregistrements faits à Cuba, pour un émouvant disque “Mande Music from Mali”, sorti en 2003. Puis la complicité avec Cheick Tidiane Seck lui permet de sortir un autre album solo, “Manden Djeli Kan”, enregistré au studio Bogolan à Bamako.
Mais son destin apparaît contrarié, non seulement par le peu de reconnaissance internationale, mais aussi par le tarissement des occasions de se produire au Mali – et donc de gagner son pain –, puisque sur la dernière décennie, les mariages, les enterrements ou les circoncisions sont contraints à la plus grande discrétion, état d’urgence et guerre contre les jihadistes obligent.
“Magicien”
Heureusement pour les amoureux de la plus belle voix du Mali, le violoncelliste français Vincent Ségal a l’idée, aidé par son complice et joueur de kora, le Malien Ballaké Sissoko, d’inviter le chanteur malien à enregistrer au milieu d’un petit orchestre, dans les conditions d’un concert, dans une cour de maison, sans casque et sans “overdub”, cette pratique de superposition des instrumentations, piste par piste. Le label “No Format” produit cette pépite en 2014, intitulée “Kiriké” (en écoute intégrale ici).
L’orchestration, tissée de balafon, de kora, de violoncelle et de ngoni, se révèle aussi délicate que les intonations de Kassé Mady Diabaté. Le griot peut déployer son savoir multiséculaire de conteur, improviser des mélismes raffinés, donner à entendre les nuances d’une voix qu’il ne force jamais. “Sa voix est musique”, témoigne Vincent Ségal. “Rien n’est écrit, tout juste répète-t-il parfois à mots bas, le texte à venir avant de l’interpréter sans faille. C’est un magicien.” Et rarement le violoncelle, instrument que l’on dit si proche de la voix, a été autant en symbiose avec un chant d’homme.
Source: france24