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Karim Wade, Simone Gbagbo: le glaive sans la balance

Le verdict, épilogue de huit mois d’une procédure chaotique, est donc tombé comme annoncé ce lundi : reconnu coupable d’ « enrichissement illicite », Karim Wade a été condamné ce lundi à six ans de prison ferme, ainsi qu’à une amende d’environ 210 millions d’euros. Peine en-deçà des réquisitions du Parquet, qui réclamait un septennat de réclusion, 380 millions, la confiscation des biens de l’intéressé et la privation de ses droits civiques.

fils ancien president senegalais karim wade

Dénouement inattaquable dicté par le seul culte dû à la déesse Thémis? Certes pas. Pour cela, il aurait fallu que l’instruction, puis la conduite des débats, fussent exemplaires. Or, quiconque s’est plongé dans ce dossier touffu et a, au fil du feuilleton des audiences, fréquenté le salle n°4 du Palais de Justice de Dakar, ne peut qu’éprouver un sentiment de malaise. Non que les oripeaux du martyr vêtu de probité candide et de lin blanc conviennent au fils et conseiller de l’ex-président Abdoulaye Wade, lequel éleva son rejeton à la dignité de « ministre du Ciel et de la Terre » -allusion ironique à l’étendue de ses attributions- puis d’héritier présomptif. Il s’en faut de beaucoup. Mais pour avoir instruit à charge, et à la hussarde, la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), juridiction née sous Abdou Diouf, tombée en désuétude puis ranimée par l’actuel chef de l’Etat Macky Sall, tombeur en 2012 de Wade Père au nom des impératifs de transparence et d’intégrité, a alimenté la thèse, martelée ad nauseam par le condamné et son clan, du procès politique. D’autant que ses verdicts, s’ils peuvent donner lieu à pourvoi en cassation, ne sont pas susceptibles d’appel.

Au commencement, l’ancien banquier d’affaires londonien fut accusé d’avoir détourné, par le truchement de montages financiers sophistiqués, un milliard d’euros. Pactole pharaonique qui, de classements sans suite -tel fut le sort de l’enquête ouverte en France- en commissions rogatoires improductives, se rétractera au fil des semaines. Restait donc, à l’heure des réquisitions du Parquet, l’équivalent de 178 millions, somme coquette il est vrai. Ouvert fin juillet 2014, le procès lui-même, animé de part et d’autres par des bataillons fournis de robes noires, dont certaines au teint pâle, sera émaillé d’accrochages et de coups de -mauvais- théâtre. Citons le limogeage en novembre dernier du procureur spécial, le très vindicatif et très péremptoire Alioune Ndao, la comparution d’un prévenu grabataire, ou l’expulsion manu militari de l’un des avocats de Karim, l’ancien ministre de la Justice El Hadj Amadou Sall.

Ce dernier incarne à merveille la stratégie d’instrumentalisation orchestrée par les « karimistes ». Le 15 mars, au détour d’un meeting, lui l’ancien juriste se mue en imprécateur pour prophétiser qu’en cas de maintien à l’ombre de Monsieur Fils, « Macky Sall ne passera pas une nuit de plus au Palais ». Ce qui lui vaudra d’ailleurs d’être arrêté et inculpé d’ « atteinte à la sûreté de l’Etat » et d’ « offense au chef de l’Etat ». Au palmarès de l’irresponsabilité, l’ex-Garde des Sceaux se voit néanmoins devancé par « Ablaye » Wade soi-même. Avocat de formation, le « Gorgui » -le Vieux, en wolof-, cédant à son prurit insurrectionnel chronique, tonnera que « tout procès politique se gagne dans la rue ». Pis, il ravalera son successeur au rang de « descendant d’esclaves » aux aïeux « anthropophages ». Ce qui tend à attester deux évidences. D’abord, le héros déchu du « sopi » -le changement- n’en finira jamais de jouer la rue contre les institutions. Ensuite, il n’a toujours pas digéré cet autre verdict qu’est celui des urnes et juge son successeur illégitime, quitte à raviver les braises toxiques de l’esprit de caste. Procès politique ? Soit, et pour tout le monde. Faut-il imputer aux aléas du calendrier le fait que Karim, quoiqu’inéligible, ait été désigné candidat du Parti démocratique sénégalais (PDS) à la prochaine présidentielle, la formation à la dévotion de papa, l’avant-veille du jugement ? La réponse est dans la question : prévu en août, le congrès dudit parti a été avancé pour la cause. Au passage, il est assez cocasse de constater que cet adoubement fut approuvé à un « écrasante majorité », alors même que, du temps de sa splendeur, le fils du chef et le scénario dynastique hérissaient plus d’un baron du PDS.

Wade Senior se dit au demeurant prêt à « donner sa vie » -et sans doute celle d’une poignée de disciples- pour affranchir le fiston de l’infamie carcérale. Au risque de s’adonner à la psychanalyse à trois francs CFA, peut-être faut-il voir dans sa hargne un soupçon de culpabilité. Après sa déroute électorale, le Gorgui a semblé tarder à voler au secours du prince héritier. De même, il n’a pas daigné assister à la moindre audience de la Crei, ce « machin », cette juridiction d’exception illégale à ses yeux ; et ce à la différence de son épouse, la Franc-Comtoise Viviane qui, digne et marmoréenne, n’a jamais déserté son siège de vigie maternelle, au quatrième rang du public. Cité par l’AFP, le journaliste sénégalais Mame Less Camara souligne combien cette séquence politico-judiciaire revêt un caractère « affectif, émotionnel et irrationnel ». Bien vu.

Deux procès, deux échecs. Celui de l’Ivoirienne Simone Gbagbo a lui aussi été assombri par de lourds nuages : instruction défaillante, témoignages confus, absence troublante de preuves irréfutables. Et le parallèle va plus loin. Dans les deux cas, le président en exercice -Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, Macky Sall au Sénégal-, pouvait espérer tirer profit, une fois la justice rendue, de l’exercice de ses prérogatives régaliennes de grâce ou d’amnistie, fussent-elles à géométrie variable. La magnanimité du monarque élu, garant de la réconciliation nationale… Mais voilà : pour que le procédé fonctionne, encore faut-il que Thémis, se montre, à l’instar de la femme de César, insoupçonnable. Si, en Afrique, son glaive reste tranchant, le fléau de sa balance penche encore du côté de l’arbitraire.

Source: lexpress.fr

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