Hamsala Bocoum, ce grand connaisseur de la vie dans le Delta central, décortique le mot peulh « Jowro » qui est la contraction de ‘Jom’ (propriétaire ou chef) et de ‘Wuro’ (campement, village). Ce mot composé de « Jowro » désigne l’individu et l’institution coutumière chargés de gérer les ressources naturelles (principalement les pâturages) d’un territoire pastorale ou agropastorale ou d’un simple îlot à ‘bourgou’ que la décrue du fleuve Niger et celle de ses affluents et défluents mettent à nu dans le Delta intérieur du Niger (de Ké-Macina à Youwarou). Ce système, poursuit-il, a existé bien avant la Diina de Sékou Ahmadou, au sein des premiers royaumes qui avaient la souveraineté sur cette zone géographique.
Ainsi, les relations de pouvoir caractérisaient les rapports entre « Ardos » (chefferies locales) et « Jowro ». Les deuxièmes officiaient sur les terres contrôlées et surveillées par les premiers qui, eux-mêmes, étaient des vassaux d’un suzerain (roi ou empereur).
Dans les livres d’histoire, malheureusement peu enseignés dans nos écoles, on apprend que les premières institutions pastorales remontent à l’occupation du Delta par les pasteurs peuls vers le XIVè siècle, période à laquelle les communautés ont établi des conventions sur l’exploitation des ressources naturelles.
à partir du XVè siècle, sont apparues les chefferies peules connues sous le nom de “Ardo”. Elles furent structurées en entités pastorales « Jom-Wuro » qui deviendront plus tard les « Jowro ». La première structuration de l’espace du Delta est donc l’œuvre des Ardos, selon les documents historiques. Elle est organisée autour de la notion des Leydi (espace territorial comprenant l’ensemble des ressources naturelles de la zone gérée par les Dioros).
Au début du XIXe siècle, l’état théocratique peul de Hamdallaye se substitua aux Ardos et réorganisa l’administration et la gestion des ressources naturelles du Delta. Depuis les États généraux de Hamdallaye, en l’an III de la Diina, où les communautés nomades du Delta sont appelées à se sédentariser, le « Jowro » s’est vu confier la gestion des pâturages. « Chaque groupe de pasteurs disposait de droits sur certains pâturages et sur certains points d’eau pendant une période et une durée déterminée permettant une complémentarité et une superposition dans l’espace et dans le temps des systèmes de production. Cette forme de rotation permettait une utilisation optimale et (sans conflits) de toutes les ressources. La distinction entre les pâturages de saison de pluie (zone exondée) et ceux de la zone sèche (zone inondée) permettait à la végétation de se régénérer normalement », explique Hamsala Bocoum. C’est la responsabilité du « Jowro » de veiller au respect de tous ces grands équilibres. Son rôle est même consigné dans la Charte pastorale de notre pays qui accorde une place de choix à la propriété coutumière.
Sous la première République, le régime socialiste en nationalisant les terres avait considérablement réduit le pouvoir des « Jowro » dont la réhabilitation n’a été amorcée qu’en 1966 par l’organisation de la première conférence locale sur les bourgoutières à Tenenkou.
Depuis les sécheresses des années 70 et 80, rappelle Hamsala Bocoum, les ressources naturelles du Delta se sont amenuisées tandis que la population et les surfaces cultivées ont doublé. L’agriculture a phagocyté les espaces traditionnellement réservés à l’élevage. Sur le même espace, plusieurs usagers différents se côtoient où se superposent ; chacun cherchant sa survie selon ses propres règles, selon son activité ou son statut social.
Les « Jowro » continuent à exercer leur droit à la préséance chaque fois que les troupeaux descendent dans le lit du lac à la recherche du « bourgou » une herbe juteuse et sucrée qui pousse à perte de vue dans le lit du lac. Sur les traces d’Amkoullel, l’enfant peul, Amadou Hampâté Ba met en garde : « quiconque ne tient pas compte de ce qu’il était hier, demain ne sera rien, absolument rien ».
A.M.C.
Source: L’Essor-Mali