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Joël Meyer : « La France a combattu et combattra toujours ceux qui cherchent à imposer la violence et l’obscurantisme »

De plus en plus indexée par une partie de l’opinion publique malienne, La France est au cœur  des débats à travers le pays. SEM. Joël Meyer, Ambassadeur de France au Mali a bien voulu répondre à nos questions concernant les différentes « accusations » et le rôle de l’hexagone dans la crise sécuritaire qui secoue le Mali depuis 2012.

Des appels incessants lors des manifestations font de plus en plus état du départ des troupes françaises du Mali et dénoncent « l’ambiguïté » de la position de la France dans la lutte contre le terrorisme. Comment expliquez-vous cette situation ?

La position de la France face au fléau terroriste qui meurtrit le Sahel a toujours été parfaitement claire. Après avoir soutenu au Conseil de sécurité le déploiement de la force africaine MISMA, fin 2012, la France est intervenue en urgence début 2013, à la demande des autorités maliennes, pour empêcher terroristes et rebelles de prendre Bamako et le reste du pays. Près de sept ans plus tard, la menace a changé de nature mais les objectifs restent inchangés. Alors que le combat frontal de 2013 a cédé sa place à une guerre asymétrique, la force Barkhane appuie au quotidien, sur le terrain, l’armée malienne dans la lutte contre les extrémistes. L’opération Bourgou 4, courant novembre, en est la dernière illustration, avec la neutralisation d’une vingtaine de terroristes et la capture de plus de 60 motos, lors d’actions menées conjointement par les forces maliennes, françaises et leurs frères d’armes du Niger, du Burkina et de la Force conjointe du G5 Sahel.

Quelle « ambiguïté », de la France et de la communauté internationale, peut-on dénoncer alors que, aux côtés de leurs camarades maliens, tant  de soldats français et étrangers, tout particulièrement africains, se sont sacrifiés sur ce sol pour défendre ce pays ?

Des drapeaux français ont été symboliquement brûlés lors des récentes  manifestations. Comment la France vit-elle ces moments ?

Ces moments sont douloureux à plus d’un titre. Ils occultent les efforts déployés par la France pour sauver le Mali du péril djihadiste, et font le jeu de ceux-là même qui attaquent les forces maliennes et internationales. Ils ne sont pas à l’image de la longue et amicale coopération qui unit la France et le Mali. Quel Malien n’a pas de proche vivant ou ayant vécu en France ? Ils vont aussi contre l’intérêt du Mali. Quel Malien pourrait raisonnablement demander le départ des 125 sociétés françaises ou filiales maliennes de sociétés françaises employant, directement ou indirectement, plusieurs dizaines de milliers de salariés maliens ? Quel Malien pourrait rejeter la centrale de Kabala, majoritairement financée par l’Agence française de développement, et permettant l’alimentation en eau potable d’un million d’habitants de l’agglomération bamakoise ?

Généralement on me pose la question : la France est-elle ici par intérêt ? Ma réponse est claire : oui nous sommes ici par intérêt, mais par un intérêt qui est commun, au Mali, à la France et à la communauté internationale. Cet intérêt est que ce pays, et le Sahel en général, ne soient plus sous la menace des terroristes. Il y va de la sécurité nationale du Mali, de la sécurité régionale et de la sécurité internationale.

La France perd tout autant ses combattants au front au Mali. Elle a même été le principal artisan du maintien de Bamako sous contrôle étatique en 2012. Est-ce que vous percevez de l’ « ingratitude » chez une partie des Maliens aujourd’hui ?

Nous comprenons l’incompréhension ou l’impatience d’une partie de l’opinion malienne. Mais la lutte contre le fléau terroriste s’inscrit nécessairement dans le temps long. Croyez bien encore une fois que nous préférerions épargner la vie de nos militaires mais la France tient ses engagements de solidarité ! Soyons lucides : les ravages de l’extrémisme montrent bien que le retour de la paix passera nécessairement par la conjugaison de tous les efforts possibles pour appuyer les pays de la région. Les chefs d’Etat du Mali, du Niger et du Tchad l’ont récemment réaffirmé à Paris, lors du Forum sur la paix. Nous entendons rester à leur côté, aussi longtemps qu’ils nous le demanderont.

Nous faisons aussi la part des choses, les slogans anti français ou anti communauté internationale ne reflètent pas le sentiment de la grande majorité des Maliens. Il  y a aussi de l’instrumentalisation par une minorité.

Sur le cas de Kidal, beaucoup vous indexent d’entretenir les terroristes au détriment de l’armée malienne. Dites-nous ce que vit ou a réellement  vécu la France dans cette partie du pays et quels vos véritables intérêts ?

Je l’ai dit, la France a combattu et combattra toujours ceux qui cherchent à imposer la violence et l’obscurantisme. Le tribut payé par mon pays il y a quatre ans, lors des attentats de Paris de novembre 2015, nous rappelle tragiquement à ce devoir. S’agissant de Kidal, le Président Macron a récemment rappelé que la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriale du Mali n’étaient pas négociables. Ces principes ont été solennellement consacrés par l’accord signé en 2015 entre le gouvernement et d’anciens rebelles du Nord, qui ont ainsi fait le choix de retrouver le giron de l’Etat malien plutôt que de poursuivre leur funeste entreprise déstabilisatrice. La France n’a d’autre intérêt, au Nord, que l’application de cet Accord, à travers le redéploiement de forces de défense et de sécurité reconstituées, le retour des services publics et des symboles de l’Etat malien, et le lancement de projets de développement au bénéfice des populations. Nous rappelons très régulièrement aux mouvements signataires de l’Accord leurs obligations dans ce cadre.

Dans le communiqué du 15 novembre, vous affirmiez votre engagement « aux côtés du Mali et ses voisins, au service du retour de la paix et de la stabilité au Sahel ». Si ces manifestations prennent de l’ampleur et s’étendent sur toute l’étendue du territoire national dans les prochains jours, semaines ou mois, la France, sera-t-elle amenée à revoir sa position dans le pays ?

Nous sommes profondément attachés au caractère souverain des décisions des autorités maliennes pour ce qui concerne leur pays. Nous avons entendu l’appel, maintes fois répété, des chefs d’État de la région à une mobilisation accrue de la communauté internationale en appui au Sahel. C’est dans cet esprit que nous souhaitons inscrire notre action, comme en témoigne l’annonce d’un Partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel au G7 de Biarritz l’été dernier. Ce Partenariat a vocation à mettre en cohérence l’ensemble des initiatives régionales et internationales en consacrant un effort particulier sur les questions de sécurité intérieure et de justice.

Un message à l’endroit des Maliens?

J’appellerai mes amis maliens, dont beaucoup d’ailleurs nous envoient régulièrement des marques de soutien ou de sympathie, à distinguer la réalité de la désinformation, à faire la part entre les faits et les rumeurs, car ce sont précisément ces rumeurs qu’essaient d’instiller sournoisement des groupes comme Al Qaïda et l’Etat islamique, afin de désunir les amis du Mali qui les combattent. Ne nous trompons pas d’ennemi.

 

Propos recueillis par Germain KENOUVI

Journal du mali

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