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Interview avec l’agroéconomiste Dr Jeff Dorsey sur l’aide américaine a l’agriculture malienne : «Les producteurs souffrent de la mauvaise gestion des redevances eau et du non entretien du système»

Dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder depuis les Etats-Unis, Dr Jeff Dorsey, agroéconomiste américain, travaillant au Mali depuis plus de 10 ans, fait une analyse de l’aide américaine à l’agriculture malienne. Partisan de la promotion des produits porteurs d’exportation, il trouve que le projet CVC, qui vient de terminer, n’a pas couvert la zone d’Alatona et que les producteurs souffrent de la mauvaise gestion des redevances eau et du non entretien du système par l’association chargée de cette tâche. Lisez !

 InfoSept : Bonjour Dr, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Dr Jeff Dorsey: Je suis le Dr Jeff Dorsey, agroéconomiste américain basé à Bamako Mali et Miami, Etats-Unis. Je travaille au Mali depuis plus de 10 ans. J’ai travaillé dans le projet d’irrigation d’Alatona en 2009 et 2010 où j’ai eu à diriger le volet de finances rurales. Je suis expert en économie de l’irrigation et les cultures irriguées comme le riz et des cultures telles que le maraichage et la canne à sucre. Je suis pour la promotion des produits porteurs d’exportation comme les mangues, les légumes et tubercules. Je suis conseiller aux producteurs d’Alatona dans leur lutte pour la récupération du périmètre et pour réduire les conflits entre la population peul de la zone et d’autres ethnies. J’étais membre en représentation de la société civile du Sous-Groupe de Travail sur l’Irrigation qui réunis les offices et agences du Gouvernement chargés de l’Irrigation et les bailleurs de fonds entre 2016 et 2017.  Je fais aussi des analyses qui mettent au clair les similitudes entre le Mali et Miami (sud de la Floride) quant aux défis et les solutions pour les résoudre, surtout dans le domaine de l’Agriculture.

 

InfoSept: Alors, quelle analyse faites-vous de l’aide américaine en faveur du Mali, surtout dans le domaine de l’agriculture ?

Dr Jeff Dorsey : L’aide américaine pour l’agriculture provient de deux grandes sources : le Millennium Challenge Corporation (MCC) et l’USAID. Ainsi, entre 2007 et 2012, le MCC a payé pour plus de 250 millions de dollars, soit 125 milliards de FCFA pour l’aménagement de 5 000 hectares du Projet d’Irrigation d’Alatona à faveur des petits producteurs. L’appui de la MCC prend en considération l’évolution de la démocratie ; cette aide s’est arrêtée suite aux évènements de 2012 et n’a pas été renouvelée jusqu’à nos jours. Quant à L’USAID, elle fait des aides à l’agriculture à travers des projets qui sont gérés par les grandes compagnies de consultation comme Chemonics et Abt Associates et des grandes ONG comme l’ACDI/VOCA. L’approche est celle des chaines de valeurs, avec une grande division entre les projets agricoles et d’élevage. Dans le passé, l’aide visait principalement les cultures plus porteuses et l’augmentation des revenus des petits producteurs. Dès le mandat du Président Obama, la vision a été virée vers les cultures de base à l’alimentation, principalement les graines. Cette vision est le guide des choix des produits que l’USAID appui jusqu’à nos jours. Depuis plusieurs décennies, l’USAID souffre de réductions dans ses budgets ce qui affecte sa capacité d’aider l’agriculture des pays qui souffrent de bas revenus de leur population rurale comme c’est le cas du Mali; ils limitent aussi la manière que cette assistance est canalisée dans les projets. L’USAID appui aussi la sécurité alimentaire avec des aides humanitaires, ce qui favorisent principalement la population rurale dans les moments difficiles et leur permettent de maintenir leurs entreprises agricoles et faire face aux défis climatiques et d’insécurité.

 

InfoSept: Aussi, comment trouvez-vous l’aide américaine au Mali dans les champs agricoles en ce moment?

Dr. Jeff Dorsey: De nos jours, le projet américain Chaine de Valeur des Céréales (CVC) vient de terminer ses interventions sans avoir donné des résultats exemplaires. Le projet a été développé dans le cadre du programme Feed the Future qui vise les produits alimentaires et donc qui ne réponde guère aux attentes des paysans maliens pour l’amélioration de leurs revenues et bien-être familiale. C’est le moment aussi pour le Gouvernement américain de réfléchir sur la meilleure manière d’aider la population rurale malienne à sortir de la pauvreté et pour le Gouvernement malien de centrer ses politiques dans le deuxième mandat du Président sur la poursuite de chaines de valeurs plus porteuse et d’amener les bénéfices pour l’augmentation de revenus des petits producteurs.

 

InfoSept: Concrètement, quel est le problème avec le cadre Feed the Future dans lequel les projets agricoles américains sont impliqués?

Dr. Jeff Dorsey: La base de Feed the Future (FtF) est l’idée que les Etats-Unis doivent aider les producteurs à augmenter la production des céréales qu’ils ont traditionnellement produit et ainsi à accroitre leur sécurité alimentaire par les moyens de l’autoconsommation de ces produits. Les graines comme le mil et le sorgho sont de basse valeur et même le riz est peu rentable sauf si on y associe la production de poissons comme le tilapia et le manogo dans les rizières.  L’espoir des paysans est d’avoir plus d’argent dans la poche à la fin de la campagne, ce que les produits traditionnels choisis avec le cadre FtF ne donnent pas. L’économie paysanne dépend de plus en plus de l’achat dans le marché des aliments et de moins en moins sur l’autosuffisance. Même pour le riz, les producteurs l’achètent dans le marché avec leur gain des produits plus rentables. Aussi, le pays peut acquérir du riz sur le marché international des pays asiatiques aux prix plus favorables que ce qui est produit au Mali et qui coute plus cher.

Notons que le riz est une culture des pays qui ont des racines dans les pays du sud-est et sud de l’Asie avec une pluviométrie plus haute que celle du Mali. Le Mali est un pays semi-désertique avec seulement 504 mm de pluie à Niono au centre de la zone de l’Office du Niger. Et,  le riz a besoin de trois fois cette quantité d’eau. Pour avoir l’eau que le riz requiert, le Mali doit le tirer du fleuve Niger; pour avoir la terre, il doit la quitter des agropastoralistes qui l’emploient dans le pâturage des animaux qui constitue l’exportation la plus importante du Mali (outre l’or) pour la mettre sous irrigation pour produire le riz, dont des rendements faibles (au tour des 4 tonnes par hectare) font du riz un produit peu rentables pour les petits producteurs de l’Office du Niger et Alatona et pour le pays qui doit y invertir beaucoup pour avoir très peu de riz. Ce processus de convertir les terres à l’irrigation s’appelle  “l’aménagement” ou la “mise en valeur” des terres; l’implication c’est que leur emploi dans le pâturage des animaux et les cultures de mil et sorgho en régime pluviale n’a pas de “valeur”.   La seule manière de rentabiliser la production du riz irriguée c’est dans sa production conjoint avec le poisson en forme de rizipisciculture.  La rizipisciculture était inclus dans la formulation du projet CVC mais remue au moment de l’implémentation.

InfoSept: Selon vous quelles sont les justifications du choix des zones pour le projet CVC?

Dr Jeff Dorsey: Il faut commencer avec l’exclusion de l’Office du Niger (l’ON). Les Etats-Unis ne sont pas d’accord avec le système de l’octroi des terres aux producteurs par moyen des baux sous forme de contrats annuels, préférant la propriété privé tel que conçu dans le projet d’Alatona. Il y a aussi les soucis sur la gestion de l’Office du Niger tel que décrit dans le rapport du Vérificateur Général pour l’année 2017, sur l’octroi des baux sur les grands superficies aux gens sans vocation agricole (nommés dans un rapport de l’USAID comme “agriculteurs de dimanche”, sur les procédures de l’octroi de marchés de l’ON qui sont peu transparentes.

La zone d’Alatona est une extension du système de l’Office du Niger et comprend 5 000 hectares aménagés par la Millenium Challenge Corporation et le Gouvernement du Mali ;  comme étant le projet le plus grand des Etats-Unis au Mali (à peu près 250 millions de dollars, soit 125 milliards de FCFA, son choix était obligatoire. Les autres zones représentent l’héritage du projet américain antérieur (le projet IICEM) dont le CVC est le successeur, plus petit en ressources et plus restreint dans le choix de cultures à être appuyées. Le Nord était de rigueur pour appuyer les accords de paix, même si l’implémentation du processus de paix laisse beaucoup à désirer.

InfoSept: Et toutes ces zones ont été couvertes?

Dr Jeff Dorsey: Je suis bien informé sur la zone d’Alatona et j’ai réalisé une enquête en août 2017 avec des producteurs du périmètre. Le projet CVC n’a pas couvert la zone d’Alatona. Les producteurs souffrent de la mauvaise gestion des redevances eau et du non entretien du système par l’association chargée avec cette tâche.  Le système est très abimé, plein de mauvaises herbes et arbustes, et peu performant. En plusieurs reprises, les producteurs se sont déplacés à Bamako pour demander l’aide du projet CVC qui n’a rien fait pour les aider pour résoudre leurs problèmes.

InfoSept: Pourquoi ? La faute d’assistance à Alatona ou quoi ?

Dr Jeff Dorsey: M. Dick Cook, le directeur actuel du projet a expliqué qu’il n’y avait plus de ressources. Il  est venu dans les dernières années du projet pour fermer le projet qui en effet a gaspillé la plupart de son budget au départ, c’est à dire, dans les premières années de du projet. Avant l’arrivée de M. Cook, la direction du projet était faible. L’ACDI/VOCA s’est vu obligé d’amener au projet les anciens directeurs de zone du projet précédent IICEM comme chefs des chaines de valeurs.  Et, avec eux, ils ont aussi amené les groupes de paysans, de femmes et d’associations qu’ils avaient créées dans l’ancien projet IICEM sans bien comprendre le critère de sélection des membres de ces associations. Les ONG nationales ont réussi à organiser un nombre très grand de formations de manière que le budget de 3 ans de formations a été dépensé dans la première année, laissant le projet avec peu de ressources pour réaliser tous ses tâches dans les dernières années du projet. Le projet a dû laisser partir le directeur technique pour palier un peu cette faute de ressources. Après son départ, plusieurs autres professionnels qui étaient avec le projet dès le commencement sont partis aussi. Donc, à son arrivée M. Cook a trouvé un projet qui n’avait pas le financement suffisant ni le personnel idoine pour réaliser toutes les activités prévus, ni pour couvrir toutes les zones. Ainsi, il ne restait pas de ressources pour appuyer aux producteurs d’Alatona pour la récupération de leur périmètre.

InfoSept: Aujourd’hui, concrètement quels sont les résultats du projet CVC?

Dr Jeff Dorsey: Les résultats d’un projet s’établissent en se basant sur les enquêtes représentatives et des évaluations indépendantes. L’USAID a destiné presque 5 millions de Dollars pour un suivi basé sur les enquêtes et de la même durée du  projet CVC, à savoir 5 ans. Malheureusement,  cette activité d’évaluation statistiquement valable n’a pas abouti dans un rapport étude de base, étude finale. Donc, ce n’est pas possible à mesurer les impacts du projet. Après plusieurs années et le gaspillage de la plupart des ressources, l’évaluation s’est arrêtée.

L’évaluation de mi-parcours n’a pas été indépendante étant donné qu’elle était dirigé par quelqu’un qui a travaillé pour l’ACDI/VOCA comme directeur d’un projet où les ONGs GForce et Nyèta Conseils été des sous-traiteurs, ce qui représente un conflit d’intérêt pour une évaluation.

Donc, les données de base pour analyser les résultats du projet ne sont pas disponibles. Ainsi, on ne peut pas déterminer si les résultats attendus sont ceux qui pourraient avoir été réalisés en base aux interventions qui sont décrites dans un article apparu le 29 octobre dans le journal Essor.

InfoSept: Alors, quelle est votre appréciation sur les œuvres d’ACDI/VOCA, un autre projet de développement, financé par les américains ?

Dr Jeff Dorsey: J’ai vu les activités d’ACDI/VOCA en plusieurs pays de l’Afrique et j’ai pu apprécier les résultats positifs de ces projets. En certains cas, comme les projets NASFAM à Malawi et le projet ACE pour les coopératives en Ethiopie, les résultats sont extraordinaires. Les impacts de ces deux projets sont visibles jusqu’à nos jours et les coopératives et associations continuent à travailler en faveur de leurs membres. Il faut dire que ces projets étaient gérés directement pour ACDI/VOCA et non indirectement à travers des ONGs nationales ou d’autres institutions, comme est le cas du projet CVC.

Ce principe de gestion indirecte est obligatoire depuis quelques années dans le cadre des projets de l’USAID. En partie, cette approche répond aux pressions budgétaires qui affectent l’USAID depuis à peu près 20 ans. A la même période, l’importance des américains dans le cadre du personnel des missions de l’USAID et les projets qu’il financent étaient aussi réduits. Le but des projets américains doit être de maximiser les bénéfices aux producteurs maliens et pour renforcer les capacités de leurs organisations à se défendre contre les pressions qu’ils subissent pour détourner les élus de leur obligation d’augmenter les revenus et le bien-être des paysans.

InfoSept: Est-ce qu’on peut s’attendre à l’amélioration des appuis américains en faveur des petits producteurs maliens?

Dr Jeff Dorsey: Les empêchements existent ; le budget de l’USAID continue à souffrir des coupures. Le choix est encore sur les produits peu intéressants comme les céréales de basse valeur et la manière que les aides américaines sont canalisées continue sur forme indirecte.  Mais, il y a les points favorables aussi. L’USAID démontre un intérêt croissant pour le Centre du pays, ce qui était abandonné suite aux accords de paix. Les gens qui dirigent l’assistance doivent opérer dans le cadre de Feed the Future pour quelques années de plus, mais ils sont conscients du besoin d’améliorer les revenus. Cette situation fait que les adaptations technologiques pour rentabiliser les cultures, telles que la pisciculturedans le riz et d’autres technologies soient privilégiés prochainement. Il faut aussi l’appui aux spéculations plus intéressantes telles que la mangue et les autres produits d’exportation. Cela, pour valoriser l’irrigation et les autres conditions que possède le Mali pour l’augmentation des revenus des paysans.

Propos recueillis par  Dieudonné Tembely

 

Source: Infosepte

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