Le 6 juillet, Barack Obama a annoncé une intensification des frappes aériennes en Syrie pour porter un coup d’arrêt à la menace terroriste incarnée par l’État Islamique. Pour autant, les 5000 frappes aériennes dénombrées par les Etats-Unis n’ont pas su mettre fin au conflit.
Atlantico : Lundi 6 juillet 2015, Barack Obama annonçait toute la détermination de la coalition internationale pour intensifier la lutte contre Daech en Syrie, au travers de frappes aériennes qui visent les infrastructures utilisées par les terroristes. Derrière la détermination affichée du président des Etars-Unis, ne faut-il pas voir une forme d’inquiétude ou un aveu de faiblesse ?
Alain Rodier : Les Etats-Unis sont extrêmement inquiets de la tournure que prennent les évènements sur le front syro-irakien.
A savoir que Daech reçoit des coups mais semble les encaisser sans problèmes et garde l’initiative. Ses pertes sont minimes et aucun chef ne semble atteint, ce qui n’est pas le cas pour Al-Qaida “canal historique”. Là ou Daech se sent en infériorité tactique, il se replie sur des “positions préparées à l’avance” et revient à la charge sur d’autres zones d’action. Parfois, il mène même des raids sur les positions conquises en surprenant les défenseurs. Daech crée donc un climat d’insécurité permanent sur l’ensemble des fronts, les chiites et les Kurdes étant obligés d’adopter une posture défensive nuisible au moral des troupes. L’accroissement des frappes aériennes est destiné à tenter de palier à cet état de fait, mais sans grand succès pour l’instant.
Dans quelle mesure les frappes aériennes peuvent-elles aider à remporter la guerre contre l’Etat Islamique ? Peut-on véritablement gagner sans intervention de troupes au sol, sur le terrain ?
Si l’on regarde l’Histoire, jamais les frappes aériennes n’ont permis une victoire (en dehors des bombardements Hiroshima et de Nagasaki) si elles n’étaient pas en soutien d’offensives terrestres. Pour le moment, il n’est pas question d’engager des troupes au sol: les Occidentaux n’en n’ont pas les moyens et surtout, l’expérience irakienne et afghane est présente dans tous les esprits, les Kurdes et les chiites ne veulent pas s’aventurer en régions sunnites car il y aurait ensuite un immense problème de “gestion des populations hostiles”.
A ce niveau-là, comment les forces américaines et internationales s’en sortent-elles ? A quoi s’attendre dans la suite du conflit ?
Les forces de la coalition font ce qu’elles peuvent avec les moyens qui sont les leurs. Si l’on revient à l’Histoire, force est de constater que les troupes au sol adverses savent très bien se garder des frappes aériennes de l’adversaire quand elles ne sont pas suivies d’exploitation par de l’infanterie qui vient les chercher à la baïonnette pour les obliger à se rendre.
La prise de Kobané par les forces kurdes a fait grand bruit. S’agit-ild’une victoire purement militaire ou bien un symbole ?
Cette bataille très médiatisée a eu un impact psychologique important car elle a marqué un coup d’arrêt à la progression de Daech qui semblait invincible. Mais, les activistes salafistes ont réussi à contourner ce revers qui ne les a pas réellement mis en danger sur le plan tactique. D’ailleurs, ils ont effectué un raids surprise qui a mis le doute, même au sein des forces kurdes. Sur le front syro-irakien, la situation est figée depuis des mois avec des offensives locales qui n’ont pas de conséquences stratégiques importantes. On est dans la guerre d’usure, à la fois sur le plan moral et logistique (surtout pour Daech dans ce dernier domaine). Aucune issue n’est visible à courte ou moyenne échéance.. Cela explique que l’Etat Islamique tente d’élargir son champ d’opérations “à l’étranger”. Il y réussit très bien dans le Sinaï, au Nigeria via Boko Haram et en Libye et, peut-être demain dans le Caucase sans compter les attentats terroristes qui peuvent être déclenchés n’importe où par des adeptes du mouvement. L’EI est à l’offensive, ne perd pas beaucoup de combattants, “gère” tant bien que mal son “Etat” fort de quelques huit millions de personnes, attire toujours autant de volontaires étrangers…. Ce n’est pas pour cela qu’il faut baisser les bras : il a aussi des difficultés qu’il convient d’accroître: son idéologie peut être combattue, sa logistique qui se fait en liaison avec le crime organisé (qui achète le pétrole, les antiquités et peut-être un début de trafic de drogue) doit être attaquée. Cette guerre va prendre beaucoup de temps et d’énergie sachant que Daech réussit une chose : liguer de plus en plus de monde contre lui..