Comme le dit en substance une sagesse de chez nous, on réveille les scorpions en retournant les tas d’immondices. Le cas libyen en offre l’exemple le plus illustratif. En effet, en favorisant la chute du régime de Mouammar Kadhafi, à travers l’intervention militaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), les Nations unies auront, quelque part, occasionné le réveil de vieux démons dans ce pays. La chute du régime du Guide qui régnait d’une main de fer sur le pays a eu pour conséquence l’avènement d’une véritable pagaille et d’une grande insécurité dans le pays. Des milices refusent de déposer les armes et des groupes islamistes ont fait de certaines zones du pays, leurs sanctuaires.
Une intervention dans le sud-libyen ne sera pas une promenade de santé
Des tensions tribales récurrentes, naguère étouffées par Kadhafi, font surface. C’est la situation qui prévaut notamment dans le Sud de la Libye où se disputent les Toubous et les Oueled slimane réputés « kadhafistes ». En somme, la Libye de l’après-Kadhafi se trouve dans une situation semblable, à bien des égards, à celle de la Yougoslavie post-Tito qui a vu rejaillir toutes les tensions entre les communautés ; tensions que le dictateur était parvenu à étouffer pendant son règne. Comme on le sait, dans le cas de la Yougoslavie, il aura fallu l’intervention de l’OTAN pour sauver les meubles. Il y a peut-être lieu d’envisager encore quelque chose du genre en Libye. S’il est important de mettre fin à une dictature, il n’en demeure pas moins indispensable de ramener le calme et la sécurité dans le pays concerné après la chute de ladite dictature. C’est à ce niveau que les choses ont péché, les nouvelles autorités n’ayant aucune emprise sur le pays qui, tel un bateau ivre, tangue dangereusement.
Certaines zones du pays sont complètement des zones de non-droit. C’est particulièrement le cas du Sud du pays. En effet, le sud-libyen est aujourd’hui considéré comme un paradis pour les islamistes. La France est appelée à y intervenir militairement mais les autorités françaises ne sont visiblement pas emballées par cette idée. Pour elles, une intervention limitée au Sud-libyen n’aurait pour effet que de calmer momentanément la situation. Or, ce qu’il faut, c’est une solution pérenne. Les réticences de la France sont d’autant plus justifiées qu’elle est certainement lassée de jouer au gendarme quasi-solitaire en Afrique. On sait combien elle peine à mobiliser les autres Européens sur les théâtres des opérations en Afrique. Elle sait aussi ne pas pouvoir compter sur l’Union africaine qui ne s’est jamais montrée à la hauteur des conflits qui secouent ses Etats membres. Les autorités françaises sont certainement conscientes également qu’il n’est pas évident que le contribuable français continue de supporter ces missions de sauvetage qui lui coûtent d’énormes ressources, surtout en ces temps de crise. De plus, une intervention dans le sud-libyen ne sera pas une promenade de santé en ce sens que cette zone est vaste et difficile à maîtriser mais aussi et surtout parce qu’elle abrite des islamistes qui ont profité à souhait de l’arsenal libyen et qui se révèlent de ce fait, très dangereux. C’est dire que la France ne saurait mener à elle seule ce combat. Les autres Occidentaux et particulièrement les Américains devraient certainement s’y engager beaucoup plus avec les drones. Il serait du reste plus juste et cohérent que l’OTAN, qui a permis au pays de se débarrasser de la dictature de Kadhafi, songe à aller jusqu’au bout de son travail en réduisant à néant les nouveaux dictateurs que sont ces islamistes.
Il faudra ainsi voler au secours de la Libye. Mais comment venir à bout de l’incubateur sud-libyen du terrorisme ? Equation difficile. Les arabes, faut-il le rappeler, sont hostiles aux interventions des Occidentaux, généralement considérés comme des impies dans leur pays. Cela rend difficile la demande ou l’acceptation par les nouvelles autorités libyennes, d’une intervention militaire occidentale. Mais, les Libyens ne peuvent pas se revendiquer, en toute logique, de ce principe du moment où il aura fallu l’intervention de ces « impies » pour les libérer du joug de Kadhafi.
La communauté internationale devra s’investir de toute urgence sur ce terrain
Ils devront donc savoir raison garder, faire preuve de maturité et de réalisme. Ils ne peuvent pas régler leurs problèmes par eux seuls. La solution pour éviter que la zone reste un incubateur du terrorisme passe par la combinaison de deux éléments : la stabilisation du pays et l’intervention militaire particulière dans le Sud-libyen. En effet, comme l’intervention au Nord-Mali l’aura démontré, une intervention exclusive dans le Sud-libyen ne suffira pas à venir à bout du terrorisme dans cette zone sahélo-saharienne. Il faudra aussi que le reste du pays soit sécurisé, gouverné dans les règles de l’art. En d’autres termes, la victoire contre l’insécurité dans l’espace sahélo-saharien nécessite la restauration de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire libyen. Si on se contente de chasser les djihadistes du Sud du pays, ils iront bien ailleurs. Si le désordre et le laxisme ambiants en Libye restent de mise, le terrorisme trouvera toujours un terreau fertile dans une région ou une autre du territoire, pour prospérer.
Il urge donc de prendre des mesures vigoureuses et de faire front pour contrer le désordre et l’absence d’autorité étatique qui font le bonheur des islamistes. La situation libyenne est rendue plus complexe et dramatique par le fait que les longues décennies de dictature du Guide ont privé le pays de toute culture démocratique. Les combattants des divers groupes opèrent en véritables hors-la-loi, les notions d’Etat de droit, de République ne leur disant rien du tout. La tâche est de ce fait rendue immense. En soutien des actions isolées menées par les Etats-Unis et la France dans la traque aux islamistes dans la région, la communauté internationale devra s’investir de toute urgence sur ce terrain. Cela pourra éviter que les islamistes n’en fassent, de façon durable, leur quartier général avec toutes les conséquences sur la sécurité mondiale que cela peut avoir. Au regard de la porosité des frontières dans la zone, les pays voisins doivent être mis à contribution. L’existence de ce sanctuaire djihadiste n’est pas un bon signe pour la sécurité et la paix dans les pays limitrophes. En ce qui concerne le Mali par exemple, les connexions entre islamistes qui écument la zone compliquent le retour de la sécurité au Nord-Mali et sont de nature à miner les pourparlers entre Bamako et les groupes rebelles. En tout état de cause, la sécurisation durable de la Libye ne saurait se faire sans l’implication et la coopération active du Mali, du Niger et de l’Algérie.
I YATTARA