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In memorium : HOMME DE BIEN, HOMME DE CŒUR

C’est un regret que Cheick n’aurait certainement jamais formulé. La richesse des vies très différentes qu’il a traversées et son inaltérable modestie le lui interdisaient. Mais nous ses cadets, nous ne pouvons pas nous interdire de penser à la formidable renommée journalistique qu’aurait été la sienne si son talent d’écriture avait d’emblée trouvé à s’exprimer dans un contexte différent de celui du pouvoir militaire des années 1970 et du régime du parti unique des années 1980. En ces temps d’expression restreinte, Cheick avait préféré brider son talent plutôt que d’abuser de la périphrase et de la litote. Il avait donc peu produit (comme certains le disent), mais remarquablement écrit.

 

Les lecteurs de cette époque se souviennent certainement du billet intitulé « Pourquoi ne pas le dire ? » qui surgissait à l’improviste à la « une » de L’Essor. La poignée de mots qu’il comportait en disait plus long sur l’état du pays qu’un long éditorial. Tous les hommes de presse le savent (ou devraient le savoir), le billet est sans doute le genre le plus difficile à pratiquer. Dans l’arsenal journalistique, on le définirait comme un missile destiné à une frappe chirurgicale. Il nécessite d’abord, et avant tout, de celui qui l’utilise une absolue justesse de jugement afin que nul ne se méprenne sur la pertinence du tir. Il exige ensuite que soient évitées tout à la fois l’ironie facile, la méchanceté gratuite et la critique anodine.

Une émotion prégnante – La facilité avec laquelle Cheick produisait son billet le rendait inimitable. Nous en convenions tous et c’est cette conviction qui alimente notre regret exprimé plus haut. Car lorsque la Révolution du 26 mars libéra le champ d’expression dans notre pays, Cheick était trop absorbé par les contraintes de sa troisième vie au sein du Mouvement démocratique pour retourner à l’écriture journalistique de manière permanente. Fort heureusement la plume lâche rarement les meilleurs de ses fils et ce que le journalisme a perdu la littérature l’a récupéré.

Au cours de ces dernières années, Cheick a démontré toute la richesse de sa palette. Il nous a fait en effet don d’un roman (« La case de banco »), d’un recueil de poèmes (« Bribes ») et de deux recueils de contes pour enfants en français et en langue nationale bamanankan. En parcourant les deux premières œuvres, on y trouve justifié le jugement de l’historien Jacques Bainville, selon lequel « la longueur du propos n’est pas chez l’homme un très bon signe de vigueur intellectuelle ». Cheick écrivain reste fidèle à ce que Cheick journaliste avait de meilleur : limpidité de l’écriture et sobriété du style. S’y ajoute une capacité de faire naitre chez les lecteurs une prégnante émotion suscitée par la profonde sincérité des sentiments exprimés.

Le patriarche entrait dans son automne et revisitait les années où les choses étaient moins difficiles à vivre et les bonheurs plus faciles à cueillir. Erik Orsenna, l’un des tout meilleurs écrivains français, ne s’est d’ailleurs pas trompé sur les qualités de « La case en banco », récit sur l’enfance de l’auteur. La superbe préface qu’il a écrite pour ce roman mérite absolument d’être relue pour qui veut (partiellement) déchiffrer notre aîné.

Lorsque nous sommes arrivés à L’Essor, Cheick fut notre premier rédacteur en chef. Ce qui nous autorise à dire cette vérité : bienheureux ceux qui dans leur parcours ont eu la chance de rencontrer Cheick Mouctary Diarra comme aîné. Avec sa disparition, certains garderont le regret de ne s’être pas acquittés entièrement du devoir de reconnaissance contracté à son égard. Car tous garderont de lui le souvenir d’un homme de bien, prodigue de sa bienveillance et de sa prévenance. Cheick n’avait aucune prédisposition à s’ériger en mentor. Il s’efforçait plus simplement d’appliquer à sa manière unique une formule méconnue qu’avait longtemps fait sienne Napoléon : aider ses cadets en leur donnant toute la valeur que ceux-ci peuvent avoir.

Les casse-têtes et les imbroglios – Dans les années 1970, Cheick avait la mission de diriger un service où pendant très longtemps la disette constituait une permanence du quotidien des agents. La presse écrite d’Etat était un parent pauvre à qui le basique manquait depuis le carburant pour les reportages jusqu’au papier pour imprimer le journal. Le fonctionnement était donc une perpétuelle course à recherche d’une solution de raccroc. Course qui aurait été stérile sans l’incroyable carnet d’adresses de Cheick et sans les accommodements qu’il trouvait avec les plus improbables interlocuteurs. De cela aussi, nous devons lui être reconnaissants. Un autre se serait sans doute épuisé à poursuivre l’introuvable et se serait résigné à laisser chavirer la barque L’Essor.

Tel était l’aîné que nous avons perdu. Un homme de bien, mais aussi, comme le rappelait fort justement un de nos jeunes frères, un homme de cœur à qui nous allions spontanément confier non seulement nos soucis professionnels, mais aussi et surtout nos casse-têtes familiaux, nos imbroglios domestiques. Parce que nous n’ignorions pas qu’il s’investirait au-delà de ses propres capacités pour dénouer les situations les moins évidentes. Parce que nous savions aussi qu’il agirait sans nous juger et en espérant que nous saurions nous-mêmes leçon tirer.

D’aucuns affirment que le temps est le meilleur remède au plus profond chagrin. Nous ne sommes pas certains que cette vérité vaille pour le départ de Cheick. Il y aura certainement pour nous des moments difficiles lorsque dans l’épreuve nous nous tournerons pour chercher une main secourable. Et que nous ne trouverons que l’absence.

Que la terre soit légère à notre aîné.

Gaoussou Drabo

PS – Tout au long de cet hommage, j’ai désigné notre aîné par son prénom. Ce n’était pas pour afficher une familiarité de mauvais aloi. Mais pour respecter une habitude que lui-même avait instaurée. Ses jeunes frères s’honoraient de l’appeler ainsi. En y mettant toute leur déférente affection.

L’Essor

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