« Ce n’est donc pas une mauvaise chose en soi que les Français se retirent de notre pays pour que les Maliens se rendent compte qu’ils n’ont pas opté pour le bon choix »
Les faits – Présent au Forum d’Abu Dhabi pour la paix organisé du 8 au 10 février à Nouakchott, l’imam Mahmoud Dicko jouit d’une aura spirituelle qui fait de lui une superstar à chacun de ses déplacements. Le leader religieux, président de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS, lieu de rassemblement de ses fidèles au Mali), a longuement rencontré le président mauritanien Mohamed Ould Ghazouani, des diplomates étrangers, les dignitaires musulmans. A 67 ans, le fer de lance de la contestation de 2020 – qui a conduit au renversement de l’ex président Keïta – critique la stratégie de la junte au pouvoir à Bamako, notamment à l’égard de la France qui n’a pourtant jamais été tendre avec lui.
Les autorités de transition se sont mis à dos une partie de la communauté internationale et sont engagées dans un bras de fer avec la France. Que faire ?
Nous sommes dans une impasse. Je l’ai vu venir. J’ai essayé d’initier une concertation avec les représentants des différentes confessions et les autorités coutumières. L’objectif est de mettre en place un collège des sages pour essayer de raisonner les autorités de transition. Les choses se sont arrêtées à mi-chemin. Il y a des difficultés mais nous avons intérêt à nous mettre ensemble. L’opposition ne reconnaîtra plus la légitimité des autorités à partir du 25 mars. La relation se dégrade avec la France. Est-ce notre intérêt ? Des centaines de milliers de Maliens vivent sur le territoire français. La langue officielle du pays est le français. Notre relation n’est pas banale. Elle est historique et stratégique. Il faut être réaliste même si certaines personnes proches du pouvoir ne souhaitent plus entendre parler de la France et veulent mettre fin à nos relations de manière brutale.
Êtes-vous pour la poursuite de la coopération avec la France ?
On ne peut pas vivre isolé alors que nous appartenons à des organisations régionales comme l’Union économique et monétaire ouest-africaine et avons un lien monétaire avec la France à travers le Franc CFA, ce qui lie nos administrations.
« Vouloir nous imposer une vision française du droit au blasphème est voué à l’échec dans un pays qui compte 98 % de musulmans et s’inscrit dans la culture islamique »
La France s’apprête pourtant à retirer ses troupes du Mali…
Certains ont agi, en coulisse, pour dénoncer l’action de la France et revendiquer une intervention de la Russie. Ces campagnes ont un réel impact sur l’opinion publique. La population n’est pas suffisamment informée des efforts fournis par notre partenaire, malgré le sacrifice des soldats français. Elle a l’impression que rien n’a été fait pour résoudre la situation. Ce n’est donc pas une mauvaise chose en soi que les Français se retirent pour que les Maliens se rendent compte qu’ils n’ont pas opté pour le bon choix. Si le pouvoir sent que l’étau se resserre autour de lui, il devrait reconsidérer son choix. Toutefois, il faut aussi repenser notre manière d’opérer. Les opérations militaires sont dans une impasse. Il faut réfléchir à la dimension politique et sociale de nos problèmes.
Vous aviez trouvé choquantes les caricatures du prophète Mahomet en 2015 après l’attentat de Charlie Hebdo. Est-ce une question abordée cette semaine à Nouakchott avec le diplomate français en charge des Affaires religieuses ?
La perception du blasphème n’est pas la même à Paris et à Bamako. Vouloir nous imposer une vision française du droit au blasphème est voué à l’échec dans un pays qui compte 98 % de musulmans et s’inscrit dans la culture islamique.
Que pensez-vous du partenariat militaire avec la Russie et la société paramilitaire Wagner ?
Il n’est pas interdit d’avoir une coopération militaire d’État à État, comme avec les États-Unis et la Russie, mais les partenariats doivent être assumés et clarifiés. Nous ne devons pas, non plus, oublier que notre partenaire stratégique sur le plan sécuritaire est la France.
Vous aviez été sollicité par l’ex-président Keïta pour négocier avec les jihadistes. Où en est-on ?
Les concertations nationales ont recommandé d’ouvrir un canal de dialogue. Nous avons approché les jihadistes, notamment pour faciliter la libération d’otages, via des émissaires en 2017. Je n’ai pas eu de contact direct avec Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa (NDLR : deux dirigeants du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, GSIM, affilié à Al-Qaïda). Je suis prêt à réactiver ces canaux si l’on essaye de rétablir la confiance entre l’État et les jihadistes. Il serait judicieux de négocier une trêve militaire de six mois à un an avant d’entamer des négociations. Il faudra définir le cadre des discussions et engager un débat doctrinal pour comprendre leur approche de la charia et la manière dont ils conçoivent son application. Ce ne sera pas facile. Ils sont convaincus du bien-fondé de leur action. C’est pour cela qu’il faut mandater des érudits afin de leur faire comprendre que le Jihad qu’il préconise n’est pas la solution.
Le GSIM et l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) s’affrontent violemment au Mali…
Les positions de l’EIGS ne sont pas compatibles avec la construction d’un Etat moderne. Il y a beaucoup de combattants étrangers dans ses rangs qui ne partagent pas nos valeurs ancestrales. Il est donc difficile d’engager des discussions. Avec le GSIM, c’est différent. Ses combattants sont des Maliens qui portent des valeurs de l’islam sur lesquelles nous pouvons discuter même s’ils se sont arrogé le droit de prendre les armes pour dire qu’ils sont les vrais représentants de l’islam. Nous formons un même peuple et nous devons nous concerter. Malheureusement, il n’y a pas de répondant du côté des autorités, notamment de la part du ministère de la Réconciliation nationale. Il faut lancer un processus.
Faut-il modifier la constitution laïque du pays pour introduire la charia comme en Mauritanie ?
A chaque coup d’Etat, on demande le rétablissement des institutions conformément à la constitution. Or celle-ci ne permet pas de rouvrir le débat sur la laïcité. Les gouvernants qui ont dirigé le pays après l’indépendance ont pourtant introduit des nuances notamment dans le code du mariage avant que la constitution de 1992 n’entérine des dispositions radicales en matière de laïcité. Mais la laïcité n’est pas le problème en soi. Les Maliens sont surtout confrontés à un problème de gouvernance, à la corruption et ne croient plus en leur justice. C’est la raison de leur divorce avec les gouvernants. Cela a ouvert la voie à des revendications pour l’application de la charia, via une justice traditionnelle. La démocratie et l’état de droit ne se sont pas traduits en actes alors que les Maliens vivent l’injustice sociale, subissent le népotisme et le clientélisme de leurs dirigeants. C’est le mal du pays. Pour le reste, on devrait pouvoir trouver les aménagements nécessaires en bonne intelligence sans porter atteinte au caractère républicain et laïc du Mali.
Source : L’opinion