L’Assemblée générale de l’ONU, fin septembre 2022, a été l’occasion pour les délégations des pays d’Afrique de réclamer davantage de place pour le continent africain à l’ONU. En effet, l’Afrique comprend aujourd’hui 1,4 milliards d’habitants (plus que la Chine), et comptera en 2050 plus de 2 milliards d’habitants. Or, l’Afrique ne dispose pas de siège permanent au Conseil de Sécurité.
On parle depuis plus de 40 ans d’une réforme du Conseil de Sécurité, mais elle tarde à prendre forme. Il s’agit de mettre fin à la configuration actuelle, qui date de 1945 : les cinq États considérés comme les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale (France, Royaume-Uni, États-Unis, Chine, Russie) disposent d’un siège permanent au Conseil de Sécurité et du droit de veto. Ce privilège apparaît de plus en plus anachronique et injustifié, près de 80 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale. De plus, le veto a, en bien des cas, paralysé l’ONU. Le veto ou la menace de veto, brandis par la Russie ou la Chine, ont ainsi récemment empêché l’ONU d’intervenir dans un but pacificateur, en Syrie ou en Ukraine.
Il est donc urgent de donner plus de place à l’Afrique à l’ONU. Cela pourrait passer par l’attribution d’un siège de membre permanent au Conseil de sécurité à un pays d’Afrique, par exemple le Nigéria, pays le plus peuplé d’Afrique avec 190 millions d’habitants, ou encore l’Afrique du Sud, pays émergent. Cela pourrait passer alternativement par un élargissement du nombre de membres du Conseil de sécurité (actuellement de 15 États membres : 5 permanents + 10 non permanents, qui tournent par roulement) : parmi les membres non permanents du Conseil, actuellement, 3 sont réservés à l’Afrique. On pourrait élargir ce nombre à 5 ou 6 sièges non permanents pour l’Afrique, en élargissant donc le nombre de membres total du Conseil à 17 ou 18 membres.
Une telle réforme est d’autant plus indispensable que l’Afrique est au centre des actions de l’ONU : en effet, parmi les 16 opérations de maintien de la paix (OMP) de l’ONU en cours actuellement dans le monde, 9 ont lieu sur le sol africain, avec au total plus de 80 000 casques bleus de l’ONU déployés en Afrique. De plus, 50 % des questions à l’ordre du jour du Conseil de sécurité, et même 70 % des questions inscrites au titre du chapitre VII de la Charte de l’ONU (ce chapitre concerne les actions à mener en cas de menace contre la paix, rupture de la paix ou acte d’agression), concernent l’Afrique.
En outre, l’Afrique est un continent au cœur de tous les enjeux actuels, dans le cadre de la mondialisation et du changement climatique. En effet, l’Afrique a beaucoup de potentialités pour réaliser le développement durable, qui est l’objectif de l’ONU pour 2030 (les 17 Objectifs du développement durable, les ODD) : elle est le continent le moins pollueur du monde ; de plus, avec son ensoleillement, elle pourrait, avec des panneaux solaires, produire de l’électricité, énergie propre, électricité qui fait toujours défaut à pas moins de 600 millions d’Africains ; également, pour le développement durable et la reforestation, certains projets africains, comme celui de « Grande Muraille Verte » en lisière du Sahara, font figure de modèle et gagneraient à être étendus à d’autres régions du monde. Enfin, les problèmes géopolitiques qui touchent l’Afrique, comme celui du terrorisme, sont des problématiques qui concernent le monde entier. Avec la mondialisation, les grands problèmes mondiaux, que ce soit le terrorisme, le phénomène des mafias, de l’évasion fiscale, du blanchiment d’argent, mais aussi la pollution et le réchauffement climatique, ou encore l’enjeu de l’accueil des flux croissants de réfugiés, transcendent les frontières étatiques, ce sont des problèmes transnationaux, les « problèmes sans passeport » comme les appelait Kofi Annan. Concevoir ces défis dans un cadre international, mondial, comme le fait l’ONU avec ses 194 États membres, est donc l’échelle la plus adaptée, et l’Afrique a un grand rôle à jouer dans cette action. Il faut donc, comme l’exprimait fin septembre 2022 Macky Sall, président du Sénégal et président de l’Union africaine, repenser le multilatéralisme, refonder la gouvernance mondiale sur une base plus démocratique, et cela passe par l’impératif de donner une plus grande place aux pays africains. Il a d’ailleurs réclamé aussi un siège pour l’Union africaine au G 20.
Plusieurs pays, comme le Japon, soutiennent cette réclamation de l’Afrique de jouer un rôle accru à l’ONU. La France a elle aussi une position progressiste aussi à l’ONU, réclamant depuis plusieurs années que l’usage du veto soit suspendu lorsqu’on traite, à l’ONU, de situations où des crimes de masse sont en cours. En effet, le veto paralyse l’ONU, l’empêche d’intervenir efficacement sur les terrains de conflits du monde. La France fait figure de modèle à cet égard, n’ayant pas utilisé son droit de veto depuis 1989.
L’Afrique mériterait donc d’être davantage représentée au Conseil de sécurité de l’ONU, mais aussi d’accueillir sur son sol davantage d’agences, de programmes et de conférences ou grands sommets de l’ONU, à l’image du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), basé à Nairobi (Kenya) depuis sa création en 1972. Lutter contre la fracture numérique, la fracture sanitaire et la fracture économique mondiale, notamment en Afrique, est une action urgente de l’ONU, et cette institution internationale, la plus démocratique et donc la plus légitime au monde, devrait aussi recevoir de la part des pays riches davantage de financement pour mener à bien ces missions essentielles.
Chloé Maurel
Historienne, rédactrice en chef de la revue Recherches internationales