Contrairement à d’autres secteurs où la pandémie de covid-19 a sérieusement impacté, le secteur de la justice résiste tant bien que mal. Dans un entretien qu’il a bien voulu nous accorder, le Procureur général près la Cour d’Appel de Bamako, Idrissa Arizo Maïga, apporte un témoignage. « Si on doit vivre avec, il faut prendre les mesures, respecter les mesures barrières et faire son travail normalement… La covid, en fait, n’a pas eu, en tout cas cette année, d’effet négatif sur le rendement des juridictions et au niveau de la Cour d’appel et au niveau des tribunaux de première instance, parce qu’à un moment donné, quand il ya eu la covid, il a fallu désengorger les prisons, donc on a obligé les juridictions d’instances à faire des audiences extraordinaires», a déclaré le Procureur général. Cela ne déplaît pas au Réseau Média et Droits de l’Homme (RMDH) qui mène un «Projet de protection et de promotion des droits de l’Homme en riposte au COVID-19 au Mali », en collaboration avec la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH) et la DDHP (Division droits de l’Homme et de la protection) de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali). L’objectif principal de ce projet est de montrer l’importance de l’intégration de la dimension « droits de l’Homme » dans la prévention, la réponse et le relèvement face à la COVID-19 au Mali, à travers une couverture cohérente et plus précise de la question des droits de l’Homme. Notre entretien avec le procureur!
Le Républicain : Quel est l’impact de la pandémie de COVID 19 sur le traitement et le jugement des affaires par les cours et tribunaux ?
Idrissa Arizo Maïga : Nous avons encadré les jugements et les audiences. Il était question des mesures générales qui concernaient tout le monde. Nous avons ainsi réduit le nombre d’audience, mais immédiatement, deux mois après, les audiences au niveau des tribunaux de première instance et même au niveau de la Cour d’appel ont été normalisées. Si on doit vivre avec la covid-19, il faut respecter les mesures barrières édictées par les autorités sanitaires et faire son travail normalement. Au niveau de la Cour d’appel, les audiences correctionnelles et civiles qui se passent une fois par semaine se sont normalisées très rapidement. Mais les audiences qui n’ont pas pu se normaliser tout de suite sont celles de la Cour d’assises. C’est pourquoi nous avions envisagé de prendre deux mois d’affiler pour la Cour d’assises pour rattraper le retard, parce que nous avons manqué la première session. Habituellement la première session de la Cour d’assises se fait le premier trimestre. En général, on fait au minimum trois session de la Cour d’assises dans l’année. Puisqu’on a manqué le premier trimestre et qu’on était au mois d’août (début du troisième trimestre) et puisqu’on avait des affaires qui étaient déjà programmées qui n’avaient pas été jugées, il a été jugé de nécessaire de prendre deux mois d’affiler d’audiences. Donc toutes les audiences qui étaient en instance pour la Cour d’assises ont été prises. Et les deux mois devaient prendre fin le 31 octobre 2020. Mais après réflexion, puisque les dossiers qui étaient en instance étaient ressortis, nous avons décidé de proroger jusqu’au 10 décembre 2020, ce qui fait trois mois et demi d’affiler de Cour d’assises. Cela ne s’est jamais passé. Les Cours d’assises durent généralement un mois et 15 jours. Compte tenu des circonstances, nous sommes en train de faire trois mois et demi d’affiler de Cour d’assises. C’est-à-dire tous les dossiers qui sont en instance d’être jugés, surtout les dossiers dans lesquels il y a des détenus. On a jugé pratiquement une bonne partie et s’il plaît à Dieu, le 10 décembre 2020, ce sera la clôture. Donc, on aura fait trois mois et 15 jours de Cour d’assises. Comme on dit que le temps perdu ne se rattrape jamais, nous pensons qu’on a rattrapé et on a même dépassé les prévisions de l’année en cours. A quelque chose, quelque part malheur est bon. Et c’est dû à l’engagement et à la détermination de l’ensemble des acteurs. Les juges se sont montrés très disponibles pour les jugements et au cours de cette session, il y a eu de grosses affaires de terrorisme, de grosses affaires criminelles et beaucoup de condamnations, et je crois que c’est le record des condamnations à mort dans cette session. En plus des affaires de terrorisme, il y a des affaires d’assassinats très graves, comme par exemple le cas des chasseurs. On fera le point à la fin de la session, mais je crois que c’est une session à laquelle pendant les trois mois et demi, c’est le plus grand nombre de condamnés à mort parce qu’il ya des infractions très graves, des assassinats très cruels qui ont été commis en dehors même du terrorisme. Par exemple, les chasseurs qui ont tué gratuitement deux individus dans la zone de Kangaba ont écopé de la peine de mort. Il y a eu beaucoup de cas de peine de mort. Dans notre législation, la peine de mort existe, on est obligé de l’appliquer s’il n’y a pas de circonstances atténuantes. La covid, en fait, n’a pas eu, en tout cas cette année, d’effet négatif sur le rendement des juridictions et au niveau de la Cour d’appel et au niveau des tribunaux de première instance parce qu’à un moment donné, quand il ya eu la covid, il a fallu désengorger les prisons, donc on a obligé les juridictions d’instances à faire des audiences extraordinaires. Elles ont fait des audiences extraordinaires, ce qui a renforcé l’activité des juridictions.
Vous évoquiez tantôt la réduction du nombre d’audiences à un moment donné, cela s’est passé quand exactement ?
Cela s’est passé dans les trois premiers mois de la covid. On a conseillé au gens de prendre certaines dispositions, ce qui a consisté à réduire les audiences. Il s’agissait exactement des trois premiers mois de la pandémie. Après ces trois mois les audiences se sont normalisées. Il ya beaucoup d’engagement. Même la session d’assises en cours, les gens ont montré de l’engouement. L’attitude des conseillers, des juges de la Cour, c’était vraiment impressionnant. Les gens se plaignaient même de ne pas pouvoir monter, chose qu’on ne verra jamais dans une assise. C’est très important et il dénote l’engouement des gens. Si nous continuons ainsi, nous aurons de meilleurs résultats.
La Cour d’appel a-t-elle été atteinte par la pandémie de covid-19?
Non, pas du tout. On a rappelé aux gens le respect des mesures barrières. Ici, on a respecté systématiquement les mesures barrières. Le respect des mesures barrières est automatique chez nous. Souvent, il y a des justiciables qu’on renvoie carrément se protéger avant d’entrer dans les bureaux.
Propos recueillis par Aguibou Sogodogo
Source: Le Républicain- Mali