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Ibrahim souhaite apporter toutes ses compétences au Maliba

Alors que le Mali Kura, le Mali nouveau, est à construire, Ibrahim souhaite apporter toutes ses compétences au Maliba, son pays, qui lui a tout donné.

 

 

Au moment des indépendances, je n’étais qu’une jeune enfant, loin de toute information concernant les colonies françaises. J’ignorais ce qui se passait en Afrique subsaharienne. La guerre d’Algérie avait des implications visibles à Paris, mais j’étais si petite que je n’y comprenais pas grand-chose. C’est en cours d’Histoire que, plus tard, la version officielle m’a été enseignée. Jeune adulte, j’ai pris conscience que l’Histoire coloniale m’avait été contée par le chasseur. Les années passant, j’ai lu de nombreux ouvrages rédigés par des Africains qui analysaient cette colonisation. J’ai approfondi les notions développées par les pères fondateurs. J’ai adhéré à des mouvements militants panafricanistes qui œuvraient à rétablir la vérité sur leur anéantissement.

 

 

Dernièrement, l’ampleur de la falsification historique m’a, à nouveau, sauté aux yeux, alors que je regardais l’émission de Olivier Enogo, African Chronicles, cette fois-ci consacrée à l’avènement de l’indépendance de la Guinée Conakry. Sur place, il avait retrouvé les témoins de l’époque. Ils expliquaient ce que les Guinéens avaient vécu. Ils détaillaient ce que l’administration coloniale avait osé faire avant de quitter le pays, après le NON au Général de Gaulle. J’écoutais ces gens, médusée de découvrir les forfaits destructeurs des responsables politiques français d’alors. Chose rare, cette émission donne la parole aux lions, victimes du chasseur qu’était la France coloniale. Je me suis dit qu’il était temps d’en savoir plus sur la vie quotidienne au Mali d’avant l’indépendance, et au cours des années qui suivirent. Tout naturellement, j’ai échangé avec un de mes aînés maliens, afin qu’il me raconte, non pas la grande Histoire, mais ses propres souvenirs d’enfance.

 

 

Né en 1945, à Kita, dans la région de Kayes, Ibrahim était le 1er enfant de sa mère, et le 5ème  fils de son père. Son acte de naissance fut signé par Joseph Marie DOTTORI, «Administrateur de 1ère classe des colonies, médaillé militaire, croix de guerre avec palme et étoiles», Commandant de Cercle de Kita. Ses parents ne s’exprimaient qu’en bamanan. Adulte ou enfant, chacun se savait Soudanais français. En ville, il voyait les Blancs circuler en voiture, mais il ne les croisait que très peu. Ils étaient commandants de cercle, responsables des fonctionnaires, ou commerçants en gros des productions locales. Leurs femmes et leurs enfants étaient parfois restés en Europe, ou vivaient auprès d’eux, loin des yeux de la population. À Kita, il y avait 3 écoles. L’école de la mission catholique, l’école de jeunes filles, et l’école régionale pour garçons, où Ibrahim entra à l’âge de 7 ans, en 1952. Il savait comment les choses allaient se passer, car ses grands frères étaient déjà scolarisés. Ils lui avaient expliqué que l’instituteur, un jeune malien, ne lui parlerait que français, car aucune langue régionale n’y était tolérée. Il y avait 6 niveaux d’enseignement, de vrais locaux, des tables, et des bancs sur lesquels se serraient entre 70 et 100 élèves par classe. Personne ne portait l’uniforme. De bonne heure chaque matin, avant le début de la classe, comme tous les enfants, il passait chez un oncle ou un voisin, pour recevoir un enseignement coranique.

 

 

En CP1, il apprît à compter et à lire sur le tableau. Pas de livres, pas de cahiers, juste une ardoise, et des bâtonnets qu’il avait dû confectionner avec du bois ramassé à la maison. Des mois lui furent nécessaires pour comprendre ce que l’instituteur faisait répéter à haute voix. Il faisait régner une discipline de fer, mais il avait toujours des branchages à portée de main pour fouetter les rares enfants qui ne respectaient pas son autorité. C’est en CP2, CE1 et CE2, avec le manuel «Mamadou et Bineta», qu’Ibrahim découvrît le livre, et l’écriture. Il se reconnaissait dans les histoires de Mamadou et Bineta, car le village, les ustensiles, les personnages, les aventures, tout y était africain. Ibrahim se souvient de la punition infligée à celui qui osait parler autre chose que le français. On lui accrochait au cou le «symbolier», cette planchette de bois dans laquelle avait été découpée la forme d’un âne. Tout le monde l’a porté un jour ou l’autre. On le gardait au cou, jusqu’à ce qu’un autre petit soit puni à son tour pour un mot prononcé en langue locale. À la maison, Ibrahim avait toujours écouté les anciens raconter l’Histoire des Empires de la Région. En CM1 et CM2, il commença à apprendre celle racontée dans les livres des Blancs, celle de l’Empire colonial français, de l’Afrique à l’Indochine. Ces deux années d’enseignement étaient difficiles, car il fallait se préparer pour l’examen du certificat d’études, et pour le concours qui permettait d’entrer au collège, où les plus studieux resteraient jusqu’à la terminale. Il n’était pas rare de redoubler une fois, même deux, avant d’y parvenir.  Il n’y avait pas de collège à Kita. Ibrahim a donc quitté sa ville natale pour s’installer à l’internat du collège technique de Bamako, en 1959. Les professeurs étaient blancs. Les élèves étaient Soudanais français. Tout était fourni, le logement, l’enseignement, les livres, les cahiers, l’habillement et la nourriture. Chaque petit recevait un billet aller-retour gratuit pour rentrer en famille, une fois par an. Depuis 1958, la Fédération du Mali était en route, les adultes en parlaient sans doute entre eux, mais Ibrahim et ses jeunes camardes de promotion, quoique conscients qu’un changement était en cours, car ils entendaient ce qui était dit à la radio, ne mesuraient pas l’importance de la période qu’ils vivaient.

 

 

Ibrahim, au Mali, comme moi, en France, n’avions pas la maturité des enfants d’aujourd’hui. Ibrahim regrette que même le 22 septembre 1960 ne lui ait laissé aucun souvenir personnel. À la rentrée suivante, rien n’avait changé au collège, les enseignants blancs étaient toujours là. Des professeurs russes, venus d’URSS, arrivèrent petit à petit pour enseigner les matières techniques. Ceux qui ne parlaient pas français étaient secondés en classe par un interprète. Le russe fut introduit dans le programme, comme langue étrangère. Après le collège, les jeunes n’avaient pas le choix, s’ils voulaient bénéficier d’un enseignement spécialisé, ou supérieur, ils devaient partir étudier à l’étranger. Après l’obtention de son diplôme de fin de terminale, Ibrahim apprit que le Ministère malien de l’Education nationale offrait des bourses pour étudier en URSS. Sans vraiment se rendre compte de ce que cela entraînerait comme changement dans sa vie, Ibrahim n’hésita pas une seconde. Son ancien instituteur, devenu surveillant général à l’ETP, l’Ecole des Travaux Publics, lui fournit le formulaire de candidature. Ibrahim alla, lui-même, le déposer au ministère. Il fut sélectionné avec 39 autres jeunes gens. Trois mois plus tard, ils s’envolaient loin du Mali, vers l’URSS. Avec 19 compagnons, il  fut dirigé vers Minzk, aujourd’hui en Biélorussie. Pour les 20 autres, ce fut  Tashkent, en Ouzbekistan.  La première année à la faculté préparatoire fut consacrée à parfaire leur maîtrise du russe, et à améliorer leurs compétences dans toutes les matières. Logés en internat au foyer des étudiants de l’université, ils recevaient 90 roubles mensuels qui leur permettaient de couvrir tous leurs autres frais. À la fin de cette année préparatoire, Ibrahim fut dirigé vers le Technicom de Léningrad, où il passa 4 ans à se spécialiser en métallurgie pour devenir professeur. Ses compagnons d’études venaient d’Afrique, mais aussi de Cuba et du Vietnam. Tous les 2 ans, ils bénéficiaient d’un aller-retour gratuit pour rentrer chez eux. C’est à l’Ambassade du Mali à Moscou, que les étudiants maliens allaient récupérer leur billet d’avion. En 1969, diplômés, ils rentrèrent au pays. Ibrahim décida de se porter à nouveau candidat pour une bourse de 2ème  cycle en URSS. Il repartit à Minsk. En 1974, il sortit ingénieur en métallurgie. Jamais il n’avait envisagé de vivre ailleurs qu’au Mali, mais la vie en décida autrement. C’est à Paris qu’il vit encore, quarante ans plus tard. Il est toujours revenu à Kita. Il ne regrette rien. Mais, aujourd’hui, alors que le Mali Kura, le Mali nouveau, est à construire, il souhaite apporter toutes ses compétences au Maliba, son pays, qui lui a tout donné.

Françoise WASSERVOGEL

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