Mali Tribune : Anéfis, Aguelhok, Tessalit et Kidal. La Minusma poursuit son retrait. Comment vous expliquez cela ?
Ibrahim Harane Diallo : Ce retrait de la Minusma intervient à la suite d’une demande de retrait de l’Etat du Mali formulée en juin dernier par le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Abdoulaye Diop devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Mais ce qui a précipité le retrait de la mission de Kidal au 31 octobre s’explique par deux raisons fondamentales : la première raison est liée à la recrudescence de l’insécurité au niveau des localités du Nord du Mali, où la Minusma est présente. Ce regain de tension vient d’une part des groupes armés de la CMA et d’autre part des groupes terroristes. Donc cette recrudescence de l’insécurité dans la zone a précipité le départ de la Minusma à Kidal, selon les communiqués de la force onusienne au Mali.
La deuxième raison est liée au fait que les autorités de Bamako n’ont pas accordé des autorisations de vol à la mission. Ce refus de la part de Bamako a été une raison soulevée par la Minusma, ce qui a fait qu’elle apporte un changement dans le calendrier initial.
Mali Tribune : Ce retrait de la Minusma au Mali est révélateur de quoi ?
I H. D.: Ce retrait est révélateur d’une crise profonde entre la Minusma et le pays hôte. Le cas du Mali est historique dans l’histoire des opérations de maintien de la paix en Afrique au sud du Sahara. Quelque part aussi, ce retrait est révélateur de la nécessité d’aller vers des réformes au niveau du Système des Nations unies. Depuis 1992, l’ancien secrétaire général des Nations unies, Boutros Boutros-Ghali l’avait clairement exprimé à travers un rapport qui est devenu aujourd’hui l’agenda pour la paix.
Il a mentionné la nécessité d’aller vers des réformes profondes du Système des Nations unies, notamment en termes de mandat et niveau de responsabilisation par rapport à la nature des opérations des chapitres (6 et 7), comment le mandat doit s’adapter sur le terrain de la belligérance, c’est-à-dire si le mandat doit être offensif ou défensif.
Pour le cas du Mali, beaucoup de demandes sociales et politiques ont été formulées pour que la Minusma soit plus robuste. Je pense qu’il faut aller vers des réformes pour prendre en compte l’aspect terrorisme. En plus, il y a eu une crise de communication par rapport à la Minusma. Une des publications de l’Observatoire sur la prévention et la gestion des crises au Sahel était sur la doctrine de communication de la mission. Il y a eu une limite en matière de communication sur le mandat de la Minusma. D’ailleurs, nombreux sont les Maliens qui estiment que la Minusma n’a pas fait assez en matière de lutte contre le terrorisme alors que son mandat n’était pas un mandat de lutte contre le terrorisme.
Mali Tribune : Plus de 10 milliards de dollars injectés dans cette force onusienne pour la paix au Mali. Quel bilan vous dressez ?
I H. D.: Lorsqu’on s’en tient uniquement au mandat de la Mission des Nations unies, je ne dirai pas que le bilan est négatif. A la limite, je peux même dire que c’est un bilan mitigé. Les Nations unies sont intervenues au Mali en 2013 avec un mandat divisé en deux grands points. Le premier point, c’est de s’interposer entre les deux belligérants, à savoir les Forces armées maliennes et les ex-rebelles par la création d’une zone tampon.
Si on analyse ce premier aspect du mandat de la Minusma, on ne peut pas parler de bilan négatif. Parce que depuis l’intervention des Nations unies au Mali depuis 2013 à 2023, il n’y a pas eu de belligérance entre l’armée malienne et les ex-rebelles de façon directe.
Le deuxième aspect de la Minusma c’était d’aider le régime transitoire de l’époque à aller vers un retour à l’ordre constitutionnel à travers l’organisation des élections libres, transparentes et crédibles. Si on prend en compte ces deux aspects du mandat de la Minusma, je ne dirai pas que le bilan est négatif. Elle a fait beaucoup de choses pour rapprocher les deux parties pour qu’elles ne s’affrontent pas. Elle a œuvré aussi en termes d’appui de la mise en œuvre de l’Accord de paix même si à ce niveau le tableau n’est pas très reluisant. Elle a fait ce qu’elle a pu faire, certainement. Mais le montant injecté est nécessaire. Ce qui est problématique, si les moyens sont injectés et qu’il n’y a pas de résultat.
Mali Tribune : Selon vous que retient le Malien lambda de la Minusma en termes d’images ?
I H. D.: L’image que les Maliens ont encore de la Minusma, c’est l’image d’une mission inefficace qui, au terme de dix ans, n’est pas parvenue à lutter contre l’insécurité et le terrorisme au Mali. La deuxième image, pour les Maliens, la Minusma serait une mission en complicité avec la France pour déstabiliser le Mali.
L’opinion publique aussi s’est construite sur la base des images qu’on souhaite acquérir. Ces trois dernières années, l’espace public malien a été miné par un type de communication spécifique à la limite de la propagande. Ces types de communication ont largement contribué à former l’opinion publique malienne.
Mali Tribune : Quel avenir pour les autres missions onusiennes en Afrique (RDC, RCA…) ?
I H. D.: Ce qui se passe au Mali est l’effet contagieux au niveau des pays du Sahel d’abord notamment le Burkina et le Niger et au-delà même de certains pays des grands Lacs tels que la République démocratique du Congo et la Centrafrique risquent d’aller dans le même sens que ce qui se passe au Mali par rapport à la Mission des Nations unies.
Le Congo a déjà demandé le retrait de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco). Le 16 octobre dernier, il y a eu une rencontre au niveau du Conseil de sécurité pour élaborer un plan global sur le retrait de la mission des Casques bleus au Congo.
La présence de Wagner en Centrafrique n’est pas de nature à rendre les opérations onusiennes sans problèmes. On peut entrevoir l’avenir de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (Minusca). En d’autres termes, les Nations unies doivent aller vers des réformes sur le plan opérationnel et communicationnel pour que les missions puissent s’effectuer dans des conditions les meilleures pour atteindre les objectifs qu’elles se fixent.