Avec ses 50 000 places assises, le Stade du 26 Mars de Yirimadio a refusé du monde le dimanche 10 février 2019. Les fidèles des différentes associations musulmanes et des leaders religieux ainsi que des individus mobilisés par l’opposition ont répondu présents par milliers à l’appel du président du Haut Conseil islamique (HCI). On pouvait lire sur les pancartes «stop à la démagogie de la France» ou encore «oui à la peine de mort» et «oui à une bonne gouvernance». Loin d’être une rencontre de «prière» pour le pays, comme prêché par l’imam Mahmoud Dicko, le meeting a vite glissé sur le terrain politique avec l’exigence de la démission du Premier ministre qui le dérange visiblement, lui et son allié de circonstance, l’énigmatique Chérif Bouyé Haïdara de Nioro.
Plus de 60.000 personnes au Stade du 26 mars de Bamako pour «prier pour le Mali et interpeller le gouvernement». Ce n’est pas la forte mobilisation à ce meeting qui nous inquiète. Mais, l’exploitation politicienne qui a été faite d’une action supposée être juste un devoir religieux. Visiblement, le meeting de dimanche n’avait qu’un seul objectif : contraindre le président Ibrahim Boubacar Kéita à démettre Soumeylou Boubèye Maïga de son poste de Premier ministre !
En effet, initialement prévu comme un évènement de prière et de bénédiction pour le Mali, ce meeting a très tôt pris les allures d’un front de dénonciation, d’accusation, de malédiction fortuite, d’intimidation du régime en place. Ainsi, si les porte-parole des autres courants et représentants des femmes et jeunes ont formulé des vœux pour le pays tout en alertant les plus hautes autorités sur certaines dérives qui entravent de nos jours les bonnes mœurs et les valeurs sociétales de notre pays, celui du Chérif de Nioro n’est pas passé par quatre chemins pour cracher le venin du controversé leader religieux.
«Le chérif de Nioro a demandé à IBK de virer son Premier ministre pour se sauver, sauver ses proches et sa famille…», a martelé le porte-parole de Bouyé. Pour lui, c’est à cette seule condition, que le locataire actuel de Koulouba, pourra échapper au combat qu’il a décidé de lui livrer. Dans la même veine, le chérif de Nioro, par la voix de son envoyé, a proféré de nombreuses menaces contre le président de la République. «Si IBK, ne m’exauce pas, le jour où je vais me lever, il le saura .Je serai contre ton régime jusqu’à ce que tu te débarrasses du Premier ministre Boubèye Maïga», a-t-il menacé.
A propos de cette déclaration du chérif de Nioro, l’imam Dicko a soutenu que «si IBK n’écoute pas le message de Bouyé d’une manière, il l’écoutera autrement».
Nous ne sommes pas dans une République islamique. Et même si tel était le cas le Chérif de Nioro et Mahmoud Dicko ne sont ni des prophètes (telle est leur prétention) a plus forte raison Dieu.
Nous ne sommes pas quand même dans un Khalifa (Califat) ou une monarchie du Golfe. Le Mali est une République démocratique, mais laïque avec une répartition claire des rôles et missions.
Dicko sur les traces des «Frères musulmans»…
Sous la direction de Mahmoud Dicko, le Haut conseil islamique (HCI), est en train de glisser sur un terrain dangereux qui n’augure rien de bon pour la République. En effet, ce que le HCI est en train de devenir, rappelle «Les Frères musulmans» (Egypte), le Hamas (Palestine) ou le Hezbollah au Liban.
Le hic, c’est que le président du HCI/Mali ne défend ni la religion ni le peuple. Il se bat pour ses propres intérêts, pour se complaire dans un luxe arrogant que rien d’autre ne peut lui garantir en dehors de la surenchère politique, le chantage.
En effet, il est entré en dissidence contre le président Ibrahim Boubacar Kéita et Soumeylou Boubèye Maïga quand il a été mis fin à sa Mission de bons offices. Cette commission avait été mise en place par le Premier ministre Abdoulaye Idrissa Maïga pour ramener sur la table des négociations les différents groupes armés en conflit dans la région de Kidal, obtenir définitivement un cessez-le-feu et favoriser le retour définitif de l’administration malienne à Kidal. Officieusement, il s’agissait d’ouvrir des négociations discrètes avec les groupes terroristes, notamment les chefs terroristes Iyad Ag Ghali et Ahmadou Koufa comme l’avait recommandé la Conférence d’entente nationale.
Curieusement, les attaques du leader religieux (???) ont commencé le lendemain de la nomination de Soumeylou Boubèye Maïga en qualité de Premier ministre, le 30 décembre 2017. Après sa prise de fonction et la formation de son gouvernement, SBM a supprimé la Mission des bons offices piloté par Mahmoud Dicko. Et depuis, l’imam Dicko ne rate aucune occasion pour lancer des piques au locataire de Koulouba, qui vient de renouveler son bail pour un second et dernier mandat (contre la volonté de Dicko).
La Commission dotée d’un budget conséquent de plusieurs centaines de millions de F Cfa (700 millions selon des sources indépendantes) n’a, en réalité, jamais eu l’assentiment du président IBK qui l’a accepté sur insistance de Abdoulaye Idrissa Maïga. Cette structure supprimée, Mahmoud Dicko s’est donc retrouvé au chômage, au banc du processus de paix et de réconciliation nationale.
Une situation intenable pour l’imam qui, en dehors des avantages financiers, avait aussi une opportunité de remettre en selle Iyad Ag Ghali, qui veut réaliser par les armes et dans le sang son rêve à lui : une République islamique ! En effet, Mahmoud est un sunnite pur et dur qui rêve toujours de se servir de la religion pour acquérir des responsabilités politiques.
C’est pourquoi il était très actif sur le front qui voulait contraindre IBK à démissionner avant la fin de son mandat. Ce qui allait conduire le Mali vers une nouvelle transition politique. Et naturellement qu’il se voyait jouer un rôle primordial dans les instances dirigeantes de cette période intérimaire.
Un habitué du chantage politique pour se payer la tête de ceux qui menacent ses intérêts
Céder au chantage de Mahmoud Dicko et du Chérif Bouyé Haïdara serait la pire des erreurs politiques de la carrière d’IBK. Il est temps qu’on arrête d’amuser la galerie que chacun soit réellement remis à sa place. Et surtout que l’imam n’est pas à son coup d’essai. En effet, il y a deux ou trois ans, il avait réclamé et obtenu la tête de Daniel Tessougué, un magistrat vertueux limogé de son poste de Procureur général après avoir accusé l’imam de faire l’apologie du terrorisme.
«C’est un message de Dieu que les maîtres du monde, qui sont en train de faire la promotion de l’homosexualité, doivent comprendre. On ne s’en prend pas à Dieu en toute impunité», avait pourtant publiquement déclaré le président du HCI, justifiant et cautionnant l’attentat perpétré contre l’hôtel Radisson Blu de Bamako. Des propos jugés intolérables par le Procureur général déchu par la suite.
Déjà en 2009, sous sa tutelle, le HCI avait obtenu le renvoi en 2e lecture du Code de la famille adopté par l’Assemblée nationale, à travers l’organisation de manifestations de masse. Et le président IBK doit tirer les enseignements de précédentes décisions assez critiquées. Continuer à céder au chantage politique des religieux ne peut qu’envoyer «un signal brouillé» de sa détermination à lutter contre l’islam radical qui est le terreau fertile du terrorisme.
Sans compter qu’il est personnellement plus redevable aujourd’hui à Soumeylou Boubèye Maïga qu’à Bouyé et Mahmoud. Ces derniers, acquis sans gêne à l’opposition, n’ont pas ménagé leur pression et leur aura pour l’empêcher de briguer un second mandat.
Alors que SBM lui a non seulement permis d’organiser la présidentielle, donc d’éviter au pays un périlleux vide constitutionnel, mais il est aussi l’un des principaux artisans de sa réélection. Ce que ne lui pardonneront jamais le Chérif et l’imam ainsi que les opposants au service desquels ils sont. Ils lui en veulent parce que Soumeylou les a empêchés d’humilier IBK comme ils le projetaient.
Dans la vie d’une nation, aucun homme ou aucune femme n’est indispensable à un poste de responsabilité. Mais, la reconnaissance est aussi un fondement de l’excellence et de la fidélité indispensable dans les relations à ce niveau !
Hamady Tamba
Le Matin