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IBK après six années à Koulouba : Le Mali à la croisée des désillusions et promesses mal tenues

En six années aux commandes de la magistrature suprême, l’ancien président de l’Adema et fondateur du Rpm, l’actuel parti présidentiel, aura fini de justifier tous les préjugés ayant milité à sa défaveur comme prétendant à la succession d’Alpha O Konaré. Arrivé à Koulouba par concours de circonstances, dans une ferveur populaire mesurable à l’ampleur des attentes et de la déroute infligée par la rébellion et l’occupation djihadiste, l’homme providentiel annoncé a regrettablement raté sa part de tournant historique. Il s’est littéralement effiloché devant la taille des défis et, au lieu de la reconstruction tant espérée de l’Etat malien mis en lambeau par la crise, il n’a pu offrir à ses concitoyens qu’une montagne infranchissable de désillusions et d’espoirs déçus. Pas parce que le relais lui a été mal passé – ou qu’il n’a «pas hérité d’un État» comme il aime le ressasser à l’envi – , mais fort vraisemblablement parce qu’il est entré du mauvais pied dans sa partition et qu’à son arc manquait la pleine mesure des enjeux.

 

– Un président parti du très mauvais pied  

Une lecture différente aurait pu s’imposer à l’opinion si les mauvaises approches n’avaient eu raison du traitement des questions les plus substantielles. Il en a ainsi été de la problématique du Nord sur laquelle le pouvoir nouvellement installé a inutilement soufflé le chaud et le froid, avant de se résoudre à des négociations au rabais avec des «hommes en armes», d’être ainsi contraint d’échanger son cheval borgne contre un aveugle, en avalant à Alger un Accord de loin moins judicieux que celui ayant contribué à le faire élire, le pré-accord de Ouagadougou.

Il lui était pourtant loisible d’éviter à son peuple pareil destin dramatique, pour peu que les ardeurs populistes et l’auto-mystification ne l’eussent emporté sur les intérêts bien compris d’un pays qu’il dit pourtant aimer comme on aime sa tendre moitié. Et, par-delà les tours et détours alchimistes pour faire passer du mica blanc pour du diamant – présenter «le processus d’Alger comme «le meilleur deal jamais conclu avec une rébellion malienne» -, la réalité crève le plafond : des pourparlers résultant d’une aventure militaire infamante à Kidal ne pouvait émerger une totale reprise de main de l’Etat central sur l’ensemble du territoire national. En attestent pour le moins une demi-décennie d’absence de l’armée et de l’administration au septentrion, d’instauration d’un régime de non-droit   ainsi que leur cortège de carence de services sociaux que ne comblent guère les projets onusiens qui écument cet endroit. L’achoppement de l’Accord d’Alger sur les difficiles réalités (et peut-être sur l’impossibilité tout simplement d’application) est passé par là, faisant le lit de phénomènes assez contagieux pour se propager dans le reste pays. C’est le cas du Delta Central où la hantise de l’insécurité est sur le point de faire oublier le Nord, tant par les exploits macabres d’islamistes que par les massacres sur fond de clivages intercommunautaires.

– Une performance macroéconomique trompeuse et désillusionnée par la paupérisation 

Mais, pour paradoxal que cela puisse paraître, la soustraction des deux-tiers du pays au contrôle de Bamako ne s’est guère traduite par une accentuation outre mesure des disparités inter-régionales. Et pour cause, les pouvoirs ont cruellement échoué à mettre à profit leur confort administratif dans les régions relativement épargnées pour s’y illustrer par des prouesses à rendre plus fiers les nombreux concitoyens ayant misé sur IBK et porté à bout de bras sa passion pour la magistrature suprême.

Certes un niveau de production soutenu de produits d’exportation permet de maintenir les équilibres macroéconomiques saufs et les indicateurs en phase avec les critères de convergences sous-régionaux. Leur impact, toutefois, n’est point assez remarquable sur une panoplie de secteurs vitaux dans lesquels l’échec des politiques publiques peut se juger à la proportion des désillusions. Pour les domaines de la santé comme de l’éducation, exemples parmi tant d’autres, l’opérationnalité des écoles et structures sanitaires au Sud ne saurait tenir lieu d’ascendant comparatif sur les zones conflictuelles, tant les services auront été paralysés par des tensions du front social maîtrisées à coups d’interversions à la sapeur-pompier et de concessions à peine supportables pour les finances publiques.

Il paraît dès lors chimérique d’envisager une extension des infrastructures et équipements au-delà des acquis hérités du pouvoir précédent en termes de structures sanitaires et scolaires. Au demeurant, l’actuel Premier ministre, interpellé par les députés sur les revendications catégorielles d’enseignants en tant que simple ministre des Finances, faisait remarquer en son temps une déplorable orientation des ressources du secteur éducatif vers le seul fonctionnement. Au détriment notamment de l’investissement dans les outils didactiques auxquels seulement 20% du budget sectoriel sont alloués contre 60% aux salaires. La tendance n’est guère plus enviable pour les secteurs de l’eau et de l’électricité, deux domaines où le Programme présidentiel des urgences sociales n’a vendu que des illusions, à en juger par une stagnation manifeste des réalisations depuis six ans. En définitive, ce n’est sans doute pas fortuit si la première année du second quinquennat a dû se suffire d’une commémoration dont la modestie jure avec le penchant naturel de Koulouba pour les parties opulentes.

Il en résulte, somme toute, un recul incontestable de l’indice réel de développement humain, tandis que le grand battage spéculatif autour des emplois créés n’aura été utile que pour la réélection d’IBK et ne pouvait sans doute continuer de résister à la rationalité d’un contexte dominé par une forte disette d’investissements : le pays n’est plus une destination privilégiée de capitaux ni de touristes, pas d’implantation de nouvelles unités de production, le moindre grand chantier pourvoyeur de développement et de la valeur ajoutée.

– Par-delà la perte de génie patriotique, la gouvernance du pillage et de l’inaction…

Il ne peut en découler qu’une société assez défigurée par la course à la pitance quotidienne pour ressembler une sorte de jungle humaine où la perte de foi en la , possibilité d’un épanouissement collectif fait bon ménage avec la disparition progressif du  génie patriotique. Très peu de Maliens ne s’accommodent pas déjà de la division de fait de leur pays et c’est dans le Mali d’IBK que les citoyens sont moins effarouchés par leur destin dramatique des soldats au front que par la mort d’un seul artiste étranger.

Le régime pouvait pourtant s’en sortir avec plus de fierté si les signaux d’une gouvernance plus rigoureuse ne s’étaient limités aux simples déclarations d’intentions du président de la République à son accession au pouvoir, à savoir : les assurances données, devant la brochette de chefs d’Etat étrangers conviés à son investiture, que le moindre rotin de la manne d’aide annoncée par les bailleurs n’allait être  détourné. Des gages corroborés du reste par l’annonce d’une croisade impitoyable contre la corruption – puis l’avènement d’une loi sur l’enrichissement illicite -, avant d’être contrariés par une déferlante de scandales révélateurs d’une étonnante indifférence des dirigeants à la crise qui attirait au peuple malien une vague de compassion internationale. Scandale de l’avion présidentiel acquis au moyen de gymnastique dolosive de haut vol, scandale de l’achat de tracteurs sur fond de présomptions de surfacturation, scandale d’engrais frelatés porté sur la place publique par l’incompatibilité d’intérêts avides de prébendiers, etc. La liste n’est pas exhaustive puisque l’apparente addiction au pillage n’a épargné même les ressources de la défense nationale où les révélations de malversations par les Vérificateurs – notamment dans l’achat de matériels et équipements militaires – n’étaient pas assez honteuses pour dissuader d’une autre récidive : le recours aux mêmes pratiques scabreuses pour passer la commande d’hélicoptères en deçà des besoins de troupes exposées aux affres de la guerre asymétrique.

Néanmoins, le président IBK est quand même parvenu – quoique par une consultation dans un pays dévasté aux deux tiers par l’insécurité – à faire reconduire son premier bail quinquennal avec le peuple. Mais au lieu d’en profiter pour redresser les  tirs tordus, la même légèreté a continué de caractériser la conduite des politiques publiques jusqu’avant le déclenchement d’une révolte dont il risque de déchanter en assumant le renouvellement de la confiance comme un sauf-conduit. Ce sont en tout cas les signaux que lui ont lancé, comme en guise d’avertissement, une jeunesse exaspérée par la complaisance d’IBK dans l’inaction. De Kayes à Tombouctou et Gao en passant par Kati.

A Keïta 

Le Témoin

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