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Human Rights Watch au ministre malien de la Justice : « Il faut créer une cellule d’enquête spéciale sur les crimes de guerre »

Le Mali doit créer une cellule d’enquête spéciale sur les crimes de guerre, c’est une exigence de l’organisation humanitaire, Human Rights Watch au gouvernement malien à travers une lettre adressée ce 24 juin, au ministre de la justice garde des Sceaux, Mohamed Ali Bathily. La cellule d’enquête spéciale sur les crimes de guerre sera basée à Bamako chargée d’enquêter sur les atrocités commises lors du conflit armé. Des groupes armés islamistes ont exécuté sommairement des militaires maliens, recruté et utilisé au combat des enfants soldats, amputé des membres de personnes soupçonnées d’actes criminels et détruit des mausolées. Le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), un groupe armé touareg, a commis des violences sexuelles et des pillages à grande échelle. Certains militaires de l’armée nationale malienne ont été impliqués dans des actes de torture, des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires. Le gouvernement a pris l’engagement d’assurer que justice soit rendue pour les crimes graves commis par toutes les parties. Mais très peu d’enquêtes ont été ouvertes et personne n’a encore été poursuivi.

mohamed ali bathil ministre justice garde sceaux

Le gouvernement du Mali devrait créer une cellule d’enquête spéciale qui serait chargée d’effectuer des investigations sur les graves crimes commis durant le conflit armé de 2012-2103, a déclaré Human Rights Watch dans une lettre adressée au ministre malien de la Justice, Mohamed Ali Bathily. Cette cellule devrait être composée de procureurs, de juges d’instruction et d’autres personnels nécessaires à son bon fonctionnement.

Le retour récent dans le nord du Mali de membres du personnel judiciaire qui avaient été contraints de fuir pendant le conflit est une évolution positive.

Cependant, charger les tribunaux locaux d’enquêter sur des crimes de guerre et sur d’autres graves violations des droits humains commis lors du conflit armé de 2012-2013 poserait de grosses difficultés en termes de sécurité et de ressources, a déclaré Human Rights Watch. Le temps requis pour que ces institutions judiciaires du Nord deviennent pleinement opérationnelles créerait inévitablement des retards.

« La création d’une cellule d’enquête spéciale dans la capitale du Mali, Bamako, serait le meilleur et le plus sûr moyen d’assurer que les atrocités commises pendant le conflit fassent l’objet d’enquêtes équitables et crédibles », a déclaré Corinne Dufka, chercheuse senior sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Cette cellule spéciale permettrait au Mali de continuer sur sa lancée afin de renforcer l’État de droit et de rompre le cycle des violences et des représailles à travers le pays. »

Human Rights Watch et d’autres organisations internationales et nationales ont abondamment documenté des crimes de guerre et d’autres graves violations des droits humains commis par toutes les parties lors du conflit.

Des groupes armés islamistes ont exécuté sommairement des militaires maliens, recruté et utilisé au combat des enfants soldats, amputé des membres de personnes soupçonnées d’actes criminels et détruit des mausolées. Le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), un groupe armé touareg, a commis des violences sexuelles et des pillages à grande échelle.

Certains militaires de l’armée nationale malienne ont été impliqués dans des actes de torture, des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires. 

Le gouvernement a pris l’engagement d’assurer que justice soit rendue pour les crimes graves commis par toutes les parties. Mais très peu d’enquêtes ont été ouvertes et personne n’a encore été poursuivi. 

Il y a une demande croissante de justice au Mali, comme le montre le fait que de nombreuses victimes ou leurs familles, affiliées à toutes les parties au conflit, ont porté plainte auprès des autorités, a souligné Human Rights Watch.

La mise en place d’une cellule d’enquête spéciale permettrait de bénéficier de l’élan créé par cette attente croissante de justice, par les progrès effectués dans « l’affaire des Bérets rouges » (une enquête sur des cas de disparitions forcées et de tortures subies en 2012 par au moins 21 militaires), ainsi que par l’existence d’un niveau considérable de soutien, à la fois financier et institutionnel, pour une réforme du système judiciaire et pour le renforcement de l’État de droit au Mali.

Human Rights Watch a détaillé plusieurs raisons pour lesquelles une cellule basée à Bamako serait préférable à l’ouverture d’enquêtes par les tribunaux du Nord, dont les suivantes:

• Une telle structure permettrait de centraliser les compétences dans des domaines clés, comme les enquêtes sur certains crimes qui ne sont pas souvent traités par des tribunaux maliens, ou de démontrer, à partir d’éléments de preuve, l’existence d’un lien entre des auteurs de crimes de rang subalterne et des responsables de haut rang impliqués dans de multiples crimes internationaux;

• La création de la cellule pourrait aider à pallier la pénurie d’avocats de la défense dans le Nord, qui rend particulièrement difficile de garantir le droit des accusés à bénéficier d’une assistance juridique compétente;

• Baser les juges d’instruction, les procureurs et les autres membres du système judiciaire chargés d’enquêter sur des dossiers très sensibles dans le Nord, en particulier dans les juridictions les plus petites, les exposerait à des risques d’attentats et d’actes d’intimidation. Les éléments de preuve recueillis, ainsi que l’infrastructure judiciaire, seraient également exposés à des risques ; et

• Il est plus facile de mettre sur pied un système efficace de protection des témoins au service d’une seule unité spécialisée, centralisée en un lieu unique. « La conduite diligente d’enquêtes crédibles et impartiales sur les crimes graves commis lors du conflit de 2012-2013 aurait pour effet de redonner espoir aux victimes, et constituerait un progrès important dans les efforts pour rompre avec le passé, lorsque les auteurs de ces crimes jouissaient d’une totale impunité », a affirmé Corinne Dufka. « La création d’une cellule d’enquête spéciale à Bamako contribuerait grandement à ce que justice soit rendue pour les crimes commis lors du conflit de 2012-2013. » ————————————————————————–

Lettre de Human Rights Watch au Ministre de la Justice, des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux, Mohamed Ali Bathily Sujet:

Création d’une Cellule d’enquête spéciale à Bamako Monsieur le Ministre, Nous vous adressons cette lettre au nom de Human Rights Watch afin de vous prier instamment d’appuyer la création à Bamako d’une cellule d’enquête spéciale qui serait chargée d’effectuer des investigations sur les graves crimes commis durant le conflit armé de 2012-2103 au Mali, d’identifier les individus responsables et d’instruire contre eux des dossiers à charge susceptibles de mener à des procès.

Pour les raisons décrites ci-dessous, nous sommes convaincus que la création d’une cellule d’enquête spéciale est la meilleure option pour assurer qu’une justice équitable soit rendue sans retard aux victimes tout en garantissant les droits des accusés, et qu’elle contribuerait également à renforcer les capacités du système judiciaire malien. Compte tenu de la persistance des problèmes de sécurité dans le Nord, l’installation à Bamako de cette cellule réduirait grandement les risques encourus pour la sécurité des victimes, des témoins et des accusés, ainsi que pour les éléments de preuve matériels.

Lors de la récente visite de Human Rights Watch au Mali, nous avons été frappés par plusieurs facteurs qui créent une véritable occasion à la fois d’assurer que justice soit rendue aux victimes et, à plus long terme, d’accomplir un important pas en avant dans les efforts pour mettre fin à l’impunité qui a souvent caractérisé dans le passé les graves crimes commis lors de conflits armés.

La création d’une cellule d’enquête spéciale serait à notre avis le meilleur moyen de profiter de cette occasion. Tout d’abord, il existe un remarquable désir de justice au Mali parmi les victimes des violences de 2012-2013, comme le montre le fait que des dizaines d’entre elles ont porté plainte auprès des autorités, afin d’obtenir justice et réparation pour les souffrances qu’elles ont endurées.

Nombre de ces victimes et leurs familles se sont regroupées en associations et attendent impatiemment de pouvoir faire valoir leur droit à obtenir réparation. Beaucoup sont appuyées dans leur quête de justice par l’Association malienne des Droits de l’Homme, par la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), ainsi que par l’Association malienne des juristes. Selon nos informations, de nombreuses autres victimes et leurs familles déposeront des plaintes à leur tour au cours des prochains mois.

Deuxièmement, il semble que la confiance de la population en la capacité du système judiciaire à rendre justice soit en hausse, comme le démontre la volonté de victimes appartenant à toutes les parties au conflit de déposer des plaintes. En outre, les progrès accomplis par le système judiciaire national qui ont été mis en relief dans « l’affaire des Bérets rouges » – relative à des disparitions forcées et des tortures subies en 2012 par au moins 21 militaires – semblent avoir suscité un élan et accru l’attente de justice pour d’autres crimes graves.

Troisièmement, il existe un niveau considérable de soutien à la fois financier, institutionnel et moral pour une réforme du système judiciaire malien et pour le renforcement de l’État de droit de la part des fournisseurs traditionnels d’aide bilatérale, de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), de l’expert indépendant des Nations Unies et de l’Union européenne, entre autres.

Le soutien de tous ces acteurs pourrait aider votre Ministère à faire avancer plusieurs des réformes que vous envisagez à l’heure actuelle. Nous estimons encourageants les nombreux engagements à assurer que justice soit rendue pour les crimes graves commis par toutes les parties qui ont été pris publiquement par le Président Keïta, par le Premier Ministre et par vous-même. Cependant, nous demeurons préoccupés par le fait que très peu d’enquêtes ont été ouvertes par les juges du tribunal de Bamako auquel une décision de janvier 2013 de la Cour Suprême a donné compétence pour enquêter sur les graves crimes commis dans le Nord.

Par ailleurs, nous n’avons relevé que très peu d’indications selon lesquelles d’autres institutions judiciaires, notamment celle de Mopti, mènent des enquêtes sur les crimes commis lors du conflit. En outre, bien qu’estimant encourageant le récent retour de personnel judiciaire dans le nord du Mali, ce qui est essentiel pour faciliter la restauration de l’État de droit dans tout le pays, nous sommes convaincus que charger ces tribunaux d’enquêter sur les graves crimes commis lors du conflit armé de 2012-2013 poserait de nombreux défis très sérieux en termes de sécurité et de ressources, ce qui pourrait entraver les efforts visant à traduire les responsables de ces crimes en justice.

Nous sommes persuadés que la création d’une cellule d’enquête spéciale à Bamako serait le meilleur moyen à la fois d’assurer le déroulement d’enquêtes et de procès équitables et crédibles et de profiter de l’atmosphère actuellement favorable au renforcement de l’État de droit et à l’arrêt du cycle des violences et des représailles. Human Rights Watch estime qu’une cellule d’enquête spéciale permettrait de promouvoir la justice au Mali, pour les raisons suivantes:

1. Une telle structure centraliserait les compétences dans certains domaines, ce qui rendrait plus probable que les enquêtes soient couronnées de succès et que les poursuites en justice progressent. Cela implique un savoir-faire dans les domaines suivants:

 Les enquêtes sur certains crimes qui ne sont pas souvent traités par des tribunaux maliens ordinaires, tels que l’esclavage sexuel, le mariage forcé, le recrutement et l’utilisation au combat d’enfants soldats et la destruction d’éléments du patrimoine culturel national;

 L’identification d’éléments de preuve permettant d’établir un lien entre des auteurs de crimes de rang subalterne et des responsables de haut rang, dont certains font partie de réseaux criminels internationaux ou d’organisations terroristes régionales;

 La capacité d’identifier et de gérer des témoins clés et de mettre en place des programmes visant à soutenir des victimes et des témoins qui ont été traumatisés ou sont réticents à apporter leur témoignage.

2. Dans la mesure où les graves crimes internationaux sont généralement commis au nom d’une politique globale, concentrer les compétences signifie que les procureurs, les juges d’instruction et la police judiciaire chargés d’enquêter sur des crimes commis au nom de cette politique sont mieux à même d’établir des liens entre des crimes qui sans cela, auraient pu faire l’objet de poursuites distinctes (et devant des tribunaux multiples). Quand ils sont traités séparément, les dossiers peuvent paraître distincts les uns des autres.

3. Il y a une pénurie d’avocats de la défense dans le Nord, ce qui rend particulièrement difficile de garantir le droit des accusés à bénéficier d’une assistance juridique.

4. Baser les juges, les procureurs, les greffiers et les gendarmes chargés d’enquêter sur des dossiers très sensibles dans le Nord, en particulier dans les juridictions les plus petites, les exposerait à des risques d’attentats, de menaces ou d’autres formes d’intimidation. D’un point de vue pratique, il est plus facile et moins coûteux d’assurer la protection d’un nombre limité de personnes travaillant sur des affaires sensibles.

5. Il est également plus facile de mettre sur pied un système efficace de protection des témoins au service d’une seule unité spécialisée (et des procédures correspondantes) centralisée en un lieu unique, plutôt que pour plusieurs bureaux de procureurs et tribunaux disséminés à travers le pays.

6. Compte tenu de la fragilité de la situation en matière de sécurité et de la fréquence des attaques dans les régions de Gao, Tombouctou et Kidal, placer les éléments de preuve matériels, ainsi que le personnel, dans divers palais de justice dans le Nord (en particulier dans les juridictions les plus petites) augmente le risque qu’ils deviennent des cibles militaires.

7. Les arrestations et la détention à Bamako de plusieurs suspects de renom qui sont accusés par des témoins dignes de foi d’avoir ordonné et, dans de nombreux cas, d’avoir eux-mêmes commis de graves violations des droits humains dans le Nord, pourraient faciliter un processus d’enquête qui serait mené par une cellule spéciale basée à Bamako.

8. Une cellule spéciale basée à Bamako serait mieux à même d’enquêter sur des allégations de torture aux mains des forces de sécurité de l’État car de nombreuses victimes présumées de ces tortures, notamment des membres des groupes armés du Nord détenus pour des crimes, sont incarcérés à la Prison centrale de Bamako.

9. Plus généralement, nous avons des réserves au sujet des retards qui seront inévitablement liés à l’attente que les institutions judiciaires deviennent pleinement opérationnelles dans le Nord. Telle que nous la concevons, la cellule d’enquête spéciale consisterait en un nombre suffisant de personnel d’investigation comprenant des procureurs et des juges d’instruction, si possible dotés d’une expérience en matière de traitement de crimes graves mais ordinaires.

Le personnel judiciaire affecté à cette cellule devrait l’être pour des périodes longues, compte tenu du fait que les enquêtes sur des affaires concernant des crimes graves peuvent durer des mois, voire des années, en raison de leur complexité. De plus, le personnel affecté à la cellule devrait bénéficier de programmes de formation et de renforcement des capacités de la part des partenaires traditionnel du Mali dans les domaines du développement et de la réforme du système judiciaire.

Nous vous remercions d’avoir pris le temps de prendre en considération nos arguments en faveur de la création d’une cellule d’enquête spéciale à Bamako. Nous sommes convaincus qu’il s’agit de la meilleure option possible pour parvenir à accomplir ce que le gouvernement malien a identifié à juste titre comme l’une de ses plus urgentes priorités: la lutte contre l’impunité.

Human Rights Watch se tient à votre entière disposition pour vous aider dans cet effort d’une grande importance. Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre haute considération. Daniel Bekele Corinne Dufka Directeur exécutif, Division Afrique Chercheuse senior pour l’Afrique de l’Ouest Human Rights Watch Human Rights Watch Richard Dicker Directeur, Programme de justice internationale Human Rights Watch Copie à : M. Moussa Mara, Premier ministre M. Zahabi Ould Sidi Mohamed, Ministre de la réconciliation.

SourceLerepublicainmali

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