« L’artiste ne prend pas en compte des difficultés, l’artiste fait son art. »
En marge de la 28ème édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), nous avons rencontré le réalisateur honorable Boubacar Sidibé du CNT, non moins président de la Maison des cinéastes du Mali. Dans cette interview ce cameraman devenu l’un des plus grands réalisateurs du pays et aujourd’hui législateur au Conseil national de transition (CNT), nous parle de sa carrière professionnelle, du Fespaco et les réalités du cinéma malien. Qui est ce monsieur ?
Si on met bout à bout, on peut regarder pendant quatre jours d’affiler les films réalisés par honorable Boubacar Sidibé. Une piqûre de rappel sur les principaux films et séries télé réalisés par le N°1 du cinéma malien. Il a commencé avec le film « Pacte Social », après Tronkélé, Sanoudjé, Le Fou du village, plus de dix séries dont les plus connues sont les Aventures de Checko avec Guimba et Machitan, les Rois de Ségou, Dougouba Sigui, Dou La Famille, l’Enfant béni, la Langue et les dents, et aussi la première série Islamique du Mali qui sort sur Chérifila TV Bayatul Islamya avec 52 épisodes. Lisez plutôt !
Qui est Honorable Boubacar Sidibé et comment vous vous êtes retrouvés dans le monde du Cinéma ?
Je m’appelle Boubacar Sidibé réalisateur. Avant ça, j’ai travaillé comme caméraman à l’ORTM. Le ministère de l’Information de l’époque a demandé que les gens qui font le cinéma et qui n’avaient pas une formation de base de s’inscrire de façon volontaire en vue de la présélection pour un concours de formation à l’extérieur. L’objectif était de choisir des bacheliers et des licenciés ensuite, les envoyer à l’extérieur pour en faire huit caméramans et huit réalisateurs, tous des cadres supérieurs.
Ils ont fait de telle sorte qu’un cameraman ne saute pour aller. A l’époque, je faisais science exacte classe terminale. Il y’ avait d’autres collègues comme Ladji Diakité, Youssouf Coulibaly, Adama Drabo et Hassan Koné et tous ceux sur lesquels, le cinéma malien s’était reposé durant les 30 dernières années. A notre retour au Mali, il y a eu un changement de ministre et le nouveau ministre a dit que cette formation n’est pas sa priorité. Du coup ce projet-là était comme un projet mort-né. On a fait 9 mois de formation au Centre national de production cinématographique (CNPC). Après, il y a eu le projet de la télévision nationale (RTM), on m’a envoyé en Libye pour aller faire 3 mois de formation. Après la télévision m’a envoyé en Angleterre pour une formation de 2 ans. Ce que j’ai appris là-bas et ce que je devrais faire à la télévision n’était pas les mêmes. Donc comme j’étais cameraman. J’ai continué le boulot de cameraman et c’est comme ça, j’ai accompagné le Président de la République, Moussa Traoré dans ses missions à l’extérieur au Japon en Chine et dans plusieurs d’autres pays. Durant des années, j’ai fait des reportages intérieur et extérieur avec la caméra. Donc à un certain moment, je me suis posé la question est-ce que je n’arrête pas ce travail et faire la réalisation ? Qui est ma formation de base. Pour cette décision, il y a eu des débats au sein de la boîte. Pourquoi envoyer l’un de nos meilleurs caméramans ailleurs ? La décision est prise et j’ai fait mon premier film qui s’appellerait « Pacte social ». C’était à travers un projet ou on prenait un réalisateur par pays francophones. Au total dix réalisateurs ont été retenus. Après la projection de mon film, dans un restaurant en Belgique, il a été demandé à tous les réalisateurs présents de se lever et de m’applaudir pour la qualité de mon film. Vous savez faire un film est un travail de groupe. Dans mon groupe, il y avait un technicien du nom de Mamadou N’Diaye (paix à son âme), c’est lui qui m’a dit qu’il va poser un travelling circulaire dans le film. J’étais le seul réalisateur à mettre un travelling circulaire dans son film. Au moment où Falaba Issa Traoré versait de l’eau sur l’initié dans le bois sacré pour expliquer qu’est-ce que un Bamanan ? Parce que être bamanan, c’est le caractère, c’est le comportement un bambanan ne ment pas, ne triche pas, ne trahit pas. Bref, mon premier film véhiculait nos valeurs sociétales.
J’ai fait d’autres films comme « Sanoudjé » ce film a été primé au Fespaco ici. Après, j’ai fait le film « Tronkélé ». Après j’ai laissé le film unitaire pour faire les séries et là j’ai fait la série « Dou la famille » pour ce film tellement qu’il était bien monté, je n’ai pas fait de pilote, les partenaires ont financé directement. On a réalisé 45 épisodes de « Dou la Famille » qui sort sur les petits écrans de l’ORTM.
Aussi, on a fait les « Rois de Ségou » tout le monde a dit que c’était bien. Quand on a fini les Rois de Ségou. Je suis venu en 2011 au Fespaco avec la première saison des Rois de Ségou. Parmi 100 films, on a été retenu dans la sélection officielle. Apres, je suis venu avec la deuxième saison en 2013 pour représenter le Mali. En 2015, je suis venu avec « Dougouba Sigui ». En 2019, je suis venu avec la série la ‘’Langue et les Dents’’. Pendant cinq Fespaco de suite, je suis venu avec des séries, mais je n’ai pas remporté de prix. La raison est toute simple parce que je suis en compétition avec des gens qui ont des aides de leur gouvernement comme le Nigeria, la Cote d’Ivoire et le Sénégal. Moi, j’ai la formation, la technicité et la ténacité pour venir dans l’arène. Mais ces facteurs ne suffisent pas, car les films séries demandent des gros moyens. Je me suis fait toujours accompagner par des jeunes pour pouvoir préparer la relève, car j’avais pris la décision de ne plus revenir au FESPACO. C’est pourquoi, en 2021, je n’ai pas présenté de série malgré, que j’avais fait une série. Car j’étais parti voir la police. Parce qu’ils ont trop de problème. La série était intitulée « Penda contre les gangsters de Bamako ». J’ai fait cette série, je pouvais la présenter. Mais, je ne l’ai pas fait. Le Mali n’était pas présent au Fespaco avec une série. Chose qui n’est pas normale. Cette année heureusement que le jeune directeur du CNCM, Fousseny Maiga a fait une série, qui est en compétition et qui a eu un prix. Je l’ai pris par la main pour lui faire des bénédictions afin qu’il relève le défi de faire successivement des séries au Fespaco pour remporter le prix dans chaque édition. Pour remporter des prix ici, il faut être bien formé, avoir le financement, l’appui nécessaire au financement et surtout l’expérience des anciens. Auxquelles, les jeunes peinent à trouver. Quand tu veux avoir la connaissance de quelqu’un, il faut la soumission, le respect et surtout la patience. Mais, avec la nouvelle génération, elle se focalise trop sur internet, les drones. Mais au niveau de l’écriture, de la sensibilité au point de vue culture et société, ils doivent s’appliquer. Mais si tu copies les blancs, pour faire certaine chose au niveau de notre culture. Ça vexe ! La critique permet à se parfaire. Quand je fais les films, quand on me dit que c’est bien, ça ne m’apporte rien ! Moi, je suis favorable aux critiques et je tiens une oreille attentive aux gens qui me critiquent. Même les « Rois de Segou », quand je les fais en français. Des gens m’ont approché pour me demander pourquoi tu as fait en français et non en bamabra. Je les ai fait comprendre, si je le fais en Bambara, il y’a dix millions de personne au Mali et au Burkina qui parlent cette langue, mais en français, il y’a plus de 250 millions de foyers qui peuvent voir ton films.
Je suis parti deux fois successives au festival de fiction à la Rouchelle comme invité. Pour parler des Rois de Ségou dans des salles remplies du monde. Mais, et si j’avais fait en Bambara ? L’exemple palpant, j’ai fait ma dernière série « Dougouba Sigui » en langue nationale Bambara. Elle n’a pas été diffusée par Canal-Plus. Tout simplement dans leur cahier de charge, il ne diffuse pas les films faits en langue nationale. On est buté à ce problème là.
Le Mali pays invité d’honneur de la 28ème édition du Fespaco 2023, qu’est ce que cela vous inspire ?
C’est la deuxième ou la troisième fois, que le Mali est pays invité d’honneur. Mais cette année, j’ai entendu dans les couloirs que la délégation ne voulait pas venir. Mais quand on nous a dit de venir, j’étais dans la commission nationale d’organisation. Le directeur national du CNCM m’a convié au nom de la Maison des Cinéastes du Mali dont je suis le président. Il nous a dit que le Mali est à l’honneur et nous devrons faire tout pour relever le défi. Nous sommes venus avec une délégation de plus de cent personnes, composée des réalisateurs, comédiens, acteurs, producteurs et d’autres partenaires. En plus de ça, le Premier Ministre Choguel Maiga a fait le déplacement avec huit ministres de son gouvernement pour participer à la cérémonie d’ouverture du Fespaco au Palais de Sport de Ouaga 2000. Cette participation a donné une autre dimension à cette fête. Du jamais vu ! Il y’a eu l’inauguration de la statue du réalisateur, Cheick Oumar Sissoko. En plus de ça, le Mali a eu des prix. Des jeunes sont là pour faire des rencontres professionnelles avec des partenaires au développement, qui peuvent changer leur vie future. Vraiment, c’était une très belle édition.
Comment le cinéma malien se porte, vous en tant que législateur au CNT aujourd’hui qu’allez-vous faire pour refonder le cinéma malien ?
Le conseil national de Transition (CNT) avec à sa tête le colonel Malick Diaw a pris la chose à bras le corps. Parce que le nouveau directeur du CNCM, Fousseyni Maiga a fait des coffrets sur l’indépendance et a convié tous les membres du CNT pour projeter le film documentaire retraçant les temps forts de l’indépendance du Mali. En plus du CNT, le film a été projeté à la Présidence. Cette stratégie a donné un déclic. Maintenant, moi et mon collègue Magma Gabriel, nous sommes en train de tout faire pour la relecture des textes régissant cette profession pour l’adapter à la réalité du moment. Tout le monde sait que la demande sociale est très forte en ce moment. Donc, il y’a urgent, très urgent par d’ordre de priorité on y arrivera. Les décideurs doivent comprendre que le cinéma peut les aider à régler beaucoup de chose. Surtout des problèmes d’ordre sécuritaire dont traverse notre pays en ce moment. Avec les messages véhiculés à travers le cinéma on peut éviter beaucoup de catastrophes dans nos pays. Mon film « Fantanimônê » est une belle illustration. Car ce film parlait des maux qui rongent notre société aujourd’hui quelques années après nous vivons les conséquences de la mauvaise gouvernance. Le cinéma a un rôle de sensibilisation et d’éducation citoyenne. Ma série la « Langue et les dents » avait déjà traité l’interconnexion entre les religieux et le pouvoir politique dont on est en train de gérer les conséquences avec la problématique de la laïcité. Nous traitons les problèmes sociaux en amont pour essayer de trouver des solutions enfin qu’on ne tombe pas dans des crises. Nous sommes des visionnaires des messagers. On pose le débat public à travers le film et les populations comprennent.
Quelles sont les difficultés rencontrées par les cinéastes maliens ?
L’artiste ne prend pas en compte des difficultés, l’artiste fait son art. Pour la petite histoire, un jour je suis allé voir un ministre en charge de la culture. Il m’a demandé Boubacar qu’est ce que tu gagnes dans tes films ? Je lui ai répondu en terme d’argent rien ! Il a appelé le bureau malien de droit d’auteur. Ils lui ont dit que même l’autre jour Boubacar est passé ici pour prendre ses droits. Mais on lui a expliqué que le droit voisin n’était pas régulier. C’est ce droit voisin qui permet à l’artiste de vivre de son art. Il y a beaucoup d’autres problèmes que les artistes ont aujourd’hui. Mais quand l’artiste qui veut coute que coute s’enrichir. Il rentre dans un autre système. Nos collègues fonctionnaires qui sont au niveau du ministère de la Culture doivent nous aider à réglementer et avoir des nouvelles lois pour le monde de la culture. Elles seront votées. Pour rappel, sous IBK il y a une loi qui a été votée pour mettre six milliards de F CFA à la disposition des cinéastes depuis 2017. C’est l’occasion pour interpeller l’Etat que nous n’avons pas eu. Il était prévu de donner 2 milliards de F CFA par an pendant 3 ans. Mais jusque là ou nous sommes les cinéastes n’ont rien vu. Une structure a même été créée pour gérer ces fonds dont le directeur même est là. C’est ce fond qui peut nous permettre de faire des belles réalisations et de remporter des prix. C’est ce que le Sénégal et la Côte d’Ivoire font pour soutenir leurs réalisateurs. Sinon comment pouvez vous comprendre qu’il ya deux Fespaco de suite que le Mali n’a pas présenté de long métrage. La compétions est rude. On doit faire de travail de qualité avec les moyens qu’il faut. Mais à ce rythme les cinéastes maliens souffrent.
Avez-vous des conseils à l’endroit de la nouvelle génération des cinéastes ?
Pour la nouvelle génération on ne peut que se féliciter pour l’engouement qu’elle a pour le cinéma. Les jeunes sont c$réatifs, ils ont de la nouvelle technologie à leur disposition mais cela ne suffit pas. Il faut qu’ils acceptent de se former, de mettre balle à terre et d’approcher les anciens. Malgré qu’ils sont dépassés mais leur regard sert. Avec les anciens, tu t’approches et tu t’arroches. Il va t’aider malgré lui. Je les conseille de ne pas faire le gros dos. Il faut être humble et surtout patient. Chaque film que je faisais, je partais voir Solomane Cissé, Cheick Oumar Sissoko ou Adama Drabo. Les jeunes ont besoin de l’expérience des anciens. Je lance un appel aux autorités enfin de débloquer les six milliards pour permettre aux jeunes de tirer le cinéma malien vers le haut. Six milliards ce n’est pas de la mer à boire pour un Etat malgré, les difficultés.
Interview réalisée par A.B.D