Le troisième bilan africain de François Hollande
Article publié dans la revue Golias semaine du 2 au 8 juillet
Après trois années de pouvoir, l’époque des bilans approche. Pour un président qui arrivait avec un pédigrée africain vierge, la politique africaine l’aura rattrapé. Contre toute attente, elle sera peut être l’un des principaux aspects du bilan de son mandat qu’il mettra en avant pour défendre sa candidature, s’il se représente : générosité et grandeur de la France, capacité de décision, lutte contre le terrorisme, professionnalisme de nos armées, autant d’éléments de langage qu’il ira chercher dans la geste africaine qu’il a su créer en remontant à pied vers la mosquée de Tombouctou. Serval, Sangaris, Barkhane trois noms exotiques qui marqueront, jusqu’à aujourd’hui, le mandat du 7e président de la Ve République. A moins qu’au cours des deux années qui viennent la situation se dégrade à un point tel qu’il ne soit amené à mettre en sourdine certains de ses choix politiques en Afrique. Comme pour les deux premières années, cette troisième année fut exceptionnellement riche : implosion de la Centrafrique, guerre civile en Libye, naufrages méditerranéens hebdomadaires, extension militaire de Boko Haram, chute de notre champion africain Blaise Compaoré et virus Ebola, si l’on se contente de l’écume de l’actualité africaine dont les échos parviennent au citoyen français au travers des grands médias. Il faut s’intéresser un peu plus au continent pour savoir qu’au Mali la situation se chronicise pour ne pas dire qu’elle se dégrade, que l’impasse humanitaire et politique est patente en Centrafrique et que la guerre contre Boko Haram s’internationalise. L’alternance sans violence au Nigéria est venue éclaircir ce sombre tableau.
A cette chronique d’une dégradation continue de la situation en Afrique Subsaharienne et Centrale, ajoutons les attentats de janvier dont les auteurs étaient des Français issus de la migration africaine francophone. La massivité de ces évènements, mis ensemble, commence à inquiéter sérieusement les Français et alimente à foison la peur de l’étranger et les rhétoriques politiques identitaires, nationalistes et xénophobes du Front National, de la frange droitière du parti de Nicolas Sarkozy, hélas, aussi, du discours Manuel Vals sur la sécurité et sur la défense des valeurs de la République. François Hollande n’est bien sûr pas responsable personnellement de cet enchaînement de faits dramatiques, contrairement à son prédécesseur dont les choix militaires en Lybie ont déstabilisé sur le long terme toute la bande sahélienne. La question qui est posée est celle de savoir si les options militaires prises dans la nécessité et l’urgence déboucheront sur des solutions politiques, or cela ne semble pas être le cas au Mali pas plus qu’en Centrafrique. L’Afrique est devenue pour François Hollande, à son corps défendant, un problème politique majeur.
Contrairement à Nicolas Sarkozy, il s’affiche moins avec les dirigeants en délicatesse avec les droits de l’homme. Pour certains d’entre eux il assure le minimum protocolaire que la République lui impose avec un chef d’Etat souverain. Ses propos sur le respect des processus électoraux et la nécessité de l’alternance sont plus audibles. Il n’a pas soutenu Blaise Compaoré contre son peuple, il laisse les dirigeants africains se débrouiller avec le cas Burundais, tout en sachant que le Rwandais Kagamé est en train d’organiser son maintien à la tête de l’Etat en 2017. Il a cependant laissé faire au Togo la forfaiture électorale en sous traitant à la CDEAO la gestion de la situation.
Sur le plan de la politique de développement, moins médiatique mais centrale sur le long-terme, le bilan ne semble guère plus réjouissant. Le rapport parlementaire[1] du député Philippe Baumel sur cette politique est venu doucher les afro optimistes qui, à longueur de plateaux sur Canal + ou dans des publi-reportages de Jeune Afrique, vantent la croissance des économies africaines en oubliant de montrer qu’elle est essentiellement due aux exportations pour ne pas dire le pillage des ressources naturelles. Les mêmes expliquent que le pourcentage des personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté diminue, oubliant de préciser qu’elles augmentent en nombre. Ce rapport que la présidente de la commission des affaires étrangères, Elisabeth Guigou, avait trouvé trop afro pessimiste, montre d’abord que la stratégie française de l’aide publique au développement n’est absolument pas à la hauteur des enjeux. Le continent africain qui n’a pas encore fait sa transition démographique (passer de 6 enfants en moyenne par femme à 2) comme l’a fait le continent asiatique verra sa population passer de 1 à 3 milliards dans les cinquante prochaines années. L’Afrique fera comme tout le monde cette transition au fur et à mesure que la mortalité infantile diminuera lorsque les politiques publiques de santé seront prioritaires dans les faits et par les moyens alloués, bien au delà des rhétoriques bureaucratiques et compassionnelles de l’aide au développement des organismes onusiens (OMS, UNICEF, FNUAP). Si les structures politiques, sanitaires, sociales, urbaines et logistiques du continent étaient à niveau, le continent aurait parfaitement la capacité d’accueillir cette augmentation de population tout en continuant à produire, transformer et exporter ses richesses. Ce n’est manifestement pas le cas aujourd’hui. Le virus Ebola qui a effrayé le monde entier a demandé en six mois la mobilisation financière par la communauté internationale d’un montant équivalent aux 15 derniers budgets annuels cumulés de la santé des trois pays les plus concernés (Libéria, Sierra Léone, Guinée Conakry). La grande campagne pour l’électrification du continent, lancée par Jean Louis Borloo, malgré les limites de cet exercice de pure communication[2] accompagnée par l’Elysée, montre une réalité aveuglante : la nuit le continent est noir sauf en Afrique du sud et au Maghreb. Le continent est sous équipé humainement et matériellement.
Le rapport parlementaire pointe les carences de la politique d’aide au développement de la France devant les immenses défis du continent. Selon le rapport, les politiques suivies depuis une vingtaine d’années, sous des gouvernements de gauche ou de droite, vont dans le même sens : perte de l’expertise technique française, dans le domaine de la santé notamment, diminution de l’aide au développement, pilotage à vue des politiques de développement, saupoudrage thématique et géographique, augmentation des financements multilatéraux onusiens au rendement incertain au détriment de la plus value de l’aide française dans des domaines spécifiques. La disparition définitive du ministère de la coopération a assaini en partie les relations clientélistes des pays africains avec leur ancienne tutelle coloniale mais elle a dilué la conduite de la politique d’aide publique au développement dans des coordinations inter et intra ministérielles confuses et sans vision.
En trois ans, la politique de François Hollande a-t-elle marqué une inflexion ou a-t-elle continué sur cette ligne de flottaison de chien crevé au fil de l’eau ? La deuxième réponse semble la bonne selon le rapport parlementaire, avec cette spécificité hollandienne de la militarisation de la politique africaine. Le ministre de la défense voyage beaucoup plus en Afrique que son collègue des affaires étrangères, sans parler de la secrétaire au développement qui a disparu des écrans radars africains. Pour maintenir un affichage de maintien du niveau de l’aide, le gouvernement intègre dans ses comptes les coûts de scolarité des étudiants étrangers en France. Cet artifice comptable, contraire au mode de calcul international, gonfle le chiffre officiel et camoufle une baisse constante de l’aide depuis dix ans. Les assises du développement organisées par Pascal Canfin en 2013 ont débouché sur des déclarations d’intention, un affichage volontariste, mais sur rien de tangible. Elles sont déjà au cimetière des grandes stratégies publiques transversales que des commissions inter ministérielles sont chargées d’enterrer.
Le modèle chinois, ultra libéral sur le plan économique et despotique sur le plan politique, est en passe de devenir le modèle dominant en Afrique. Des régimes prébendiers et militarisés, qui ne veulent pas lâcher le pouvoir, se perpétuent, comme au Togo, au Rwanda, au Cameroun ou au Tchad, contre le besoin d’alternance que les sociétés civiles souhaitent. Ils protègent d’abord la rente financière produite par l’insertion primaire de leurs économies dans le marché mondial des ressources minières et agricoles. En définitive les fondamentaux de l’insertion économique du continent dans l’économie monde ont peu changés depuis la colonisation. La diplomatie économique chère à Laurent Fabius consiste essentiellement à accompagner tant bien que mal les entreprises du CAC 40 et de la commission Afrique du MEDEF dans leurs tribulations commerciales et financières avec les administrations prédatrices des régimes africains qui trouvent les relations économiques avec la Chine moins conditionnelles. La réflexion approfondie sur le dernier lien colonial entre la France et l’Afrique au travers de l’arrimage du franc CFA à l’Euro via le trésor français, demandée de manière de plus en plus insistante par les économistes africains, n’est toujours pas à l’ordre du jour.
La dégradation de l’environnement frappera les pays africains déjà fragiles qui n’auront pas les moyens et les infrastructures pour anticiper le changement climatique. La signature d’un accord sur le climat lors de la conférence de Paris serait à mettre à l’actif de François Hollande car, à moins d’une prise de conscience miraculeuse et sous réserve d’un nouveau gros coup de grisou sécuritaire on voit se dessiner un bilan négatif : la dilution continue d’une politique de développement digne de ce nom dans une «diplomatie d’influence» et dans un multilatéralisme mou, caches misère d’une impuissance politique croissante. Une diplomatie des droits de l’Homme qui s’arrête quand commencent la militarisation de l’aide et la participation des entreprises françaises à la prédation du continent, c’est à dire très tôt.
Source : mediapart