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Henné : Indémodable

Bamako, 08 Janv (AMAP) Le patron d’un salon de tatouage a accepté de nous recevoir. A notre arrivée, l’homme d’une corpulence imposante se tient derrière le comptoir. Il malaxe la pâte de tatouage pour la rendre homogène, tout en causant avec une armée de femmes de tout âge. Ce costaud artiste est surnommé « ATT », de son vrai nom Bakary Dembélé.

Ici, l’ambiance est bruyante. Tout le monde parle à la fois. C’est difficile de suivre le débat qui porte sur les problèmes familiaux. Pour soulager leur cœur et leur esprit, ces femmes ont choisi d’exposer leurs problèmes sur la place publique. La solution pourrait venir de l’une de ces dames dans le salon. On ne sait jamais.

La cliente dont c’est le tour de se faire tatouer fait face aux autres. L’artiste s’apprête à appliquer sur ses mains et ses pieds « un henné spécial ». Il est mélangé avec une substance liquide bénite par les versets coraniques (Nassidji comme on l’appelle en bambara).

Dans la foule des clientes, deux personnes sont au parfum de ce secret : celle qui fournit l’eau bénite et le tatoueur « ATT ». Cet homme dynamique est bavard, surtout sur la vie des stars. Il est très bien informé sur les potins sur le Net. Mais jamais, il ne livre un mot sur son secret professionnel. Il ressasse sa conviction : « Le henné traditionnel malien ou le henné indien est un élément pour rehausser la beauté et rendre toutes les femmes attirantes ». Ingrédient paré de toutes les vertus, le henné est béni des guides religieux, apprécié dans la société et sollicité par les jeunes filles

VERSETS CORANIQUES – Les filles se nourrissent de croyances populaires. Elles y puisent la force et le courage d’affronter les vicissitudes du foyer conjugal. Depuis quelques mois, F.T, prépare activement son trousseau de mariage. Elle est sûre de changer de statut cette année. Elle a eu recours au service d’une dame réputée pour son expertise sur les qualités mystiques du henné.

« Elle m’a donnée une potion à base d’écritures coraniques que je devais mélanger avec la poudre de henné, l’appliquer pendant quatre dimanches », révèle notre interlocutrice sur le ton de la confidence. Au bout de trois mois, le résultat espéré est là. Deux prétendants ont demandé la main de F.T, la mettant dans l’embarras du choix. Le premier travaille ici (Bamako) l’autre, à l’intérieur du pays. N’ayant pas encore fait son choix, F.T s’est confiée à sa guide spirituelle. « Elle m’a demandé d’apporter une autre poudre de henné qu’elle a bénie. Elle m’a recommandé de l’appliquer pendant quatre lundis. » Et depuis, tout est devenu clair : un prétendant s’est effacé de lui-même. F.T est heureuse, dès que son futur mari sera de retour à Bamako, il entamera les démarches pour le mariage.

N’allez pas dire à celle-là que le henné existe bien avant l’apparition de l’islam : il ne contient pas de grâce et aucun verset n’a été révélé à cet effet.

La jeune mariée M.T confie que grâce au tatouage et à la vertu du henné, de nombreuses femmes ont changé de statut passant de ‘’Mademoiselle à Madame ». Elle a dit oui à un homme que son cœur n’a pas forcément choisi. Lassée de la vie de célibataire, une liberté qu’elle ne trouvait plus intéressante, elle a bénéficié du bienfait du « henné sésame » qui lui a ouvert la porte du bureau du maire pour son union sacrée. M.T s’est lassée de la vie frivole de célibataire.

Elle nous confie ses regrets : « J’ai 32 ans, je vis encore chez mon père. C’est trop, il faut quitter les relations sans lendemain. J’ai pratiqué le henné. J’ai accepté la demande de mariage faite par le premier homme venu. Je ne suis pas amoureuse de lui, mais je ne peux pas attendre une éternité l’élu de mon cœur. A présent, je souhaite juste un avenir radieux aux côtés de mon nouvel homme. Je travaillerai pour ça ».

L’an passé, dans la mouvance de la fête religieuse (Maouloud), Bineta et quatre copines sont allées voir un homme de Dieu, pour lui exposer leurs soucis. Ce dernier leur a donné l’eau d’un extrait de coran à mélanger avec la poudre de henné et à l’appliquer une fois par semaine pendant un mois. « La potion s’est révélée magique », soutient notre interlocutrice. Toutes se sont mariées, l’une après l’autre et Bineta, la dernière, a célébré son union, récemment.

La sociologie actuelle des rapports hommes-femmes, aujourd’hui au Mali, est révélatrice de la composition démographique et du changement de comportement des jeunes en âge de se marier. Les communautés comptent plus de filles que de garçons. Les hommes courent plus les femmes mariées que les jeunes filles. Très peu d’hommes sont prêts à s’engager pour le meilleur et pour le pire. Face à cette conjoncture fâcheuse, la poudre des feuilles de l’arbuste multiséculaire est l’arme secrète pour les filles d’aujourd’hui.

D’UNE PIERRE, PLUSIEURS COUPS – Autrefois, pour bénéficier de ses vertus, il était recommandé à la célibataire d’appliquer le henné sur le pied sans fioriture. C’est le modèle ‘’goudronba’’. Mais ce choix révèle qu’elle cherche à se marier. Elle suscitera des sourires entendus sur son chemin. Les dessins magiques de « ATT » évitent aux dames de connaître un certain embarras dans la rue. Les jeunes filles sont soucieuses aujourd’hui de se mettre en valeur. Elles suivent l’évolution des dessins de la mode indienne. Ces motifs les montrent sous leur meilleur jour. Ainsi, elles font d’une pierre trois coups : la beauté, la séduction et la satisfaction.

Le guérisseur de la morosité, « ATT » est un pionnier dans ce milieu, depuis une quinzaine d’années. Son salon est le refuge des Bamakoises mordues du henné. Elles en repartent les mains et les pieds soigneusement décorés par l’artiste du henné traditionnel et du henné indien.

Les femmes modernes sont exigeantes. Elles demandent un travail rapide et beau. Le henné est un atout d’attirance dont elles ne peuvent se passer. Elles se ruent sur les tatouages pour se faire belles en un temps record.

L’expérimenté « ATT » fait son autopromotion : « Ici, je fais le henné traditionnel, mais avec des motifs occidentaux. Ce choix est très apprécié de jeunes mariées, marraines, demoiselles d’honneurs et de nouvelles mamans ».

Cette force de la nature commence à travailler à 14 heures jusqu’à une heure indue. Connaissant le programme, certaines clientes viennent faire la queue jusqu’à des heures tardives de la nuit (1 ou 2 heures du matin) surtout les veilles de jeudis et de dimanches, jours de mariage. Il faut souligner qu’aucune cérémonie heureuse n’est célébrée au Mali, sans que les principales actrices ne se fassent tatouer ou mettre le henné. Parfois, elles font les deux à la fois

MAGNIFIER LE CORPS – Cissé Ami Diallo a ses pieds déjà décorés de henné. Elle est assise sur le tabouret au salon de tatouage, attendant son tour. « J’ai un mariage le dimanche. Je viens me faire belle. Sans le henné, la beauté ne saute pas aux yeux. Il apporte l’élégance et l’estime à la femme. Ce n’est pas seulement sur les mains et les pieds que l’on pratique le henné ou le tatouage, ils sont aussi utilisés par les femmes, au teint clair, pour magnifier certaines parties du corps comme le cou, la poitrine, l’épaule, le dos », dit-elle. Ces petits dessins accroissent l’estime de soi.

L’application du henné traditionnel est l’activité principale de Djenebou Kanté. Elle se déplace chez les mariées et les nouvelles mamans pour appliquer le henné sur leurs membres. Le henné, sans aucun mélange, est attractif. Ce que confirmé Djenebou en ces termes : « Ceux qui verront tes mains et tes pieds joliment décorés, seront émerveillés. Moi, je crois en la vertu du henné ». « Ici, on réalise des merveilles avec ce produit. Certaines clientes apportent leur modèle et d’autres nous laissent faire le choix », ajoute-t-elle.

SYMBOLES DU MARIAGE – La gardienne de la tradition, Mme Bagayoko Fanta Fané, est une bibliothèque. Elle a plusieurs unions sacrées à son actif. La gardienne du temple est convaincue qu’elle doit faire face à son devoir de solidarité envers les jeunes générations. Elle travaille selon le principe suivant : « si une fille tarde à se marier, ses parents doivent s’inquiéter et lui prêter main forte. La fille, elle-même, doit s’y mettre pour s’ouvrir la voie menant au bonheur du mariage ». Le henné est le symbole du mariage. En effet, seules les nouvelles mariées et les femmes déjà mariées teignent leurs pieds et leurs mains au henné. Les hommes avaient peur d’aborder la femme aux membres teints au henné. Cette teinture traduisait un statut social élevé et respectable dans les familles maliennes.

Selon la tradition et les croyances populaires, ce produit attirerait la chance sur celles qui impatiemment le mari prédestiné. Selon la sexagénaire, « dans notre société, le henné est très important. Lors des cérémonies sociales, la relation entre la nouvelle mariée et une amie qui n’a pas mis le henné (par jalousie) peut se ternir ».

Chez les Touarègues, à l’approche du mariage, la jeune mariée, pendant des semaines, s’enduit le corps de henné. Cela apporte la douceur, la propreté et la pureté à la peau. Et de se protège du mauvais œil.

MS (AMAP)

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