Face à la montée des violences dans la région de Ménaka et ses conséquences sur les civils, la MINUSMA se dit “vivement préoccupée”. Selon la mission onusienne, les récentes attaques armées auraient fait 47 morts et des blessés dans la région de Ménaka. Le chef de la division des droits de l’homme de la MINUSMA, dans cet entretien avec Mikado FM, attire l’attention sur ce qu’il appelle des ‘’crimes abominables’’ aggravant les tensions inter communautaires dans la région. Interview !
Mikado FM: la MINUSMA vient de publier un communiqué sur la situation des droits de l’homme dans la zone de Ménaka. Qu’en est-il réellement, selon les éléments d’appréciation dont vous disposez ?
Guillaume Ngefa: vous savez depuis le 8 février, la MINUSMA, à travers les chargés des droits de l’homme, suit de près la situation des droits de l’homme, dans le cadre des opérations antiterroristes qui sont menées sur place. Nous avons effectivement récolté, recueilli des informations et des allégations, qui effectivement indiquent non seulement la gravité de la situation, mais aussi les conséquences en termes de l’exercice des droits fondamentaux. Il y a des cas d’exécutions sommaires, des cas de pillages et même d’incendies des maisons.
Mikado FM: Sait-on quand est ce que ces cas dont vous parlez ont eu lieu précisément?
Guillaume Ngefa: entre le 25 et le 26 [avril, ndlr], d’abord il y a eu des attaques qui ont été rapportées et documentées, notamment contre les populations dans les campements d’Aklaz. Ensuite le lendemain 27, il y a eu une autre attaque dans les campements d’Awakassa, toujours dans la région de Ménaka. Au total, 47 personnes auraient été tuées dans des circonstances qui restent encore à déterminer. Ce qu’il y a de plus important à souligner, c’est la gravité de ces attaques sur les populations civiles.
Mikado FM: il pourrait s’agir de crimes de guerre ?
Guillaume Ngefa: j’insiste sur ça. Et là, je voudrais me référer à la citation du Représentant spécial M. Annadif qui dit clairement que les attaques délibérées contre des civils qui ne sont pas directement impliqués dans les hostilités peuvent être considérées comme des crimes de guerre. Ça c’est important et je pense que la mission, en sortant ces communiqués, veut tout simplement attirer l’attention des personnes qui sont impliquées dans ce genre d’attaques contre les populations civiles sur le fait qu’elles pourront être responsables de ces actes puis qu’il s’agit de crimes abominables.
Mikado FM : certains se demandent comment la mission parvient à recueillir des informations et à mener des investigations dans cette zone non-contrôlée par les forces nationales ou internationales. Comment vous procédez ?
Guillaume Ngefa : nous surveillons la situation des droits de l’homme dans la région de Ménaka depuis juin 2014. Nous avions une équipe de chargés de droit de l’homme, une équipe mobile qui allait régulièrement surveiller, récolter des informations et publier. Depuis deux ans, depuis 2016, nous avons un bureau des droits de l’homme dans la région de Ménaka qui fait ce travail de la collecte, d’analyse et d’enquête sur la situation des droits de l’homme. Vous savez aussi que la méthodologie d’enquête dans les situations de violence ou de crise ouverte, comme à Ménaka, ou d’insécurité, on a des méthodologies d’enquête qu’on appelle ex situ, avec des investigations qui sont menées à distance et pas nécessairement menées à des endroits où les violations des droits de l’homme ont été commises.
Mikado FM: A distance ?
Guillaume Ngefa: mais elles sont menées en faisant appel à des témoins directs, à des sources qu’on rencontre par exemple dans la ville de Ménaka et on confronte ces informations. Pour les investigations in situ, on va sur place et on se base sur le travail antérieur qui a été fait dans la collecte d’information. Dans le cas cité, dans la région de Ménaka, ce sont les deux techniques qui s’appliquent, c’est-à-dire les investigations ex situ et in situ.
Dans le cas des investigations in-situ, si par exemple des personnes ont été exécutées, vous allez sur le terrain, ce qui peut vous donner à découvrir, je donne un exemple, une fosse commune. Si c’est pas nécessaire et que nous avons déjà récolté de l’information, nous avons le nom des personnes, on a parlé avec leurs familles, on a parlé avec les victimes, quelque fois ce n’est pas nécessaire qu’on aille sur place et ce sont là les méthodologies.
Ces informations sont aussi confrontées à d’autres sources additionnelles, qui peuvent être les autorités locales, religieuses, ainsi de suite. Donc voilà globalement comment nous travaillons. C’est un travail de surveillance permanente et il ne s’agit pas seulement de quand il y a eu un événement, non, c’est un travail de surveillance permanente.
Mikado FM: A ce stade et d’après les informations que vous avez recueillies, à qui peut-on attribuer ces exactions ? Qui sont les responsables ?
Guillaume Ngefa : je pense que les choses sont claires. Il y a des communiqués de presse de certains groupes qui ont été publiés, nous les analysons. Nous analysons aussi le noms des personnes qui ont été publiés dans la liste des victimes. Les groupes terroristes font aussi des revendications sur un certain nombre de cas ou des événements où ils seraient responsables et enfin, nous menons des enquêtes beaucoup plus approfondies en interviewant les victimes, les familles des victimes, les autorités pour confronter ces informations et arriver à cela.
Mikado FM: ces investigations doivent permettre de savoir qui en sont responsables…
Guillaume Ngefa: les enquêtes des droits de l’homme ne sont pas des enquêtes judiciaires. Ce sont des enquêtes qui sont liées aux violations des textes juridiques en matière de droits de l’homme, qui sont des obligations internationales souscrites par les Etats. Dans le cas du Mali, ces informations, ces rapports doivent venir en aide aux autorités maliennes pour ouvrir des enquêtes criminelles pour établir leurs responsabilités et éventuellement pour que ces personnes là soient éventuellement sanctionnées. La division des droits de l’homme est prête à coopérer avec la justice malienne en mettant à sa disposition des informations appropriées pour que cette enquête soit menée à bien.
Mikado FM : certains groupes armés qui se sentent visés dénoncent des enquêtes partisanes. Qu’avez-vous à dire sur ce point ?
Guillaume Ngefa : L’accumulation de faits et d’allégations en notre possession, est d’une telle gravité qu’il était nécessaire, en tant que Chef de la Division des droits de l’homme, je puisse aller sur le terrain. C’est ce que j’ai fait. J’ai rencontré tout le monde. C’était pas nécessaire pour moi d’aller dans les endroits où ces violations ont été commises du moment où le travail avait déjà été fait par les équipes depuis le mois de février dans le cas de suivi des ces violations et abus sérieux.
C’est au terme de cet exercice que j’ai mené aussi bien ici à Ménaka parce que j’ai eu à rencontrer certains de ces acteurs, des groupes qui opèrent dans la région de Ménaka sur place. J’ai partagé avec ces groupes des informations utiles sur la gravité et au terme de ces enquêtes. J’ai fait un briefing de presse pour justement attirer l’attention sur la gravité de ce qui se passe à Ménaka, et je pense que c’est ça aussi le rôle de la Mission conformément à notre mandat qui nous demande, au niveau du Conseil de Sécurité, non seulement de surveiller la situation des droits de l’homme sur l’ensemble du territoire national mais aussi de rendre publiques les conclusions de ces missions, à travers des rapports ou même des déclarations publiques, c’est ce que nous avons fait.
Mikado FM : Les groupes armés qui se sentent ciblés mettent en cause les méthodologies d’enquête ou d’investigation…
Guillaume Ngefa: je ne fais pas de commentaires. Les critiques sont les bienvenues. Pour moi la chose la plus importante c’est qu’on pense plutôt aux victimes, aux personnes, aux familles qui se trouvent dans la situation, dans la posture de la victime dont les droits ont été violés, dont les enfants ont été exécutés et qui cherchent à connaitre la vérité. Je pense que c’est à ces personnes là qu’on doit donner la parole.
Mikado FM: et qu’attendez-vous à présent ? C’est quoi la prochaine étape ?
Guillaume Ngefa: nous attendons que la justice malienne, compte tenu de la gravité des allégations et des faits, ouvre des enquêtes appropriées sur place. Dans le centre du Mali, on se réjouit du fait que le gouvernement ait tout de suite instruit au procureur de Mopti pour ouvrir des enquêtes sur les incidences où les violations sérieuses des droits de l’homme étaient commises. La Mission se met également à la disposition aussi de la justice malienne pour l’aider, l’assister dans cette étape des enquêtes préliminaires.
Mikado FM: quel type de coopération existe entre le gouvernement et la MINUSMA sur ce genre de question ?
Guillaume Ngefa: Nous avons l’avantage ici au Mali d’avoir un gouvernement qui est très ouvert au dialogue et vous savez aussi que nous avons établi comme Mission avec le gouvernement un mécanisme de revue de la situation des droits de l’homme à travers le Ministère de la justice. C’est un mécanisme important car nous mettons toutes ces informations à la disposition du Ministère de la justice et le Ministère de la justice au nom du gouvernement essaie de voir quelle stratégie de réponse des violations de droits de l’homme et on se réjouit de cette collaboration et de cette coopération.
Propos recueillis par Seydou Traoré
Source: Mikado FM