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Guerre en Ukraine : l’enlisement

Six mois après le début de l’invasion russe en Ukraine, la guerre s’enlise. Le front militaire se stabilise autour des positions russes. En arrière-plan, la diplomatie s’active. Le géopoliticien Jean-Baptiste-Noé fait le point sur les discussions en cours, notamment pour la sortie des céréales, ce qui fait entrer le conflit dans une certaine normalité.

 

Ceux qui n’auraient pas suivi l’actualité ukrainienne au mois d’août n’ont rien perdu : le front est presque le même qu’à la fin du mois de juillet. La Russie contrôle toujours près de 20% du territoire ukrainien, notamment le Donbass et la partie sud jusqu’à la Crimée. La grande offensive ukrainienne annoncée fin juillet, qui devait mobiliser un million d’hommes et permettre de reprendre Kherson n’a pas eu lieu. Par manque d’hommes, de matériels, de force et de stratégie aussi. Désormais, les deux parties campent sur leurs positions et personne ne semble être en état de céder ou bien de renverser son adversaire.

Entre accélérations et enlisements

La guerre entre dans une phase d’enlisement qui n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé au Donbass en 2014. Après l’insurrection des régions séparatistes et la réplique de l’armée de Kiev, le front s’est arrêté et chacun a mené une guerre de position. Ce type de guerre fonctionne par alternance d’accélération et d’enlisement. Accélération en 2014 avec la prise de la Crimée et d’une partie du Donbass, puis enlisement jusqu’en février 2022 où une nouvelle accélération a eu lieu, qui a permis à la Russie de prendre l’est de l’Ukraine. L’enlisement actuel peut durer longtemps, avant qu’une nouvelle offensive, peut-être dans quelques semaines, peut-être dans quelques années, n’apporte une nouvelle accélération du conflit. Et ainsi de suite. La guerre au Yémen dure elle aussi depuis 2014, la guerre Iran-Irak a duré huit ans, la guerre en Yougoslavie une quinzaine d’années et celle en Syrie, débutée en 2013, n’est pas encore terminée. L’hypothèse la plus probable est que cette guerre-ci soit longue et que l’actuel statu quo devienne l’état de fait de la ligne de fracture.

Entre négociations et normalisations

Si le front militaire est stable, le front diplomatique est intense. Le président turc Recep Erdogan est l’incontestable vainqueur de cette séquence. Tout en étant membre de l’OTAN, il rencontre et échange avec Vladimir Poutine, servant d’intermédiaire et jouant les bons offices entre les partis. La situation géographique de la Turquie le rend incontournable : c’est par elle que passent les gazoducs qui pourront alimenter l’Europe en l’absence du gaz russe ; c’est par elle aussi que passent les bateaux chargés de céréales qui quittent la mer Noire pour nourrir le monde. Cette activité diplomatique a normalisé Erdogan, lui qui était l’ennemi des Européens il y a moins de deux ans en jouant une partie trouble en Méditerranée orientale, dans la Corne de l’Afrique et en Syrie. La roue de la fortune a vite tourné pour la Turquie. Gare toutefois à l’orgueil impérial de se croire arrivé : très vite montée, la Turquie pourrait redescendre aussi vite si les vents venaient à changer de direction.

Si les Européens ont jusqu’ici soutenu l’Ukraine, c’est qu’ils ne supportaient pas les conséquences de cette guerre.

Les négociations sur l’exportation des céréales ont permis le départ de quelques convois, essentiels pour alimenter l’Afrique et le Moyen-Orient. Si cet accord était indispensable pour les pays dépendants, il se révèle à double tranchant pour l’Ukraine, car ils normalisent la situation exceptionnelle de l’occupation russe. Si les exportations se passent bien, ce qui est pour l’instant le cas, cela fixerait la réalité d’une occupation qui deviendrait ainsi de plus en plus difficile à effacer.

Les stocks d’armes s’épuisent

 

En dépit des annonces, les Européens réduisent leurs livraisons d’armes, car les stocks s’épuisent. L’effort de guerre initié depuis février dernier trouve ici ses limites : l’industrie européenne ne produit pas assez pour subvenir aux besoins de l’Ukraine. Quant aux aides financières, elles deviennent elles aussi de plus en plus délicates compte-tenu des nuages sombres qui s’accumulent sur les économies des pays. Si les Européens ont jusqu’ici soutenu l’Ukraine, c’est qu’ils ne supportaient pas les conséquences de cette guerre. Si l’inflation se poursuit, si les prix de l’énergie augmentent encore, si des coupures ou des restrictions venaient à avoir lieu cet hiver, il n’est pas certain que le soutien soit toujours au rendez-vous. La durée de la guerre, déjà six mois, lui fait quitter le terrain de l’extraordinaire pour entrer dans celui de la normalité. Avec elle, c’est aussi la lassitude, le désintérêt, voire le rejet. Face à l’enlisement et à la normalisation, la Russie dispose d’un atout maître : le temps, qui joue en sa faveur.

Source : Aleteia
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