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Guerre anti-Kabyle ou la négation de l’indépendance : le contentieux ininterrompu…

Nous aurions pu cibler la date du 29 septembre pour évoquer la guerre menée au nom de l’Algérie indépendante par Ben Bella contre la Kabylie pour la simple et unique raison que nous nous sommes pas affiliés au Front des forces Socialistes (FFS) fondé en 1963 par Hocine Aït Ahmed. Nous avons, en tout âme et conscience, jugé opportun de rappeler ces faits.
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S’arrêter, évoquer et discuter un événement tragique pour le peuple kabyle est essentiel pour au moins deux raisons : la première est sans doute l’exigence de ce que l’on peut appeler “travail de mémoire [1]” dans le sens d’une réappropriation d’un passé historique. Il s’agit là de réactiver des représentations mentales de cet épisode douloureux dans la vie du peuple kabyle au lendemain de sa libération du colonialisme. Cette opération implique la possibilité de dire, de susciter et de collecter des témoignages à travers des récits. La mémoire n’est pas seulement un enchaînement de récits, une herméneutique de l’histoire mais aussi une mémoire prise au sens phénoménologique du terme, car elle est sélective, elle traduit des représentations, des détails probablement peu pertinents mais forts poignants que chacun lira et décryptera. C’est justement ce « travail de mémoire » qui se trouve coincé dans l’engrenage du populisme de l’Etat algérien, érigé comme étendard de la « république » : une république démocratique par le peuple et pour le peuple.

L’accès à la citoyenneté refusé à des Algériens, plus particulièrement aux Kabyles, implique cet impossible « travail de mémoire », la frilosité avec laquelle il est abordé y compris par nous-mêmes. Cela sous-tend l’encouragement et la prise en charge de divers modes d’expressions tels que des récits, des photos, des films – La liste de Schindler de Spielberg par exemple pour ce qui concerne la Shoah. A l’indispensable « travail de mémoire » s’oppose alors une politique inique ostraciste : l’interdit. En reléguant « ce travail de mémoire », les familles des victimes le vivent comme un geste expiatoire de L’Algérie indépendante entre 1963 et 1965, le pouvoir – le seul qu’il nous ait donné de connaître depuis 1962 – s’est mue dans le mensonge, la répression et le discours utopique, obstruant ainsi toutes les voies qui mènent à un « travail de deuil » au sens psychanalytique [2] du mot. En empêchant le « travail de deuil » de s’accomplir, le système algérien a fait voler en éclat toute velléité, tout espoir d’une construction historique, voir même d’une reconstruction des faits historiques plus proche de la réalité des faits comme les massacres de villageois kabyles par l’armée de Ben Bella notamment. L’autoritarisme de l’Algérie indépendante et sa gestion calamiteuse et tyrannique du peuple ont tenté de détruire et de désintégrer l’identité humaine du peuple kabyle en s’attaquant à la survie de son passé et en lui intimant l’ordre de renoncer à sa « mémoire ». Dans des rapports d’oppositions permanents qu’on peut qualifier « d’ethnocidaires », l’Algérie indépendante, depuis son existence, n’a cessé de mener une bataille frontale dans ses conceptions : à l’anamnésie [3] elle oppose amnésie à la reconnaissance, elle oppose la dénégation à la quête de vérité historique et elle oppose la propagande populiste par idéologisation des masses (la fameuse main étrangère).

La célèbre formule de Max Weber, selon laquelle « l’État détient le monopole de la contrainte légitime » est inadéquate pour ce qu’est de l’Algérie car le pouvoir algérien, pour durer, détient non pas le monopole de la contrainte légitime mais le monopole de la violence illégitime. Cette violence illégitime ne permet pas un « devoir de mémoire ». Pour qu’il puisse être envisageable, il faut un préalable : la reconnaissance, car comme le dit si bien Paul Ricœur [4], le travail de mémoire et le travail de deuil sont deux notions purement psychologiques tandis que le devoir de mémoire est une notion morale. Qu’attendre d’une dictature si ce n’est une gestion despotique, fanatique et « fanatisante » de la société
La seconde raison consiste à s’interroger sur la place de la culture de l’oubli dans notre histoire contemporaine. Le principe d’amnistie tel qu’il est appliqué en Algérie est plutôt proche de l’amnésie que de celui déjà existant dans la Grèce antique [5] (Interdiction de rappeler les crimes commis par les deux parties). Il ne vise pas le maintien de la paix sociale mais plutôt la garantie d’impunité et d’immunité. Le pouvoir central prive le citoyen du devoir de mémoire car il refuse de reconnaître ses massacres, par peur d’un retournement de situation et du droit des victimes à demander des comptes. Il lui reste le devoir de ne pas oublier. L’oubli sous-entend la notion de trace, de pièces à conviction. Le personnel politique et militaire algérien s’est consacré à la destruction structurée et systématique des “mémoires” (capacités mnésiques abolies par la torture ou pas la propagande/corruption) et à l’effacement de ces traces, de ses trop nombreuses traces : les centaines de morts de cette guerre de 1963 contre les Kabyles, la liquidation physique de militants berbéristes – il faut oser le mot – Ouali Benaï, Mbarek Aït Menguellet ou encore Amar Oul Hamouda…et l’assassinat crapuleux de Abane ou de Krim )dont la famille n’a jamais déposé plainte, elle ne s’est jamais constituée partie civile par peur de représailles), .

une seule et même logique animent les “chefs” : “l’anti-kabylisme” primaire. Le massacre commis en Kabylie en 2001 par l’armée algérienne et dont le rapport n’a jamais été rendu public obéit à la même logique, il porte la même signature. C’est pour toutes ces raisons qu’il est temps de pointer les étapes et les différentes facettes de cette guerre menée en Kabylie contre les Kabyles, car au-delà du fait qu’un parti politique s’était constitué autour de la personne de Hocine Aït Ahmed (même si ce dernier n’a jamais reconnu le caractère ethnique et culturel qui estampille cette lutte, l’absence d’arabophones du FFS en est la preuve) et a revendiqué une Algérie démocratique, ce qui par ailleurs anoblit le combat pour la démocratie et les droits de l’Homme [6], il n’en demeure pas moins que les victimes soient presque entièrement Kabyles.
, Paul Albert Lentin [7] clos son article par ces termes : « …Les dimensions shakespeariennes de la pièce qui se joue le 1er juillet ne sont pas celles du Songe d’une nuit d’été, mais celles de Macbeth : grandeur du décor, tumulte des figurants innombrables et un spectre qui rode – le spectre hideux de la guerre civile ».
En effet, une lutte âpre pour le pouvoir s’est engagée juste après les accords d’Evian. À la question de « qui va s’emparer du pouvoir ? » et ensuite de qui va « le contrôler » d’une main de fer, selon la logique marxiste, nombreux clans hétéroclites s’agitent et s’organisent.
Nous assistons par la suite à des alliances contre-nature entre ces « frères » de combat prêts à s’entre-déchirer à couteaux tirés comme des truands. Si le peuple pouvait connaître les motivations réelles de ces hommes à qui il a fait confiance depuis au moins 1954, la guerre n’aurait pas eu lieu. Le destin du peuple algérien est scellé à Tripoli dans un programme de quelques pages consacrées essentiellement à « redéfinir » les structures du FLN pour bien « gérer l’avenir » de l’Algérie indépendante. Cependant, afin de satisfaire leurs propres « pulsions » politiques, certains considèrent que le GPRA est un obstacle qu’il faut dynamiter par tous les moyens. Les attaques ne se sont pas faites attendre puisque d’emblée, dans la même réunion (Congrès de Tripoli), le GPRA est accusé de s’être « scandaleusement embourgeoisé » et d’avoir « trahi l’ALN ». Dans le clan accusateur on y trouve Ben Bella, Boumediene, Slimane et Mendjeli ainsi que leurs alliés Abbas, Francis et Boumendjel (UDMA) plus par souci de revanche que par alliance politique suite à leur exclusion du quatrième CNRA de 1961. Dans l’autre camp on y trouve Aït Ahmed et Boudiaf comme défenseurs des leaders du GPRA, ainsi que certains éléments de la fédération de France du FLN comme Boudaoud, Bouazziz, Ladlani et Haroun. Après la condamnation du GPRA et la contestation par ce dernier de la validité des votants, c’est la course à l’échalote : d’un côté un Benkhedda (Président du GPRA) qui regagne illico-presto Alger et destitue du même coup le trio Boumedienne -Slimane- Mendjeli [8] ; de l’autre Ben Bella qui se lance dans la bataille pour le pouvoir. Dans la nuit du 30 juin au premier juillet les soldats de l’ALN arrivent par centaines dans la capitale. C’est l’armée des frontières de Boumediene qui clos l’acte 1 de la pièce qui se joue à l’insu du petit peuple en fête pour son « indépendance », cette opération d’envergure sur Alger a permis non seulement la « phagocytose » de l’ALN intérieur mais aussi l’élimination des officiers Kabyles [9] : d’une pierre, deux coups. Dans ce microcosme politique où se mêlent pêle-mêle, et de manière étrange et intime, la fraternité – les chefs du FLN s’appellent, entre eux, « frère » – et la terreur – ils s’entre-tuent comme dans le Far West ; la violence est féroce. En définitif, sont moins nombreux ceux qui ont fait la guerre pour la libération du peuple et contre le colonialisme que ceux pour qui la guerre est un investissement, une opportunité : le pouvoir, uniquement le pouvoir et rien que le pouvoir comme retour sur investissement.

L’Algérie est à ses « chefs » ce qu’une proie est aux loups. Pour Ferhat Abbas [10] », l’Algérie indépendante venait d’arrêter Boudiaf. Le tandem Ben Bella-Boumediene a décidé de mener une politique des plus répressives pour asseoir l’Etat-FLN, le seul et unique Parti, le seul miroir du peuple algérien au mépris de toute velléité démocratique. Le pouvoir de Ben Bella prend alors les allures d’une véritable oligarchie d’inspiration Castristo-nassérienne, « nous subîmes deux dictatures, celle de Ben Bella, puis celle de Boumediene. Ben Bella prit pour modèle de chef d’Etat Fidel Castro, son régime totalitaire, son pouvoir personnel et son idéologie communiste  » dira Ferhat Abbas [11]. Le climat de terreur instauré par l’investiture de Ben Bella a permis l’organisation d’ilots d’opposants politiques aussi opposés les uns aux autres. La constitution, le 29 septembre 1963, d’un parti d’opposition à la politique de Ben Bella, le Front des forces socialistes (FFS), autour de Hocine Aït Ahmed, Belaïd Aït Medri, Mourad Oussedik, Abdenour Ali-Yahia, le colonel Mohand-Oulhadj, le lieutenant Abdelhafidh Yaha et deux représentants du PRS, Aboubakr Belkaïd et Ali Ammar ainsi qu’un certain nombre d’autres militants en Kabylie, semblait être la réponse adéquate à l’omni-présidence de Ben Bella. Cela pouvait être perçu comme une sérieuse porte de sortie pour l’Algérie indépendante empêtrée dans des luttes fratricides pour le pouvoir et sa confiscation ad aeternam. Le FFS, pour provoquer un « choc psychologique » dans tout le pays choisit Tizi-ouzou, en Kabylie – et non Chelghoum Laid – pour organiser un rassemblement mettant en avant des slogans de type « A bas la dictature », « nous voulons la démocratie », « élections libres », et se gardant bien sûr de toute inscription ou banderole pouvant accréditer l’accusation de « régionalisme » ou de « berbérisme » [12]. Aussi nobles peuvent-ils être, le rejet de la dictature, le désir de démocratie ou encore l’alternance au pouvoir, Ait Ahmed reste obnubilé par les étiquettes de « séparatistes », de « régionalistes » ou encore de « berbéristes ». En tenant d’échapper aux « étiquettes », Aït Ahmed inscrit son mouvement de contestation dans le cadre de la lutte de pouvoir, et plus paradoxale qu’il puisse paraître ce sont les Kabyles en grande majorité qui prennent le maquis et qui périrent. Plus clairement dit, dès le début, Aït Ahmed est plus soucieux de la trajectoire nationale de son propre mouvement que des intérêts moraux et matériels de ces concitoyens qui constituent sa base, « la Kabylie », en 1985 dans une interview au magazine Jeune Afrique(cf H. Barrada : F. Soudan), il avance ceci : « Au risque de vous surprendre, je dirai qu’il n’y a pas de problème kabyle en Algérie, aujourd’hui comme hier. Dans la mesure exacte où la Kabylie a toujours été à l’avant-garde de la lutte de libération, qui ne s’est pas achevée avec l’indépendance. Non seulement il n’y a jamais eu de séparatisme kabyle, mais il n’y a jamais eu de revendication particulière à cette région… ». Cherchant ainsi à donner du FFS non pas l’image d’un parti régional mais d’un parti politique national mais à ancrage sociologique Kabyle, la nuance n’est pas mince. Il s’en est expliqué dans un entretien avec Hamid Barrada (1985) [13] « Je tiens à souligner qu’au lendemain de l’indépendance je me suis délibérément abstenu de formuler en ces termes nos revendications. Je mettais l’accent sur la démocratie et des libertés publiques qui impliquent la liberté linguistique. Cette prudence se justifiait à l’époque. Je ne voulais pas prêter le flanc aux inévitables accusations de régionalisme, qui ponctuent l’histoire du nationalisme algérien. Cette prudence peut-être excessive n’a pas porté ses fruits, puisque les trois pouvoirs qui se sont succédés en Algérie ont distinctement nié et la démocratie et les droits culturels. Ils sentaient plus ou moins confusément que la reconnaissance de l’une entraînait celle des autres ». Comme l’avait si justement souligné Lounes Matoub « itta-k abeḥri i turett » [14]. L’exclusion publique du FFS (parti socialiste), de Krim Belkacem (libéral) par Hocine Aït Ahmed (interdiction formelle à Krim de s’exprimer en son nom en Europe) accentue les divisions aux sein du FFS, d’où le ralliement de Mohand Ou Lhadj à Ben Bella le 12 novembre 1963, durant le conflit frontalier algéro-marocain [15].

N’en déplaise aux tenants d’un FFS national, il est judicieux de relever que les militants les plus radicaux, les plus irréductibles étaient avant tout des berbéristes assumés à l’image de Bélaid Aït Medri (chef du district de Haute Kabylie durant la crise anti-berbériste de 1949), de Mohamed Heroui, de Si Mohand Amokrane Haddag et Mohand-Arav Bessaoud, ancien officier de l’ALN et fondateur de l’Académie berbère (Agraw Imazighen)…. La façon avec laquelle l’armée « populaire » algérienne a tenté de mettre fin à la rébellion Kabyle de 1963 est semblable point par point aux pires moments de la colonisation française, notamment les opérations militaires d’où le vocable « l’indépendance est pire que la colonisation » entendu généralement chez les femmes. Les commandants Tahar Zbiri et Saïd Abid sur ordre de Ben Bella et de Boumediene ont massacré et ce n’est pas peu de le dire les Kabyles chez eux en Kabylie, qu’ils soient du FFS ou simples citoyens. L’horreur. Beaucoup parmi les cadres dirigeants, à l’instar d’Aït Medri ou de Tahar Timzi, ont été assassinés froidement, de très nombreux blessés, beaucoup d’arrestations et des viols. Hocine Aït Ahmed, arrêté et emprisonné à la prison d’El Harrach, dénonce, dans son intervention devant la cour de sureté d’Etat en 1964, face au procureur Djender, les sévices et les traitements inhumains infligés aux détenus : « Je n’ai pas été moi-même victime de sévices. Mes camarades qui étaient détenus de l’autre côté du pavillon ou j’étais séquestré pendant cinq mois ont par contre vécu des cauchemars hallucinants. Chaque jour, une humanité passait à la baignoire et à l’électricité. Des garçons et des filles de quatorze à seize ans ne sont pas épargnés. La faim, la soif, les humiliations. Il m’est arrivé d’entrevoir des prisonniers (car les inspecteurs s’arrangeaient pour que je ne rencontre personne au moment de ma toilette) : de véritables rescapés des camps de Dachau, squelettiques, hagards et terrorisés. D’ailleurs, certains de mes camarades ici présents ont été obligés de boire leur urine de fièvre et de soif. C’est le Zéro moins l’infini, le néofascisme de la pire espèce. Ces policiers ont les mœurs et les pratiques de la pègre. Leurs locaux sont des refuges des jeux interdits, des orgies. Les inspecteurs se disputent à propos du partage des butins, produits des perquisitions et des saisies arbitraires. Mes camarades m’ont stupéfait par certaines révélations. Certains inspecteurs que je croyais honnêtes et qui m’ont juré n’avoir jamais levé la main sur des détenus ont été les plus inhumains et les plus sales. Ce sont des tortionnaires et qui en plus rançonnent aussi bien les détenus que la famille. A Tizi-Ouzou, le Commissaire Ben Saïd s’est rendu célèbre par le supplice de la bouteille » [16].

D’autres méthodes aussi nauséabondes les unes que les autres sont mises en œuvre par le système Ben Bella-Boumediene pour réprimer et stigmatiser la Kabylie ; le témoignage d’un ancien responsable du FFS 1963 est édifiant « le pouvoir a pris contact avec le FFS. Il a envoyé Saïd Abid, chef de région, accompagné du commandant Zerguini, pour négocier au nom de Boumediene. Zerguini a organisé une diversion en envoyant un convoi de soldats dans deux camions civils. Il a ordonné à un 2ème groupe de soldats de tirer sur le premier groupe sous prétexte qu’il s’agissait de maquisards du FFS  » [17].

L’Algérie indépendante a déployé toute sa force armée pour venir à bout du soulèvement Kabyle, les traces sont encore vivaces dans la « mémoire » tant individuelle que collective. Comme le dit si bien Youcef Bellil dans son témoignage [18], l’usage de la torture est systématisé. Par cet épisode douloureux, on comprend aisément comment l’Algérie indépendante, à défaut de retrouver une dignité, s’est approprié à la fois les outils de la torture et leur mode d’emploi. La torture, les exécutions sommaires, tout cela n’est pas rien. Les esprits bienveillants ne peuvent nier ce fait, mais « ils s’imaginent volontiers que ce qu’ils savent est connu et assimilé par autrui  » [19]. Il faut aller aussi loin que possible dans l’histoire du mouvement national pour tenter de déceler les conditions politiques et psychologiques qui ont rendu possible une telle ignominie : un contentieux vieux de 87 ans. En effet, les divergences de fond entre Messali et Imache, dès 1926 au sein de l’Etoile Nord-Africaine, peuvent être lues sous l’angle arabe/berbère, laïc/arabo-musulman. En tentant d’intégrer au Mouvement national des références propres aux structures sociales berbères, notamment kabyles (Laarch, adrum, tajmaat..), Imache et ses collègues ont suscité défiance, suspicion et préjugés, dira Amar Ouerdane dans son excellent ouvrage [20]. A la fin de l’année 1936, ces divergences ont pris l’allure d’un conflit, entre un Messali plutôt partisan d’une orientation arabo-musulmane en lien étroit avec les Oulémas et les réformistes baathistes du Moyen Orient, viscéralement hostiles à toute manifestation de l’identité berbère, et un Imache républicain, démocrate et laïc. Ceci signe ainsi la fin de cette première organisation nationale dont « le seul » élément arabophone était Messali.

Pour mieux cultiver le culte de « sa » personnalité et pour mieux éliminer « les gêneurs » Kabyles, Messali crée en 1937 le PPA (le Parti du peuple Algérien) pour l’émancipation du peuple algérien dans un cadre français. Cet épisode montre comment Messali, influencé par la propagande et l’idéologie assimilationniste, se démarque foncièrement des dirigeants Kabyles : c’est l’apogée du contentieux. Ce « racisme anti-Kabyle » (c’est nous qui le soulignons) a pris forme dans les pratiques politiques (suspicion, intolérance, propagande religieuse, délation et autoritarisme) des militants acquis à Messali au sein du PPA et ensuite au sein du PPA-MTLD, produisant ainsi la crise anti-berbériste de 1949. Paradoxalement, le discours mettant en avant la défense de l’unité nationale bue jusqu’à la lie par le peuple ne colle pas avec la réalité du terrain, car le contentieux en question ne permet raisonnablement pas cela. Dans les faits c’est la politique de « si tu n’es pas avec moi, tu es contre moi », pas d’autres alternatives, d’où la liquidation physique de nombreux berbéristes à l’instar de Ouali Benaï, Amar Ould Hamouda, MBarek Aït Menguellet et d’autres encore. On retrouvera les mêmes arrières pensées (le danger Kabyle) chez Ben Bella, Boudiaf et Mahsas dans la décision de remplacer Hocine Aït Ahmed à la tête de l’OS par Ben Bella. Selon Harbi, dans l’entourage de Ben Bella et Boudiaf, la plupart des militants arabophones ont toujours essayé de réactiver contre les dirigeants Kabyles le spectre de 1949 « les Kabyles vont s’emparer de la révolution ». Ce n’est pas seulement l’expression d’une inquiétude, mais une véritable obsession. Durant la guerre (54-62), la hache de guerre des nationalistes algériens d’obédience arabo-musulmane n’est pas enterrée, au contraire elle va être brandie et exacerbée lors du congrès de la Soummam en 1956. Tout irrite Ben Bella et ses amis, de la remise en cause par les congressistes du caractère islamique des futures institutions algériennes à la mise en avant des références historiques Kabyles, tels El Mokrani et Cheikh Aheddad (1871) (cf. Ouerdane) en passant par la fameuse « primauté de l’intérieur sur l’extérieur ». Il faut également souligner qu’en plus des oppositions ethno-psychologiques (kabyle versus arabophone), l’opportunisme de certains militants kabyles bourrés de complexes à l’égard de l’élite intellectuelle Kabyle. Le cas Krim a pesé lourd dans l’isolement de Abane Ramdane puis dans son assassinat. Il s’est retrouvé tantôt allié des anti-Kabyles (Ben Bella en tête, Boudiaf et Mahsas), tantôt de Bentobal, Mahmoud Chérif… au prix de renoncement et au mépris des engagements pris durant le congrès de la Soummam. Le meurtre d’Abane au Maroc est précédé d’une campagne de dénigrement anti-Kabyle identique à celle de 1949 [21] même si ce dernier n’avait pas de liens politiques avec les berbéristes. Selon Ouerdane, « les assassins d’Abane ont sollicité “un permis d’inhumer” auprès de la délégation extérieure alors en prison (Aït Ahmed, Ben Bella, Boudiaf et Khider), seul Aït Ahmed a refusé de cautionner le crime  ».

Dans la guerre déclarée par le tandem Ben Bella-Boumediène aux populations Kabyles en Kabylie, même si ce n’était pas toute la Kabylie qui adhérait au FFS, on trouverait au moins une explication parmi tant d’autres dans la « continuité d’un contentieux ». Celui-ci mute et vire, inexorablement et fatalement, à l’acharnement et à la haine primaire du Kabyle. Deux visions diamétralement opposées de l’Algérie se sont alors affrontées de manière excessivement violente depuis le début de la structuration politique du mouvement national à travers ses élites militaires. La Kabylie, voire ses potentialités politiques et militaires, par excès de “démocratie” ou par désir fou de liberté, s’est dispersée, s’est affaiblit et annihilé par le pôle adverse, plus réaliste et téméraire (au sens stalinien du terme).

Comme l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs, le courant arabo-musulman a tenté à mainte reprise d’occulter d’un revers de main l’histoire berbère de l’Algérie, plus particulièrement l’existence même de la Kabylie en tant que telle, pour cela le rapport écrit et adressé à l’ONU par Messali (1937) – datant au ‘carbone70’ – l’existence de l’Algérie uniquement à partir du XIVème siècle ou encore les déclarations empressées de Ben Bella à Tunis au lendemain de l’« indépendance » selon lesquelles « l’Algérie est arabe, l’Algérie est arabe, l’Algérie est arabe » sont à juste titre des plus édifiants.

L’absence de reconnaissance de la diversité et l’absence de respect des différences a fait de l’élite au pouvoir un conglomérat de personnes sans culture politique, une sorte de “brut de décoffrage”, dont l’expression est la brutalité et la manipulation. Sur les décombres d’une Algérie « république démocratique et populaire assurant aux citoyennes et aux citoyens l’exercice de leurs libertés fondamentales et de leurs droits imprescriptibles  », une dictature a pris forme et dure encore. Elle s’est dotée d’un outil lui permettant le maintien : la sécurité militaire, puis le DRS, chargé de veiller au grain en « rééduquant le peuple ». La mise au pas de la société Kabyle avec une « politique Kabyle » de l’Algérie : arabisation forcée et forcenée, fermeture de la chair de Berbère de la faculté d’Alger, réduction des émissions kabyles de la chaîne de radio, intimidations, emprisonnement, manipulation de citoyens (Cap Sigli, ), torture (dans l’affaire dite « poseurs de bombes » de 1976) est la conséquence du contentieux qui lie la Kabyle à l’Algérie. C’est le miroir inversé du discours et des pratiques coloniales sur l’Algérie ou la « négation de l’indépendance » de Kateb Yacine. Comme en 1949, le FLN avait accusé les meneurs de grève (université de Tizi-Ouzou d’octobre-Novembre 1979) de berbéristes, voir même de berbéro-marxistes [22]. Quant au printemps berbère d’avril 1980, c’était la fameuse “main étrangère”. L’absolutisme sur fond d’idéologie arabo-musulmane – on ne pouvait espérer mieux ! – est la caractéristique essentielle du régime algérien depuis 1962 à nos jours. La société civile n’est pas épargnée, elle est contaminée par cette obsession “Kabyle”. Quand un Boudjedra (écrivain arabophone en langue arabe classique) s’interroge sur “la nécessité de l’enseignement du berbère en Algérie en plus de l’arabe et du Français ” ou bien quand il “considère que les Berbères en Afrique du nord ont été manipulés par la puissance coloniale qui a pu jouer sur ce droit à la différence pour élaborer une politique séparatiste (christianisation des Kabyles en Algérie ; Dahir berbère au Maroc)“… ou encore “…Les Berbères, dans leur majorité, sont musulmans et se reconnaissent dans le Coran,… du coup ils optent pour la langue arabe et ils s’en imprègnent magiquement “, il est dans son rôle car il œuvre et vibre pour une Algérie arabe et musulmane. Mais quand un Kasdi Merbah, un H’mida Aït Mesbah, un Benhamza, un Djender (le procureur), un Bensaïd, un Kacem Naît Belkacem, un Ouyahia ou encore plus récent le “Bachagha Benyounes” adhèrent au processus d’aliénation, soutiennent et défendent cet absolutisme et cet autoritarisme, étaient-ils dans leur rôle ?

La guerre de 1963 contre la Kabylie a ouvert la brèche, la voie à toute les violations des droits de l’Homme dans cette région, à toutes les répressions inimaginables et à une gestion hautement policière – à la place des écoles, des centres culturels ou des jardins publiques on a bâtît des commissariats, des prisons et maintenant des check Point à tous les ronds-points.

La guerre de 1963 a décomplexé les attitudes bureaucratiques du personnel politique et militaire algérien envers la Kabylie notamment l’arrêt du développement économico-social (un chômage record).

Le Printemps noir de Kabylie (2001) est mené avec la même volonté, la même hargne et la même haine qu’en 1963. Le régime algérien, une autre fois, il faut toujours le rappeler, a massacré, avec des armes de guerre, une jeune population sans défense ; c’est encore une fois l’expression meurtrière du contentieux vieux de plus de 87 ans.

Le décompte macabre de la “politique Kabyle” de l’Algérie est lourd. Par fierté, zèle ou calculs sordides, l’Etat algérien refuse de reconnaître ses massacres en Kabylie, il refuse de se repentir. Il a en revanche opté pour l’amnistie mère de toutes les amnésies. Le refus de reconnaissance, d’évocation et de réhabilitation des victimes ne permet pas pour l’instant d’envisager, sereinement, ni un “travail de deuil” ni un “devoir de mémoire”. Il nous reste un “travail de mémoire” d’une part, pour, consolider le “devoir de ne pas oublier” pour que la langue et la culture reprennent leur place ;.et d’autre part, pour faire face à une guerre d’un genre nouveau, celle menée contre nos symboles culturels et psychologiques. La sponsorisation, la sous-traitance et le maintien du statu quo : entretien d’un climat anxiogène et d’alcoolisation de la société, débauche, drogue, terrorisme, banditisme, kidnapping, chômage de masse, islamisation à outrance, suicide,…sont désormais les armes “dernière génération”.

Pour tout cela, il semble difficile pour un esprit kabyle épris de justice de trouver les raisons de continuer à espérer un éventuel destin kabyle dans une Algérie désormais arabo-musulmane.

source :tamazgha.fr

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