La gouvernance IBK a, certainement, battu le record des frictions entre le pouvoir exécutif et le judiciaire, chacun n’hésitant pas à jeter l’opprobre sur l’autre.
Dans l’affaire Mahmoud Dicko, qui défraie actuellement la chronique, les magistrats font entendre leur colère.
En effet, récemment convoqué au tribunal pour être auditionné sur ses interventions et menaces, lors de son meeting du 29 février, l’imam ne sera pas entendu. Ses partisans envahissant les lieux, menaçant de l’incendier…Les magistrats et autres cadres du tribunal ayant pris la poudre d’escampette pour se sauver. Mais avant cela, le ministre Tiébilé Dramé était chez l’imam, sans qu’on ne sache s’il eut présenté les excuses du gouvernement au dignitaire religieux ou non (comme l’a démenti le Secrétaire général de son parti, Djiguiba Kéita dit PPR).
Le gouvernement se fera à nouveau remonter les bretelles par les magistrats, très remontés dans cet épisode. «…Dans le cadre de cette enquête, le Procureur de la République a invité, sur convocation, l’intéressé à se présenter à son Parquet le 03 mars 2020. Une foule nombreuse a bloqué l’accès du Cabinet du Procureur de la République au dignitaire religieux qui, en bon citoyen, avait voulu déférer à ladite convocation. Dans la foulée, un ministre de la République se serait rendu au domicile du Sieur Dicko et lui aurait présenté les excuses du Gouvernement tout en lui notifiant l’annulation de la convocation judiciaire », accuse un communiqué conjoint publié par les magistrats. « Le SAM et le SYLIMA, tout en attirant gravement l’attention des Maliennes et des Maliens sur l’état actuel de fragilité extrême de notre République et de nos Institutions, font observer que ce regrettable dysfonctionnement de l’appareil judiciaire est dû d’une part à l’incivisme de quelques citoyens et, de l’autre, à l’immixtion intolérable du Gouvernement de la République dans les affaires judiciaires alors même qu’il se devait tout simplement de réunir les conditions requises pour que force ne reste qu’à la Loi et à elle seule », lit-on dans le communiqué.
Et les Syndicats de magistrats de condamner toutes formes de pression et d’intervention dans les causes judiciaires dont le traitement ne doit être conforme qu’au seul droit positif, avant de marteler la nécessaire préservation et la consolidation de l’indépendance de la magistrature.
Les magistrats ne se font donc pas prier pour tacler le gouvernement sur son penchant à porter atteinte à son indépendance. Ce que dément constamment l’exécutif, sans convaincre.
En outre, le lundi 18 novembre 2019, la rentrée des cours et tribunaux a été superbement boycottée par les magistrats. Ils ont brillé par leur absence à la Cour suprême pour assister à la cérémonie solennelle qui les concernait à plus d’un titre. En janvier dernier, les magistrats ont, dans un communiqué, accusé le Gouvernement d’avoir «porté atteinte à l’indépendance» de la justice pour avoir annoncé le report sine die du procès Amadou Haya Sanogo. Initialement prévu pour le 13 janvier, les deux syndicats (SAM et SYLIMA) affirmaient avoir «curieusement appris », le 09 janvier 2020, sur les réseaux sociaux, le report du procès Amadou Aya Sanogo. L’information, accusaient les syndicalistes, avait été donnée à travers un tweet du ministre de la Communication, porte-parole du Gouvernement, Yaya Sangaré, Les raisons de ce report, écrivent les magistrats, «tiendraient à ‘‘des contraintes majeures liées à la préservation de l’ordre public et à la cohésion au sein des Forces Armées mobilisées pour la défense de la patrie».
Dans leur communiqué, le SAM et le SYLIMA, rappelaient au Gouvernement, tous les textes qui consacrent le principe de la séparation des pouvoirs. Les magistrats citent les articles 25 alinéa 1″ et 81 alinéa 1’’ de la Constitution du Mali. Aussi, ils rappellent que le Code de procédure pénale donne « compétence exclusive » au Président de la Cour d’assises d’ordonner le renvoi d’une affaire criminelle enrôlée à une prochaine session, soit d’office, soit sur réquisition du Ministère public ou à la demande de l’accusé.
Selon les magistrats, la subordination du Ministère public au Pouvoir exécutif est « strictement encadrée » de sorte à éviter toute velléité d’immixtion. Avec ce qui s’est passé dans l’affaire Sanogo, il est clair pour les syndicats que « le Gouvernement, de façon inadmissible, a porté atteinte à l’indépendance de la Magistrature puisqu’il a posé un acte qui relevait du domaine éminent du Pouvoir Judiciaire». Et les deux syndicats de condamner «avec rigueur cette attitude du Gouvernement qui jure d’avec l’orthodoxie républicaine puisque donnant l’impression d’une justice aux ordres». Et de mettre «fermement en garde» le Gouvernement contre toute réitération de ce genre de démarche vis-à-vis de l’institution Judiciaire. Une mise en garde tombée dans des oreilles de sourd ? Certainement. La preuve est l’épisode de l’affaire Mahmoud Dicko.
Mais avant cela, l’affaire Ras Bath avait été marquée, en 2016, par des émeutes, avec mort d’homme, au tribunal de la commune IV. Dans la « gestion » de ce dossier, le gouvernement sera à nouveau accusé par les magistrats. Et c’est dans la foulée que le ministre de la Justice d’alors, Me Mamadou Ismaïel Konaté démissionnera avec de vives protestations en direction du pouvoir.
S’y ajoute que des grèves prolongées et répétées des magistrats ont mis en branle la bonne collaboration entre l’exécutif et le judiciaire dans notre pays. L’on a assisté quasiment à un bras de fer entre les deux pouvoirs.
C’est à croire qu’IBK et les hommes en robes se gardent une dent. Lui qui, dès 2014, un an après son arrivée au pouvoir, dénonçait avoir transmis des centaines de dossiers lié à la corruption à la justice et que c’est celle-ci qui ne semblait pas jouer son rôle. Ce qui déclencha une levée de boucliers des magistrats du pays, dont des expérimentés comme Daniel Amagoin Tessougué. Celui-ci aura des rapports très conflictuels avec le Garde des Sceaux d’alors, Me Mohamed Aly Bathily. Ce qui finira par le faire remplacer de son poste de Procureur Général Près la Cour d’Appel.
Après tous ces épisodes et les griefs et appréhensions sur la question de la lutte contre la corruption et les autres dossiers pendants devant la justice, l’on se demande quand est-ce que les rapports de collaboration institutionnelle vont s’améliorer entre ces deux pouvoirs sous l’ère IBK. C’est l’avenir qui nous le dira, mais l’âge d’or ne semble pas être pour demain.
Bruno Djito SEGBEDJI
Mali Horizon