Cette revendication corporative à la veille des consultations électorales s’apparente à une prise en otage de l’Etat pour le faire revenir sur ses engagements financiers au point de l’empêcher de mobiliser le financement pour assurer la tenue normale des élections.
« Pour rien au monde, nous ne devrons reculer. Cette période préélectorale est le moment propice pour obtenir du gouvernement, la satisfaction totale de nos doléances. Car, dos au mur, il n’aura d’autres alternatives que d’instruire aux différents départements concernés, de donner une suite favorable à nos revendications… ». Le témoignage a été recueilli auprès d’un leader du mouvement, qui a requis l’anonymat. Selon notre interlocuteur, pour en arriver à ce niveau d’extrémité, l’obligation est faite à tous les membres du groupe de jurer la main droite sur le livre saint « le Coran » de ne jamais trahir la cause du groupe. Il est ainsi demandé aux participants à la réunion secrète qui se tient chez un membre influent du groupe, de maudire leurs descendances s’ils se hasardent à divulguer le secret.
Ce témoignage suffisamment clair démontre de façon explicite, toute la détermination de ces détaillants, dont une bonne partie s’est désolidarisée. Il s’agit de la branche du Syndicat national des commerçants détaillants du Mali (Synacodem), proche de son président historique, Cheick Oumar Sacko, et du président de la Coordination des associations et groupements des commerçants détaillants du Mali (CAGCDM), Haber Maïga. Dans un entretien qu’il a accordé hier à nos confrères du quotidien national ‘’L’ESSOR’’, Haber Maïga affirma que son regroupement a reçu le même préavis de grève de la même manière que le Ministère du Commerce. Ils n’ont ni de près, ni de loin, été associé à l’organisation de ce mouvement de grève. En analyse simple, l’on peut être amené à se douter de l’efficacité d’un tel mouvement en l’absence des deux principales Organisations des commerçants détaillants. Mais, cette façon simpliste de voir le problème peut être préjudiciable au traitement du dossier.
L’efficacité réside donc dans leur mode opératoire : la violence physique et verbale contre leur leader d’hier. D’où un petit rappel historique de la formation de cette aile dure, décidée à montrer ses biceps au gouvernement de plus en plus acculé par les nombreuses crises qui secouent le pays en ce moment. Ces Associations n’étaient en réalité, au départ que des organisations satellites pour les grands mouvements, pour d’autres, des marches-pieds, qui ambitionnent de s’affranchir du joug de leur mentor : Haber Maïga et Cheick Oumar Sacko. Selon nos sources, ils accusent ceux-ci de s’être suffisamment gavé d’argent et ne s’occupent plus de leur souffrance.
De quoi s’agit-il donc ?
Selon nos sources, tout est parti de la décision des Chinois de fermer leur visa aux importateurs maliens avec la volonté cachée de substituer à ceux-ci, les commerçants chinois. Autrement, les amis chinois ont été suspectés d’installer sur le marché malien, leurs compatriotes. Qui allaient être à la fois des grossistes et des détaillants à la place des Maliens. La démarche des Chinois avait, certes, été bien comprise de nos Autorités, mais pour des raisons diplomatiques et protocolaires, elles ne sont pas en position d’imposer aux Chinois l’ouverture de leurs frontières à nos compatriotes. Idem, pour les responsables de la Chambre de commerce et d’industrie du Mali (CCIM).
C’est dire que l’Ambassade de Chine, qui ne fait qu’appliquer une décision prise par son gouvernement à Pékin, est restée de marbre devant la souffrance de nos importateurs, le cris de cœur de nos Autorités, notamment le ministre du Commerce, Abdel Karim Konaté, du président de la CCIM, Youssouf Bathily. Là où, un ministre de la République, doublé du président de la faitière des Opérateurs économiques du pays ont échoué, on ne peut objectivement pas compter sur un Cheick Oumar Sacko ou un Haber Maïga pour trouver la solution. La situation est restée bloquée pendant de longs mois à la souffrance des commerçants maliens. C’est finalement l’inventivité et la créativité de ces Organisations satellites pour trouver la solution qui a fait bouger les choses. Et comment ?
Selon nos sources, ils se sont organisés en faitière en mettant en place une Commission de recensement des importateurs désireux de commercer avec la Chine. En un temps record, ils ont collecté environ 2000 signatures. Avec cette liste, ils ont pacifiquement démarché l’Ambassade chinoise au Mali sans succès. C’est en ce moment, qu’ils changèrent de stratégie en optant pour la méthode forte : le sit-in avec bruit devant l’Ambassade empêchant les diplomates chinois d’accéder à leurs bureaux encore moins de travailler pendant des semaines. La répression policière n’a rien changé à leur détermination de briser le mur de la résistance chinoise à nos Autorités.
Finalement, les Chinois ont abdiqué en décidant de recevoir une délégation des manifestants pour négocier. Aux termes des discussions, ils ont obtenu des Chinois la levée de l’embargo sur le visa chinois au Mali pour les importateurs maliens. En plus de la suspension de la mesure, ils ont réussi à codifier avec les Chinois que seuls les dossiers traités et transmis par leur soin portant leur cachet et leur mention sont reçus par l’Ambassade pour suite à donner. Cette victoire d’étape leur a donné un sentiment de vainqueur, au point qu’ils sont tentés de reproduire le même modèle à travers cette grève.
Des Importateurs dans la peau des détaillants
Seulement, ils oublient que les choses peuvent s’assembler sans se ressembler. Ce qui était valable avec le combat pour le visa chinois ne l’est pas forcément ici. Car, les limites s’offrent à l’œil nu. D’abord, en termes de procédure juridique. Dans cette lutte, ils s’appellent commerçants détaillants. Et en tant que commerçant détaillant, qui est un statut dans l’architecture de l’organisation du Commerce partout dans le monde, ils ne peuvent revendiquer juridiquement des avantages au profit d’un autre niveau : celui des Importateurs. A moins qu’ils soient des importateurs dans la peau des détaillants. Et si tel est le cas, ils s’exposent d’ailleurs à des pénalités prévues et réprimées par la loi sur le commerce en République du Mali. Car, cette triche s’appelle délit d’initié et de tromperie de la puissance publique. Un délit reconnu et puni par la loi.
Deuxième limite objective : pour parler d’augmenter le droit des douanes, ils doivent être en mesure de dire la fourchette des Droits. Autrement dit, ils étaient combien avant ? Et ils sont passés à combien ? Et depuis quand, il y a eu changement ? Une dernière question subsidiaire : Quels sont les mobiles de l’augmentation ? Autant de questions qu’ils se doivent de répondre. Mais, manifestement, ils ne peuvent pas répondre à ces questions parce qu’en réalité, il n’y a eu aucune augmentation de droits.
Concernant la patente de 3% des Impôts, celle-ci ne concerne pas les commerçants détaillants. Ils paient un impôt synthétique qui est fixé en fonction de l’activité. Une autre limite à leur lutte, c’est le point de revendication relatif à la cession des immeubles de l’Etat à l’intérieur de la ville, notamment dans le Centre commercial de la Capitale. Est-ce qu’on ne doit pas s’interroger sur l’origine des ressources d’un commerçant détaillant qui a la surface financière de s’offrir un immeuble de l’Etat en cession ? Bien entendu. Car, on est en droit d’affirmer haut et fort que celui-ci n’est plus un détaillant, mais un gros bonnet dans la peau d’un détaillant.
En mettant bout à bout toutes ces informations, il est clair qu’Ibrahim Maïga du Synacodem, et ses camarades, Abdoulaye Cissé, du Collectif « Sauvons nos marchés », Gaoussou Coulibaly dit Djéri, du Comité de gestion du Marché rose et Moussa Sacko…pour ne citer que ceux-ci seraient dans un combat par procuration. Les vrais acteurs de ce préavis sont dans l’ombre. Pour la simple raison que récemment, il a été découvert un pot-aux-roses qui met en mal les affaires de certains importateurs véreux. A en croire nos sources, les Douanes ont appréhendé un bus remplis de médicaments « par terre » d’une valeur marchande supérieur ou égal à 5 millions FCFA. Pour tromper la vigilance des gabelous, on leur a fait croire que le dit véhicule était rempli de produits plastiques en provenance d’un pays voisin. Après des fouilles minutieuses, le produit prohibé a été découvert sous les sièges bien aménagés pour les besoins de la cause.
Le réseau de fraudeurs démasqué
Depuis 2016, la Direction générale des Douanes (DGD) a négocié avec les faitières des Commerçants importateurs un moratoire sur les droits des douanes. Parce que la DGD a conscience qu’en appliquant à la lettre les droits tels que libellés dans le Code des Douanes, beaucoup d’importateurs vont couler. Or, l’Etat a besoin de ces recettes pour fonctionner. Ainsi, un compromis a été dégagé sur les taux de taxation de certains produits de très forte consommation. D’ailleurs, il y va de la stabilité sociale du pays. Parce qu’il tient compte du pouvoir d’achat des consommateurs.
Depuis lors, ce consensus est respecté à la lettre par tous les acteurs : DGD et Importateurs. Mais, depuis un certain temps, il a été constaté que certains esprits malins tentent de se soustraire du paiement de ce droit convenu en aménageant des véhicules, notamment des Bus, pour importer des marchandises en fraude. Leur mode opératoire est simple : lorsqu’ils débarquent les containers au niveau de certains ports, dont nous tairons les noms, parce que la pratique est prohibée, mais en violation des règles de transit, ces tricheurs professionnels procèdent au dépotage, c’est-à-dire qu’ils brisent les scellés posés aux containers pour les vider de leur contenu. Les marchandises ainsi dépotés sont chargées dans ces Bus aménagés à destination du Mali. En voyant ces bus venir en apparence vide, puis que ne transportant aucun passager, un douanier non averti (non initié) le laisse continuer son chemin. Parce que le chauffeur ou le convoyeur le convainc que le véhicule ne contient que du « Hasa-Hasa », une expression consacrée.
Lorsque le pot-aux-roses a été découvert, les gabelous ont redoublé leur niveau de vigilance afin de s’assurer du contenu de tous les bus de ce genre à destination du Mali. Depuis, des bourdonnements ont commencé à se faire sentir jusqu’à des niveaux jusque-là insoupçonnés dans le milieu des importateurs. N’est-ce pas que ces fraudeurs et probablement des forces politiques hostiles à la tenue normale des élections à la date échue, ont intérêt à ce que la situation s’embrase ? Ils peuvent investir l’aile dure des détaillants pour éventuellement les manipuler afin de faire fléchir la DGD en obligeant ses agents à porter des verres suffisamment fumés pour ne pas voir en dessous des sièges passagers des bus en apparence vides, mais remplis de marchandises prohibées ou frauduleuses.
Ces probables hommes politiques impliqués peuvent être intéressés par le blocage du processus électoral que ces genres de crises peuvent engendrer. Parce qu’en ce moment, l’on assiste impuissant à une remontée de la côte de popularité du président sortant, Ibrahim Boubacar Kéïta. Pour donc empêcher la mayonnaise de prendre, leur stratégie est de travailler dans l’ombre à gripper la machine au point de l’obliger à s’arrêter à défaut de pouvoir y influer légalement.
Affaire à suivre donc…
M.A. Diakité
Le Tjikan