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Grève de la faim : « Nos enfants ont faim et ne vont plus à l’école; donc, nous préférons mourir ici sur les rails que devant nos familles…», déplore un cheminot

Ils sont à 5 jours de grève de la faim, une situation de très grand danger pour ces 496 cheminots en activité qui sont déterminés à aller jusqu’au bout, quitte à mourir sur les rails. Assis sur des chaises ou des tabourets dans un coin de la gare de chemin de fer à Bamako, nous sommes allés à leur rencontre, hier, dimanche 23 décembre 2018. Physiquement, ils commencent à dépérir, on sent sur eux le ras bol, la fatigue. La tristesse et l’angoisse se lisent également dans leurs yeux. Plus loin, deux d’entre eux sont couchés par terre, probablement affaiblis.

Après plusieurs tentatives d’être dans leur droit de salaire qui atteint aujourd’hui un retard de 9 mois, ces Hommes dans la solitude et dans l’indifférence du Pouvoir mortifère sont dans une attente interminable. Ils réclament tout simplement leurs dus et ceux de leurs collègues qui ont aussi posé les mêmes actes dans toutes les gares de Kita, Toukoto, Mahina, Djamou  et jusqu’à Kayes.

Sous un soleil ardent dans l’ombrage d’un  mur qui allonge le long de la Gare ferroviaire, nous avons pu rendre visite à ces cheminots grévistes.

Moussa Kéïta, le Secrétaire Général du Syndicat libre des Travailleurs des Rails, nous étale les faits et les raisons qui les ont poussé à l’extrême. 

« Aujourd’hui, nous sommes à 5 jours de la grève, une chose que nous n’avons jamais souhaitée. Mais, compte tenu des réalités, nous sommes à bout. Nous sommes à bout parce qu’on est à 9 mois d’arriérés de salaires avec l’État du Mali».

Les faits

En effet, selon les éclaircissements de Monsieur Kéïta, lui et ses confrères travaillent  dans une entreprise «bi nationale» qui appartient à deux États, le Mali et le Sénégal.

En décembre 2015, ces deux pays se sont donné la volonté  pour trouver une solution pour la reprise de l’axe ferroviaire Dakar-Bamako. C’est dans cette vision  que l’entreprise a été confiée à un organe transitoire géré par quatre Administrateurs dont Sénégalais et deux Maliens. Issue d’une même décision, la répartition de la tâche a fait qu’un  Sénégalais a été nommé  Administrateur Général à la personne de Josef Sabo Gabriel et un Malien, Administrateur des Ressources Humaines et Financières en la personne de Djibril Nama Kéïta.  Les deux États se sont engagés de part et autre de payer  3.750.000.000 FCFA dans un compte commun qui doit faire 7.500.000.000 de nos francs. Cette somme a été repartie par les Experts ferroviaires en trois parties dont une partie pour les salaires, une partie pour les réparations des points critiques de la voie ferroviaire et une partie pour l’achat des  pièces de rechange.

Cette volonté des deux États a été peut-être émise et ça valait mieux que rien. Mais, ils ont mis la charrue devant le bœuf. Comment ? Ils ont proposé un Budget de 3.500.000.000 FCFA pour la relance, ce n’était même pas pour la relance. Les États ont été clairs, les P.V sont là, le Budget mis à la disposition de cet Administrateur, c’était de maintenir l’activité ferroviaire sur les rails avant que l’option de schéma institutionnel ne soit appliquée.  Ce schéma a pour but de créer deux Directions de Patrimoine dont une au Mali et l’autre au Sénégal.

Le deuxième point était de créer un organe  de régulation pour  le suivi des activités  du chemin des fers du corridor Dakar-Bamako. Et le troisième point est de chercher un nouvel acquéreur. C’était le schéma institutionnel prévu depuis 2010 par les États malien et sénégalais. Donc, l’organe transitoire  avait pour mission de maintenir l’activité ferroviaire sur les rails et de travailler avec les Experts afin de mettre ce schéma  sur place et pour  une durée de 6 mois. Si besoin en est, la transition pourrait  continuer jusqu’à la fin de l’application du schéma institutionnel. Mais, quelque part, il a été dit que  dans les actes de résiliation, les engagements, les communiqués conjoints, les États se sont engagés de part et d’autre que la couverture sociale qui comprend le salaire du personnel, la préservation de l’emploi et la prise en charge des frais médicaux et les indemnités de départ à la retraite seront assurés par les États. Le Sénégal s’occupe de son personnel et le Mali du sien. Et nous nous sommes aujourd’hui à un niveau où le Sénégal est à jour au point de vue engagement par rapport au  Mali. Nous n’avons pas eu d’explications à cela.

Les raisons de la grève

Nous avons entamé des démarches, nous avons démarché les hautes autorités de ce pays,  nous avons envoyé une lettre au président de la République depuis son premier mandat. Nous avons rapproché le président de l’Assemblée Nationale devant son staff, les Députés à l’Hémicycle, nous avons rapproché le Président du Conseil Economique et Social à Koulouba, nous avons rapproché le Guide spirituel Ousmane Cherif Madani Haïdara, nous avons rapproché le Cardinal Jean Zerbo, nous avons rapproché le Médiateur de la République. En grosso modo, voilà les Chefs d’institutions  et autorités morales et religieuses que  nous, les cheminots, avons rapprochés et démarchés.

Conscients des difficultés graves que l’État traverse en ces moments, nous avons opté pour la non-violence et sollicité la voie de la négociation.

Dans la nuit du 15 au 16 mai 2018, nous étions tellement agacés que nous avons barricadé tous les passages à niveau de Bamako. Cela a causé beaucoup de tort à la population riveraine de notre capitale. Or, notre objectif n’était pas pour causer du tort aux populations, mais c’était plutôt pour passer un message à l’adresse des plus Hautes Autorités de ce pays pour qu’elles sachent que les cheminots du Mali sont dans des difficultés. Ce jour-là, il y a eu un défilé de Ministres au chemin de fer pour une négociation afin que soit levées  les barricades. Nous avons été sensibles en tant qu’êtres humains et fils de ce pays. Certes, il y a le droit, il y a les textes, mais il y a l’humanisme qui doit primer. Donc, nous avons tenu compte de beaucoup de paramètres et nous avons accepté ce jour-là de lever les barricades e pensant que le message a été perçu par nos Décideurs politiques. Hélas ! Comme le dit un adage bambara, «le passage à la Mecque d’un chat ne peut pas éradiquer son caractère».

Les Hautes Autorités ont mené un jeu, un jeu contenu, un jeu d’espoir et de désespoir, une culture d’espoir et de désespoir alors que nous sommes des Chefs de famille, nous avons des obligations envers nos familles respectives et nous n’arrivons pas à nous acquitter de nos devoirs. À l’époque, le Ministre Hamed Moulaye s’est rendu en Afrique du Sud en nous donnant de l’espoir pour dire qu’il est parti réceptionner trois locomotives. Pour nous, c’est un acquis quand on parle de « réceptionner ». Pire encore, ils avaient même dressé la liste des ouvriers qui devront être formés à Pretoria pour l’acheminement de ces locomotives. Ç’a fait quatre à cinq mois qu’on attend et, au finish, on n’en parle plus. Un autre désespoir ! Tout récemment, nous avons démarché le Ministère des Finances, ils ont dit non au chemin de fer, l’argent qu’on vous a donné, vous avez tout mangé. Nous avons rétorqué en leur disant de s’abstenir à nous parler ainsi ; car, nous ne sommes que des travailleurs, des victimes.

Le comble

Quand on sait que c’est la Direction qui a tout dilapidé, un organe transitoire qui a été créé par eux-mêmes sans statut juridique. Ils avaient promis de payer des pièces de rechange avec l’Occident. Un organe qui n’est pas inscrit dans le Registre de Commerce du Mali, quelle transaction pouvait-elle faire  entre le Mali et le fournisseur étranger ? Un organe prévu pour 6 mois est parti à 31 mois. Donc, la Direction a détourné l’argent  et non l’utilisé ni dans le cadre du projet  ni, de façon humaine et humaniste,  pour assurer les salaires du personnel. Qu’est-ce qu’ils ont fait de cet argent ?  Moi, je ne suis pas un Inspecteur des Finances. Ce sont eux qui ont la réponse. Malgré que les États ont commis des fautes lourdes en créant un organe avec un Budget, une grande entreprise comme le chemin de fer sans Statut, sans être inscrit dans le Cahier de Registre de Commerce. En fait, au lieu de s’en prendre à la Direction, ou de s’auto accuser, ils viennent s’attaquer aux pauvres cheminots et pas aux Hommes qu’ils ont eux-mêmes nommés. Ils nous ont poussés à nous en prendre à notre Direction, nous avons répondu « NON ».  Ils n’ont qu’à s’assumer ; car, ce sont eux qui les ont nommés. Au moment des nominations, nous n’étions pas présents et n’avons pas été consultés. S’ils  ont engagé des incompétents, c’est simple, relevez-les ! Le comble c’est qu’ils nous accusent aussi de brader le foncier et nous expliquent que les recouvrements des baux pouvaient assurer nos salaires. On était  contraint alors de faire avec des calculs, des comptes-rendus de bail qui nous ont pris deux à trois mois afin d’avoir les documents malgré que nous ne sommes que des Syndicalistes qui ne maitrisons  pas tout cela. Les Blancs ont vendu le foncier ici, l’entreprise a fait treize ans de concession. L’État malien les a accompagnés à plus de 25 milliards. Ils ont loué les locomotives du Mali sans  payer des redevances. Choses qu’ils n’ont pas faites, au contraire ces personnes ont été exonérées de tout mouvement d’import et d’export. Des pertes énormes pour l’État malien. Ils ne payaient pas des impôts ni de l’INPS. Ces gens sont venus uniquement pour nous piller. On a fait plusieurs conférences de presse, mais personne n’a tendu l’oreille pour nous écouter.

On fait face à une gangrène contre laquelle on est impuissant

Comme ils sont arrivés à un niveau où ils veulent ôter notre vie, nous avons préféré nous-mêmes faire notre grève de la faim sur les voies ferrées. Si nous devons  mourir, nous allons  mourir ici dans les locaux ferroviaires.

Nous sommes là, depuis cinq jours. Aucun Responsable de ce pays n’est venu nous rendre visite. Ni le Premier Ministre, ni le Ministre des Transports, ni la Ministre du Travail et de la Fonction Publique ni leurs Envoyés. Personne. Par contre, quelques Hommes politiques sont venus nous rendre visite et,  d’autres, en tant que citoyens de Kayes.

Le repère de Kayes c’est le train et  aujourd’hui cette ville n’a plus de repère.

IBK m’a dit : « Kéïta, tu es Kéïta comme moi. Dès que je viens au Pouvoir, je vais moderniser le chemin de fer ». C’est ainsi que j’ai embarqué les cheminots derrière lui et, aujourd’hui, je suis devenu deux fois victime ; je suis victime parce que je ne peux pas faire manger ma famille et je suis victime parce que j’ai embarqué les cheminots dans cette misère. Quelle détresse ! On ne quémande pas, on veut être dans nos droits et point barre !

Nous lançons un appel pressant à tous les Maliens en leur demandant de nous accompagner pas dans la violence, mais dans la vérité.

Nos dus ne dépassent pas un milliard, un milliard qu’est ce que ça coûte pour un État? Dakar continue à payer ses cheminots, qu’est ce qui empêche Bamako d’en faire autant ? », rétorque notre interlocuteur, le Secrétaire Général du Syndicat Libre des Travailleurs des Rails, Moussa Kéïta.

L’actuelle Direction du chemin de fer est dirigée par un Sénégalais qui travaille à la Primature en France et qui, depuis le jour de la passation de services,  nous ne l’avons plus revu. On est à deux mois sans électricité au chemin de fer. Nous dormons dans l’obscurité dépourvus de courant. L’État n’a qu’à prendre une décision, s’il veut fermer les chemins de fer du Mali qu’il le fasse. Mais une chose est sûre, ils ne pourront pas. Aucun Régime ne pourra fermer ce chemin de fer. Tout Régime qui ne part pas en phase avec les chemins de fer va échouer. Le pouvoir est entre les rails », conclut-il.

Les soutiens 

Il dira : «Nous avons avec nous des Médecins généreux  et de bonne volonté qui nous suivent 24/24 Heures. Des Pharmaciens sont venus nous donner des cartons de médicaments, nos ordonnances sont payées par des pharmaciens, par des associations des médecins. Ils nous assistent tous.

Pour les soutiens, nous avons vu des citoyens lambda qui sont venus nous donner des moustiquaires, des insecticides, parfois de l’argent pour couvrir éventuellement nos frais  de charges.

Il faut l’intervention du Président de la République et sa décision. Cinq Ministres se sont succédés, mais ils n’ont pas pu trouver la solution.

Espérons que ces braves Hommes puissent être dans leurs droits et que cette grève de la faim arrive à aboutir à un dénouement heureux pour eux et leurs familles.

Cette grève de la faim a déjà fait quatre victimes évacuées aux urgences de l’Hôpital Gabriel Touré.

Crise social et humanitaire à suivre !

NNC

LE COMBAT

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