Depuis lundi 13 mars 2023, l’enseignement privé du Mali, qui prend la majorité des élèves du Mali aujourd’hui avec plus de 85% des effectifs (sur plus de 2800 établissements, l’Etat n’a que 114 établissements du public), est paralysé. Les élèves sont contraints de rester à la maison à cause de la grève de 120h décrétée par le groupement des associations des promoteurs d’écoles privées du Mali (AEPAM). Cette mesure des promoteurs des écoles privées a été prise suite à une assemblée générale extraordinaire tenue le samedi 11 mars 2023. Il s’agit de faire comprendre à l’Etat, pour le secrétaire général de l’AEPAM, Abdoulkassoum Touré et ses camarades, après avoir épuisé les voies de recours dans la négociation et dans les débats de fond, que les promoteurs d’écoles privées sont dans une situation insoutenable. Lisez l’interview avec le secrétaire général Abdoulkassoum Touré sur la grève.
Le Républicain : Bonjour Monsieur le secrétaire général de l’Association des Promoteurs d’Ecoles Privées du Mali (AEPAM), votre organisation a décrété, depuis le 13 mars 2023, une cessation de travail de 120 heures. Est-ce qu’on peut avoir le point de la situation avec vous ?
Abdoulkassoum Touré, secrétaire général de l’AEPAM : La grève a été déclenchée pour cinq jours, 120heures. Elle a débuté le 13, et elle continue.
Est-ce que le mot d’ordre est suivi par vos militants ?
Le mot d’ordre est suivi à 95%, même à 98%. Sur les 700 établissements privés qui sont au niveau du District de Bamako, à part 7 établissements, tout le monde a suivi. Et ces 7 établissements disent qu’ils ne reçoivent pas des élèves. C’est pourquoi ils ont leurs raisons. A part ça, tout le monde a suivi.
Est-ce que le gouvernement est entré en contact avec vous depuis le déclenchement de la grève ?
Officiellement, au moment où je vous parle, ce mercredi, non ! Mais nous savons quand même qu’il y a des réunions de crises qui ont été provoquées au niveau du Ministère de l’éducation nationale et du Ministère de l’Economie et des Finances. Ce matin, il y a un promoteur qui m’a appelé pour me dire que le chef de cabinet du premier ministre voulait entrer en contact avec moi. Quand il va m’appeler officiellement, on dira que l’Etat est rentré en contact avec nous.
Approximativement, cette grève joue sur combien d’élèves ?
C’est un problème de pourcentage. Alors, au niveau de l’enseignement secondaire général et de l’enseignement technique et professionnel, nous avons plus de 85% des effectifs dans nos rangs. Car sur plus de 2800 établissements, l’Etat n’a que 114 établissements publics. Quand vous comparez 114 à plus de 2000, vous comprenez directement que le gros de la troupe, c’est au niveau du privé.
Après les 120heures, s’il n’y a pas de satisfaction, quelle sera la suite ?
Mais c’est trop tôt pour apprécier. On leur a laissé quand même un temps de manœuvre. D’ici là, on va suivre. Dans tout les cas, nous ne sommes pas dans la posture de bras de fer. On a épuisé les voies de recours dans la négociation et dans les débats de fond. On a estimé qu’il faut qu’on réagisse pour qu’on comprenne vraiment que nous sommes dans une situation insoutenable. Sinon, tout le monde sait que les écoles privées ne parlent pas quand on parle de grève au Mali. Et l’argent que nous sommes en train de réclamer concerne l’année dernière, les frais scolaires de 2022 qui devaient être payés aux mois de mars et mai. Nous sommes au mois de mars de la nouvelle année. Donc, imaginez ce que ça veut dire.
Très généralement, cette situation de réclamation des frais scolaires des écoles privées revient entre vous et l’Etat et cause avec elle des cessations de travail. Est-ce la mauvaise volonté de l’Etat ?
Il y a plusieurs raisons qui justifient cette situation. Parce que techniquement, il y a des préalables pour que le Ministère de l’économie et des finances puisse prendre les paiements en charge. Et ces préalables se situent au Ministère de l’éducation nationale. Parce qu’il faut que les états et les effectifs soient normalisés et calés. Ensuite, il faut qu’il y ait une décision et de maintien définitifs. Il faut aussi qu’il y ait une décision d’octroi des frais scolaires et de demi-bourses. Et il faut qu’il y ait des états de paiement qui doivent être élaborés par eux d’abord. Quand ils font tout ce travail, c’est en ce moment là qu’ils envoient au service technique et financier. Ces documents ne sont pas à jour et dans le délai. Naturellement, il y a des difficultés de paiement. C’est pourquoi nous avons toujours demandé au niveau du Ministère de l’éducation qu’il y ait une lettre de cadrage pour fixer le délai par rapport à l’élaboration de ces documents, mais que cette lettre de cadrage soit conforme à l’arrêté interministériel qui fixe les périodes de paiement. Quand la lettre de cadrage va au delà de l’arrêté interministériel, il y a toujours des difficultés. Sinon nos paiements ne sont pas des paiements uniques, ce sont des paiements semestriels. La première tranche doit être payée au mois de mars, et le deuxième semestre doit être payé au mois de mai. C’est pour éviter qu’on aille aux examens sans qu’on ne soit mis dans nos droits. Mais fort malheureusement, il y a plus de dix ans que nous assistons à des payements uniques. Et la, c’est une tension de trésorerie terrible pour l’Etat. C’est pourquoi, maintenant, dans le cadre partenarial, il faut la bonne compréhension des choses. Nous acceptons de subir. Nous préfinançons la rentrée de l’année scolaire à cheval de l’année budgétaire. On attend encore un an pour être payés. Imaginez ce que ça veut dire. On avait des contrats avec toutes les Banques de la place qui nous accompagnent aujourd’hui, jusqu’en fin juillet. Mais aujourd’hui, nous sommes vraiment dans les pénalités. C’est ce qui est écrasant.
Votre dernier mot ?
C’est de dire vraiment de faire l’effort de nous soulager pour qu’on puisse reprendre la craie. On est fait pour accompagner le système éducatif, et non pour créer des problèmes au système. Et tout le monde sait que, tout le temps, c’est nous avons œuvré dans le sens de sauver les années scolaires précédentes. Malgré la situation, malgré nos difficultés, nous faisons l’effort d’accompagner l’Etat. Même cette année, à la rentrée scolaire, nous avons demandé de reporter la rentrée scolaire de deux semaines pour permettre à l’Etat de nous soulager un peu, pour qu’on puisse avoir les stylos et les cahiers pour les enfants. Mais ils ont dit non. Nous avons été obligés de dire aux camarades de se débrouiller avec les moyens de bord, de faire en sorte qu’on puisse respecter les dates indiquées. Ce que nous avons fait. C’est pour dire que nous aussi nous travaillons avec des partenaires. Les fournisseurs qui nous donnent des équipements, les fournitures scolaires et autres, attendent un an pour être payés. Beaucoup de nos camarades sont en location. Les contrats que nous avons avec les propriétaires d’immeubles sont annuels. Quelqu’un qui doit être payé depuis juillet, s’il n’est pas payé à la date d’aujourd’hui, ça veut dire qu’il y a des problèmes au niveau du tribunal de commerce. Les enseignants sont dans nos murs, ils ne sont pas payés ; le personnel de l’administration scolaire n’est pas payé. Et les Banques qui nous accompagnent ont leur limite. Nous avons dépassé ce délai. Maintenant, ce sont des pénalités qui sont en train de courir sur nous. A ce rythme, est-ce que nous pouvons prétendre à de nouveaux accompagnements ? Donc pour que nous soyons accompagnés, nous devons payer ce qu’on a comme crédit, et ensuite demander un nouveau crédit pour pouvoir fonctionner. C’est comme ça. Tant que tu ne vis pas les réalités du public, tu ne sais pas les problèmes auxquels nous sommes confrontés.
Hadama B. FOFANA
Source: Le Républicain