Entre le 08 septembre 2013 et le 15 janvier 2016, soit en l’espace de 28 mois et 7 jours, le président Ibrahim Boubacar Kéïta aura expérimenté trois Premiers ministres, brûlé cinq gouvernements (le sixième est en exercice) qui ont vu défiler au moins une cinquantaine de ministres. Si l’on sait qu’à chaque retouche du gouvernement, les cabinets ministériels changent à près de 100% et les services rattachés à plus de 80%, l’on mesure l’impact dramatique de cette instabilité dans l’efficacité de l’action gouvernementale et la bonne marche des services publics. Pire, ce sont les membres de la famille présidentielle, les parents, proches, alliés et affidés qui écument l’administration, sans la moindre compétence. Souvent, ce sont de vieux chevaux, qui ont fait valoir leurs droits à la retraite, qui sont rappelés dans l’écurie. Cela, au détriment de grands commis de l’Etat et autres cadres valables, mis au chômage ou confinés à des tâches de second plan. Les exemples sont légion dans les trois cas de figure. Conséquence : dysfonctionnement de l’administration, morosité dans les services publics avec leur corollaire de marasme économique, crise financière, ébullition du front social.
L’instabilité gouvernementale et administrative tue l’administration malienne. L’Etat se consume à petit feu. Et si IBK n’y prend garde, il risque, dans deux ans, de se retrouver nez à nez avec le peuple malien, bredouille ; donc avec l’honnêteté «mandenka » de ne pas briguer son suffrage. Ce jour-là, le candidat élu à plus de 77% en 2103 réalisera qu’« il a tapé à côté », pendant cinq ans, à cause de son entourage, de ses choix politiques, de sa gouvernance. Aujourd’hui, le président de la République ne peut pas revendiquer le moindre acquis de rang dans n’importe quel domaine. Aucun Malien, aucun africain, personne au monde, ne peut indexer une infrastructure réalisée sous le régime d’IBK ou un important projet social initié ces deux dernières années à l’image de l’Amo (Assurance maladie obligatoire) d’Amadou Toumani Touré, une sécurité sociale qui fait aujourd’hui la fierté des Maliens.
Pourquoi Ibrahim Boubacar Kéïta est en si grand retard dans la réalisation de son programme de société (!!!) ?
La faute incombe à lui, et à lui tout seul. Et elle tient en premier lieu à ses très mauvais choix de Premiers ministres, qui l’ont conduit à faire défiler, en 16 mois (septembre 2013-janvier 2015), trois chefs de gouvernement. A leur tour, Oumar Tatam Ly (8 septembre 2013-4 avril 2015), Moussa Mara (5 avril 2015-8 janvier 2015) et Modibo Kéïta (depuis le 8 janvier 2015) procèdent cumulativement à cinq changements dont trois à l’actif de l’actuel PM en 12 mois.
En plus de la capacité de ces Premiers ministres à relever le défi qui restait à prouver, la conséquence de ces changements, c’est qu’aucun d’entre les deux premiers n’a eu le temps matériel de mettre en œuvre sa Déclaration de politique générale, encore moins Modibo qui change de ministres à tour de main.
Pire, chaque Premier ministre qui arrive vient avec de nouvelles têtes de ministres, alors que certains de ceux qui partent n’ont eu que le temps de prise de contact avec les structures relevant de leur département ; du moins pas assez pour exécuter leurs feuilles de route. Exemples concrets : en deux ans et demi, des départements importants ont connu des ballets incroyables, avec au moins trois titulaires différents. Il s’agit du ministère de la Défense et des anciens combattants (Soumeylou Boubèye Maïga, Ba Ndaw et Tiéman Hubert Coulibaly); du ministère de l’économie et des finances (Madame Bouaré Fily Sissoko, Mamadou Igor Diarra et Boubou Cissé); du ministère en charge de la Justice (Mohamed Ali Bathily, Mohamed Diarra et Madame Sanogo Aminata Mallé).
Pour ce qui est du ministère de l’administration territoriale, un confrère dessine un tableau déplorable de ce qui s’y trame : « Chargé d’organiser les élections…, le ministère de l’Administration Territoriale est devenue, depuis 2013, une véritable girouette qui ne cesse de changer de tête. Le département est revenu tout d’abord au général Moussa Sinko Coulibaly, l’organisateur des élections victorieuses de 2013. A la démission du gouvernement d’Oumar Tatam Ly, le général Sada Samaké, un proche d’IBK, est nommé à la tête du département, renommé à l’occasion « Ministère de l’Intérieur ». Sada a alors sous sa tutelle un ministre délégué chargé de la Décentralisation en la personne de Malik Alhousseyni.
Un trimestre plus tard, nouveau changement: le ministre délégué chargé de la Décentralisation tombe au profit d’Ousmane Sy. Devenu Premier Ministre, Modibo Kéita transforme ce département en un super-ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation qu’il confie à Idrissa Maïga, l’ex-directeur de campagne d’IBK. Sada est logé au département de la Sécurité et Ousmane Sy est remercié ».
IBK a ainsi utilisé une cinquantaine de ministre. Or, qu’il soit politique ou technocrate, chaque ministre vient avec son cabinet en poche et avec, en tête, son idée de s’enrichir au plus tôt et de renflouer les caisses du parti. D’où l’empressement de chacun à placer ses hommes à la tête des différents services centraux et des services rattachés jusqu’au plus bas de l’échelle.
Cas palpable : lors du conseil des ministres du 28 janvier 2015, le ministre des Finances, Mamadou Igor Diarra, a fait sortir un grand balai en nommant son chef de cabinet (Samba Amineta Sarr), un Conseiller technique (Modibo Maïga), trois chargés de mission (Alassane Diarra, Madame Maïga Zaliha Maïga et Baréma Bocoum), ainsi que le directeur national du Trésor et de la Comptabilité publique (Sidi Almoctar Oumar), le directeur général du Budget (Sambou Wagué), le directeur général des Douanes (Modibo Kane Kéïta), le Payeur général du Trésor (Mahamane Tiambou Haïdara), le Receveur général du District (Bakary Konaté), et l’Agent comptable central du Trésor (Madame Aminata Sow). Onze cadres ont été sacrifiés… Comme 15 autres l’ont été le même jour par d’autres ministres.
Autres exemples plus patents : lors du conseil du 4 février 2015, le ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation, Idrissa Maïga, a procédé à 15 nominations dont 7 préfets et 5 conseillers aux affaires administratives et juridiques. Son collègue de l’énergie et de l’eau, Mamadou Frankaly Kéïta, en a fait douze (12), soit une unité de plus que Dramane Dembélé de l’urbanisme et de l’habitat, qui lui aussi distançait le ministre de la sécurité intérieure, Gal. Sada Samaké. Au total, ce sont 57 cadres qui ont été changé ce jour-là. Comme pour dire qu’on casse tout et on reprend à zéro dans un élan effréné de se remplir les poches.
Pourquoi tant d’incohérences ?
Le drame, c’est que très souvent, c’est la famille présidentielle qui est indexée de tirer les ficelles dans l’ombre et de bénéficier d’un bon quota de parents à caser.
D’où cette interrogation de notre confrère mentionné plus haut: l’instabilité sert-elle de politique à IBK ? Ou traduit-elle la volonté de celui-ci de contraindre les ministres et les hauts cadres dans une obéissance aveugle ? Ça a tout l’air.
Dans une récente déclaration, le Parena fustige l’instabilité gouvernementale et la forte présente et influence de la famille présidentielle dans l’administration.
« Les tâtonnements et les improvisations sont parmi les caractéristiques principales de la gouvernance instaurée par le Président.. », constate le parti du bélier blanc. Qui en veut pour preuve : «…un ministère créé en septembre dernier (Coopération internationale et Intégration africaine) a disparu, quatre mois après, lors du remaniement du 15 janvier qui voit la création surprenante d’un ministère de la Recherche scientifique. Dans un pays comme le Mali, que vaut un ministère de la Recherche scientifique détaché de l’Enseignement supérieur? Le 13 janvier, le conseil des ministres avait créé une direction générale de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Trois jours plus tard, un ministère de la Recherche est créé ». Pourquoi tant d’incohérences?, s’interroge le parti. Qui donne un début de réponse : « Les Maliens se posent des questions et s’aperçoivent peu à peu que le remaniement ministériel du 15 janvier n’est qu’un règlement de comptes sur fond d’histoires d’argent de la corruption et de pots de vins arrosant des pans entiers des cercles du pouvoir.
Le remaniement du 15 janvier ne résout en rien les graves questions auxquelles le pays est confronté et qui ont pour noms: insécurité grandissante, enlisement du processus de paix, mauvaise gouvernance, crise du foncier, chômage des jeunes, démobilisation, désespoir et lassitude du peuple ».
Par ailleurs, pour le Parena, ce remaniement conforte la mainmise de la famille du Président sur l’appareil d’État. Or, depuis deux ans, le parti dit dénoncer régulièrement l’accaparement de l’État par la famille du Président. «Depuis deux ans, nous appelons à desserrer l’étau de la famille sur l’État », précise le communiqué. Dans lequel le Parena révèle que « le 19 janvier, lors du premier conseil des ministres du 3ème gouvernement Modibo Kéïta, le président de la République a encouragé ses ministres à résister à sa famille comme s’il était, lui-même, impuissant à tenir les siens à l’écart de l’État et à contenir leurs assauts et leurs trafics d’influence ».
Sékou Tamboura
Source : L Aube