Les chefs d’État ouest- africains se sont une nouvelle fois réunis en sommet extraordinaire dans la capitale ghanéenne, pour statuer sur le déroulement de la transition au Mali et en Guinée, et pour accentuer la pression sur les dirigeants des deux pays afin qu’ils respectent les délais fixés par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour l’organisation d’élections libres et transparentes dans leurs pays respectifs.
Pour rappel, la CEDEAO a demandé au colonel-major Mamady Doubouya à la tête de la Guinée-Conakry depuis son putsch du 5 septembre dernier, de passer le témoin dans un délai de six mois à un président démocratiquement élu, et au colonel Assimi Goïta, président de la transition malienne, d’en faire autant au plus tard le 27 février prochain. Mais à quelques mois de ces échéances cruciales pour le retour à une vie constitutionnelle normale, on ne semble pas presser le pas à Conakry comme à Bamako, en se fondant sur un nationalisme pas forcément de bon aloi selon lequel « seul le peuple décidera de son sort ».
L’organisation sous-régionale n’a pas toujours agi de manière cohérente et décisive
L’organisation sous- régionale a manifestement compris le manège, et a décidé de mettre les dirigeants des deux pays face à leurs responsabilités et à leurs engagements, en rejetant en bloc les arguties politiques contenues dans les rapports qui lui ont été soumis à l’occasion de ce sommet extraordinaire. Tant mieux si les sanctions qui ont été envisagées à l’encontre des dirigeants rétifs de la Guinée et du Mali, signent la fin de cette tendance croissante à la docilité de la CEDEAO dont certains ont profité pour se hisser et se maintenir au sommet, au mépris total des normes démocratiques.
N’oublions pas, en effet, que l’organisation sous-régionale n’a pas toujours agi de manière cohérente et décisive quand il y a violation du Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance adopté en 2001, en adoptant une attitude de fermeté vis-à-vis des uns et de mansuétude à l’égard des autres. Les cas les plus emblématiques de cette gestion à géométrie variable des crises, remontent à 2018 quand la CEDEAO alors présidée par Faure Gnassingbé du Togo, avait été sans pitié pour les dirigeants de la Guinée-Bissau pour violation du fameux Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, alors que quelques mois plus tard, le même Faure Gnassingbé l’a ouvertement défié en rejetant en bloc les réformes qu’elle a exigées avant la tenue des élections législatives de décembre 2018.
Au lieu de riposter en sanctionnant le Togo comme elle l’avait fait pour la Guinée-Bissau, la CEDEAO est restée complètement muette et s’est même permis de féliciter le gouvernement togolais pour le déroulement réussi du scrutin. C’est ce genre de « deux poids, deux mesures » qui a fini par exaspérer les peuples et décrédibiliser l’organisation sous- régionale, qui essaie malgré tout et tant bien que mal de redorer son blason en adoptant des sanctions conformément à ses textes, comme elle l’a fait le 7 novembre dernier contre les dirigeants guinéens et maliens qui rêvent secrètement d’une prorogation de la période de transition dans leurs pays respectifs.
La transition malienne aurait pu faire l’économie d’une crise avec la CEDEAO
Mais même là, les chefs d’État de la sous-région réunis à Accra, ont apporté de l’eau au moulin de ceux qui doutent de l’impartialité de la CEDEAO, avec le maintien des sanctions contre les premiers responsables guinéens mais en édulcorant les critiques et le coup de boutoir qu’elle a assené à leurs homologues du Mali avec cette fois-ci, des sanctions ciblées et visant particulièrement les dirigeants de la transition. On peut, dans une certaine mesure, comprendre la magnanimité toute relative vis-à-vis des putschistes guinéens, qui ont déjà fait l’objet de sanctions bien qu’ils disent avoir agi en septembre dernier pour mettre un terme à la « gabegie financière », à la « corruption » et au « piétinement des droits des citoyens », pour avoir mis en place un gouvernement civil et fait montre d’une volonté manifeste de remettre le pouvoir à un président démocratiquement élu, même si la date, qui fait l’objet de frictions, n’est pas encore connue. Quant à Assimi Goïta, putschiste récidiviste s’il en est, et ses hommes de main, ils surfent non seulement sur la mauvaise opinion que bien de leurs compatriotes ont de la CEDEAO, mais ils se moquent aussi visiblement et éperdument des avis de l’organisation sous-régionale sur la façon dont la transition malienne doit être conduite et achevée. Ultranationalistes pour les uns, vulgaires opportunistes pour les autres, les dirigeants maliens risquent d’avoir du fil à retordre dans les prochaines semaines, avec la bronca que suscite leur conduite pour le moins énigmatique de la transition.
Déjà en guerre diplomatique quasiment ouverte contre son partenaire historique, la France pour ne pas la nommer, et faisant l’objet de critiques de plus en plus vives à l’interne, la transition malienne aurait pu faire l’économie d’une crise avec la CEDEAO dans ce contexte où le pays est, sur les plans économique et sécuritaire, dans un état comateux. Il est vrai que la jeunesse malienne en particulier et africaine de façon générale, est de plus en décomplexée, que nous devons avoir le patriotisme chevillé au corps, mais il faut en même temps être réaliste et bien jauger ses forces et ses faiblesses avant d’adopter une posture qui peut se révéler sinon suicidaire, du moins aventuriste.
Arouna Traoré
Source : Nouveau Réveil