Général Babacar Gaye est ancien chef d’Etat-major de l’armée sénégalaise. Militaire chevronné rompu aux opérations de maintien de la paix, ce Saint-Cyrien a été chef de la Minusca. Dans une interview accordée à Jeune Afrique en marge du Forum de Dakar sur la paix et la sécurité, il a donné son avis sur les transitions au Mali et en Guinée, les mercenaires russes et la pression terroriste.
Pour le général Gaye, « les États ont le choix, ou plutôt devraient avoir le choix, de sélectionner leurs partenaires. Chaque pays doit pouvoir définir ses choix stratégiques, pourvu qu’ils soient pertinents. Malheureusement, c’est généralement l’expérience qui permet de le déterminer. Mais personne ne peut dire au Mali ce qu’il doit faire ». Sur la gestion de Wagner, l’ancien chef d’Etat-major général de l’Armée sénégalaise estime que « si cette société privée n’était pas russe, les réactions n’auraient pas été les mêmes ». À ses yeux, « c’est regrettable de voir l’Afrique redevenir un enjeu stratégique dans une guerre froide qui ne dit pas son nom ». L’ex-chef de la Minusca lance quelques tacles : « Quoi qu’il en soit, il est tragique qu’un État en soit réduit à devoir faire appel à une société de sécurité privée. Le vrai drame est là ».
Sur le rôle du Mali et de la Guinée dans l’amélioration de la situation sécuritaire régionale, il déclare : « On pourrait s’attendre à ce que des pays temporairement gouvernés par des militaires fassent un effort particulier sur les questions de sécurité et de défense. Mais ce n’est pas toujours le cas. L’instabilité politique créée par les transitions est évidemment défavorable au climat sécuritaire. Mais si elles sont le seul remède à l’impopularité et à la mauvaise gouvernance, on doit bien s’en accommoder, et souhaiter un retour rapide à la normale. Je crois que c’est ce que défendent à la fois la Cédéao et l’UA ». Le haut gradé sénégalais ne semble pas être favorable à ces prises de pouvoir par la grande muette. « Bien que soutenus par les populations, ces coups d’État ne peuvent représenter un mode de dévolution du pouvoir, qui ne constitue nullement une forme de progrès », a-t-il martelé.
Mauvais pour le moral des troupes
Concernant la nature asymétrique de cette guerre contre le terrorisme, le général Babacar Gaye se veut réaliste : « Dans ces crises intra-étatiques, les groupes armés sont en mesure de prendre le dessus sur les armées régulières, pour lesquelles les investissements n’ont pas été faits à temps. Ils sont capables, avec le retentissement médiatique de leurs actions, de leur porter des coups très durs. En cas d’attaque visant un contingent qui n’est pas ravitaillé, un soldat se dit qu’il ne sera pas évacué et va mourir sur place. C’est très mauvais pour le moral des troupes ». « Lorsqu’un avion de chasse d’un partenaire du Nord surveille une colonne de motos appartenant aux jihadistes et qu’il tire une munition extrêmement précise, à distance de sécurité, contre ces hommes dont il ne sait pas si ce sont des chefs ou des seconds couteaux, il utilise une munition qui peut coûter jusqu’à vingt fois le prix des engins visés. La difficulté des armées à s’adapter à la contre-guérilla est bien connue. Elles n’ont pas été conçues pour affronter des bandes rebelles et doivent mettre en place des méthodes d’action qui leur semblent presque « désorganisées ». Elles essayent donc de former des petites unités soudées. D’où la création de formations spéciales, qui travaillent en modes dégradés, en groupes restreints, et qui peuvent prendre l’ascendant », a-t-il répondu à une question de savoir si « ces armées sont bien équipées face à leurs adversaires ». Selon lui, « la clé de la coopération est le transfert d’expertises. Là où nous avons un officier pour faire quelque chose, une armée du Nord en a peut-être cinq qui réfléchissent, dix qui conçoivent et d’autres qui développent du matériel pour valoriser l’action du capitaine sur le terrain ».
Sur la « transformation » de la force française Barkhane, il appelle à une harmonisation des agendas politiques. « Le théâtre d’opération malien comporte à la fois une force onusienne, une force dite parallèle avec Barkhane, l’armée malienne et la force conjointe du G5 Sahel. Si ces entités avaient été plus intégrées, si les gens avaient travaillé ensemble, on aurait sans doute pu éviter la situation actuelle. Mais pour cela, il aurait fallu que les agendas politiques soient harmonisés », a conclu le général Gaye.
Chiaka Doumbia
Source : Le Challenger