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Gakou Bandiougou: «Soutenir la liberté sans sacrifier celle d’autrui»

Gakou Bandiougou fait partie d’une imposante délégation de la société civile malienne – chefs religieux, syndicalistes, associations -, venue dix jours à Paris pour demander aux autorités françaises de faire pression pour que la paix soit enfin conclue au nord du Mali dans le cadre des négociations engagées à Alger. Cet islamologue de 69 ans fut ambassadeur du Mali en Iran de 1998 à 2003, puis conseiller diplomatique du Premier ministre de 2003 à 2008 avant de devenir administrateur provisoire de la faculté de Droit de Bamako de 2008 à 2010. Entretien.

Gakou Bandiougou ancien ambassadeur mali ian

 Comment avez-vous réagi en apprenant l’attentat contre Charlie Hebdo ?
J’ai été très malheureux, désolé et abasourdi. Mais pour être très franc, je n’ai pas été surpris outre mesure par cette attaque, car un extrémisme appelle toujours un extrémisme symétrique. Charlie Hebdo était parfois aux pôles extrêmes de l’impertinence. Il faut savoir raison garder. Certaines caricatures du Prophète choquent tout vrai musulman… Si un musulman vous dit le contraire, c’est qu’il ment ou qu’il est hypocrite !

L’un des terroristes, Amedy Coulibaly, était d’origine malienne. Cela vous a-t-il surpris ?
Beaucoup, même s’il y a aussi des jihadistes au Mali au sein du Mouvement pour l’unicité du jihad en Afrique de l’Ouest. Le patron d’un autre groupe armé, Ansar Dine, un homme que je connais un peu, a fait le tour de plusieurs mosquées au Mali. Notre pays a un islam très modéré, mais les extrémistes nous inquiètent. Cela dit, je ne pense pas qu’ils aient les moyens d’envoyer un tueur en France pour y faire un sale boulot. Les extrêmistes maliens ne sont pas des internationalistes du jihad. Ils ont le souci de nous ramener tous dans leurs rangs ici au Mali, pour justifier les financements qu’ils reçoivent.

Al-Qaïda au Maghreb islamique ne menace-t-il pas depuis plusieurs années de frapper la France sur son sol ?
Nous aussi, nous subissons Aqmi au Mali. Aqmi, ce ne sont pas des Maliens. Et je ne pense pas que les groupes Ansar Dine et Mujao soient des « filiales » d’Aqmi. Ce sont plutôt des mouvements autonomes qui peuvent avoir des accords de circonstance avec Aqmi. Je me demande même dans quelle mesure la formation du Mujao n’a pas été encouragée par le pouvoir malien pour lutter contre les rebelles touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad, comme le Hamas a pu l’être en son temps par Israël en Palestine.

Au moment où la France était sous le choc, Boko Haram venait de faire plus de 2 000 victimes au nord Nigeria… La secte islamiste a-t-elle des contacts avec Aqmi ?
Les éléments de Boko Haram qui se trouvaient au Mali au moment de l’occupation des régions du nord n’y sont plus. Ils sont rentrés chez eux. Boko Haram a peut-être des visées régionales, mais son champ d’action ne couvre plus le Mali.

Y a-t-il des débats au Mali sur les compromissions avec le salafisme, sur le fait qu’on dialogue avec des intégristes ?
Il faut savoir que nous sommes dans une situation complexe au Mali. Sur 33 membres du Haut conseil islamique, 25 à 30 sont des wahhabites purs et durs. Ils ne représentent pas le vrai visage de l’islam confrérique et soufi du Mali, des modérés qui sont nombreux, même s’ils ont moins de moyens que les minoritaires salafistes. Les extrêmistes au Mali sont très influents. Le pouvoir s’appuie sur eux pour des raisons politiciennes. Quand des décisions impopulaires sont prises, il faut compter sur des relais pour les faire accepter…

Le HCI a appelé à manifester à Bamako contre la nouvelle « une » de Charlie Hebdo, le 16 janvier dernier…
Oui, mais je n’ai pas participé à cette manifestation, qui a rassemblé 5 000 personnes selon la police. Dans l’islam, la notion de pardon est très importante. C’est elle qui était mise en avant sur cette « une » de Charlie Hebdo, dans laquelle je n’ai rien vu d’insultant. Les gens s’offusquent parce qu’ils ont vu une représentation du Prophète la larme à l’oeil. Mais le Prophète avait des sentiments humains normaux. Il lui arrivait de pleurer ! Nous, musulmans, nous nous interdisons de dessiner la figure du Prophète. Mais nous ne pouvons pas l’interdire aux Français, tant que leurs dessins ne sont pas offensants.

Au Niger, pays voisin du Mali, les manifestations du 16 janvier ont mal tourné. Comment les avez-vous perçues au Mali ?
Des églises brûlées et de telles violences n’auraient pas pu se produire au Mali, car la bonne entente prévaut entre les chrétiens et les musulmans. Nous nous interrogeons : le Niger semble se trouver de plus en plus sous l’influence de Boko Haram.

Qu’avez-vous pensé de la présence du président Ibrahim Boubacar Keïta à la Marche du 11 Janvier à Paris ?
C’était une bonne chose d’y aller, mais je n’aurais jamais dit ou laissé croire que « Je suis Charlie », parce que cela veut dire que je cautionne l’insulte au Prophète. C’est un péché en soi. Je suis pour la liberté d’expression, mais je ne suis pas Charlie. J’aurais plutôt dit : « Je suis Plantu », un dessinateur génial qui ne franchit pas certaines bornes. Nous nous sommes battus ici pour libérer Kidal. J’aurais dit : « Je suis Kidal », pour les morts qui y sont tombés et dont personne ne s’émeut.

Etes-vous sûr qu’IBK a dit « Je suis Charlie » ?
J’ai entendu le président nigérien Mahamadou Issoufou le dire. IBK, non. En toute chose, le Prophète valorise les positions médianes. IBK a dû s’en tenir à cela. Aller soutenir la liberté, oui, mais sans sacrifier la liberté d’autrui…

Qu’est-ce qui fait débat aujourd’hui au Mali ?
On parle surtout des accords d’Alger entre le gouvernement et les groupes armés du nord du Mali, qui traînent en longueur et n’aboutissent pas. Je fais partie de la délégation de la société civile du Mali venue à Paris demander à la France de peser de tout son poids pour enfin conclure un accord de paix. En attendant, on voit les attaques de groupes armés non identifiables, rebelles, terroristes ou bandits, se rapprocher de Bamako. On ne sait pas qui attaque qui, mais le pays n’a pas retrouvé la paix.

Propos recueillis à Paris.
Source: rfi.fr

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