Devant la tournure souvent dramatique des événements sur le terrain, le sentiment de courroux n’est pas le meilleur conseiller dans la recherche de solutions. Le miroir grossissant des critiques à
l’encontre de nos amis a tendance à occulter notre propre responsabilité
Le sentiment anti-français est-il le mieux partagé parmi les Maliens ? La question ne manque pas de tarauder l’esprit de quelqu’un qui s’intéresse un tant soit peu aux réseaux sociaux. La grogne est si forte contre l’ex-puissance colonisatrice qu’elle ne manque pas d’être audible jusque sur les bords de la Seine.
Depuis la recrudescence des attaques meurtrières, d’abord contre les populations civiles au début de l’année, puis en cette fin d’année contre les forces de défense et de sécurité, le courroux des Maliens s’est tourné vers les forces internationales présentes sur notre sol. Avec des interrogations qui ne manquent pas de bon sens. Que font tous ces soldats étrangers chez nous, s’ils ne peuvent pas nous aider à lutter efficacement contre le terrorisme ? La stabilisation du pays n’est-elle pas l’objectif de leur présence au Mali ?
L’insolente réussite des groupes terroristes face à nos soldats avec des épisodes sanglants à Boulkessi et Indelimane entre septembre et octobre, et plus récemment à Tabankort, a convaincu nombre de nos compatriotes que nous sommes au centre d’un vaste complot ou encore que nos « amis » venus nous aider sont coupables de non-assistance à personne en danger.
DÉSIR D’AFFIRMATION- Forces françaises et onusiennes en prennent pour leur grade dans les diatribes acerbes proférées par nos compatriotes. La France constitue le principal exutoire de la colère et de la frustration des Maliens devant les revers fréquents de nos troupes face à l’ennemi. La charge la plus emblématique et la plus audible est venue d’une célébrité malienne. Salif Keita en l’occurrence a mené une violente charge contre l’ex-colonisatrice au détour d’une adresse au président de la République. La star de la musique accuse la France de complicité avec les forces obscurantistes qui sèment la mort sur notre territoire. Il exhortait nos dirigeants à dénoncer cette situation devenue, à ses yeux, insupportable. La carrure de l’auteur de l’accusation a sans doute obligé l’ambassade de France au Mali à une réaction somme toute épidermique qui n’a fait qu’alimenter davantage la polémique.
En plus de la sortie remarquée de l’un des Maliens les plus célèbres, on ne compte plus les montages vidéos et les textes aux relents complotistes qui tentent d’accréditer la thèse que la France est présente chez nous pour entretenir la crise et en profiter pour piller nos ressources naturelles. Ces accusations plongent en fait leurs racines dans l’histoire lointaine et récente entre les deux pays.
PRÉJUGÉS- En fait, ce à quoi nous assistons aujourd’hui n’est qu’une sorte de résurgence du désir d’affirmation du Malien vis-à-vis de la France. Ce désir remonte aux premières heures de notre indépendance, rappelle un observateur de la scène politique ayant requis l’anonymat. Ce sentiment anti-français a été mis entre parenthèses lorsque la France de François Hollande a sauvé, en 2013, le Mali d’une invasion terroriste qui aurait pu porter atteinte à la forme républicaine et laïque de notre État. La lune de miel n’aura pas duré longtemps. Le sentiment de méfiance du Malien vis-à-vis de la France a vite refait surface lors de l’épisode de la reconquête de Kidal en 2013. La France a cédé aux sirènes des séparatistes et des lobbys qui les soutenaient, et décidé d’interdire la capitale de la 8è Région administrative aux troupes maliennes. Erreur gravissime que nos sauveurs n’ont jamais eu l’humilité de reconnaître. Surtout que les Maliens ont été confortés dans l’idée qu’il y a eu un coup de Jarnac quand l’ancien ambassadeur Nicolas Normand a soutenu urbi et orbi : «La France a donné Kidal aux séparatistes touareg».
Plus grave encore : les arguments développés pour stopper les troupes maliennes aux portes de Kidal étaient loin de convaincre les plus naïfs. On a prétendu que les soldats maliens s’adonneraient à des massacres des populations civiles en signe de vengeance.
Notre observateur rappelle que le contexte actuel durcit et amplifie les préjugés (qui ne sont pas nouveaux) que les Maliens ont de la France au fur et à mesure que la situation devient intolérable. Le peu d’égard que les sauveurs ont montré vis-à-vis des Maliens et de leurs dirigeants n’a rien arrangé. Notre interlocuteur souligne à ce propos l’attitude des officiels français, notamment l’ancien ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian qui «venait parader ici à Bamako pour nous faire copieusement la leçon». Surtout ces attitudes à la limite colonialistes étaient en porte-à-faux avec la réalité. Sur le terrain, l’on constatait une résurgence des actes terroristes, une mise en difficulté de l’armée malienne et la perte de tous les acquis qu’on avait eus en suivant l’opération Serval.
Pendant de longs moments, l’armée malienne, devenue pestiférée et infréquentable sur son propre sol, a été livrée à elle-même. Ni les troupes françaises ni les troupes onusiennes ne daignaient mener la moindre opération avec les nôtres. Ces moments rudes ont eu pour conséquences la perte de contrôle par l’armée malienne de la plupart de ses check-points, vite récupérés par les séparatistes et leurs alliés naturels, les islamistes.
Cet abandon dont le Mali a été l’objet pendant un bon moment a contribué largement à la dégradation de la situation sécuritaire. Le manque de considération est resté dans un coin de la tête des Maliens. Et dès que la situation sécuritaire a commencé à s’empirer, les frustrations ont giclé. «Cela s’est accentué lorsque les tragédies ont commencé à se suivre à un rythme soutenu et dans des proportions inacceptables», note notre interlocuteur.
MEILLEURE COLLABORATION- Notre analyste pense que les Maliens surestiment certainement les capacités de nos partenaires français. La situation actuelle révèle peut-être un aveu d’impuissance de l’ex-puissance colonisatrice. L’observateur dit partager l’avis d’un spécialiste français qui a récemment affirmé que l’intervention française au Mali marque le point maximum qu’elle peut atteindre dans un pays. Car, selon l’expert, la France ne peut pas assurer seule la logistique de cette intervention. Surveiller un vaste territoire suppose qu’on a sous la main des moyens technologiques qui permettent la couverture permanente de ce territoire. «La France n’a pas ces moyens. Ils sont au maximum de leur possibilité. Ils ne peuvent pas faire ni plus, ni mieux», tranche-t-il.
Malgré tout, les gens constatent qu’il n’y a pas de changement de message du côté français. «Lorsque la situation s’empire, ils n’arrivent pas à dire leur lecture de la situation et ce qu’ils proposent comme riposte. Les Maliens se disent que si la France reste muette face à la situation, elle a donc intérêt à ce que cela s’empire», déduit notre observateur. Pour lui, depuis l’annonce de l’arrivée en 2020 d’une force européenne pour lutter contre le terrorisme dans le Sahel, les Maliens pensent que la France est allée alerter ses complices pour dépecer à plusieurs le Mali.
Conséquence de tout cela : la sympathie des Maliens penche vers la Russie qu’ils croient être la solution à la crise que nous visons, constate-t-il. L’exemple palpable de l’efficacité de l’intervention russe est la Syrie. Il précise que les Russes y déploient leur aviation pour bombarder des positions et mettre les ennemis hors d’état de nuire.
Abondant dans le même sens, l’ancien ministre de la Communication, Mahamadou Camara, estime que les critiques sont dues au fait que l’on n’arrive toujours pas à éviter les attaques qui sont meurtrières pour nos soldats, malgré la forte présence étrangère militaire au Mali. La frustration des Maliens vient alors du fait que, malgré tous les efforts annoncés, les résultats ne sont pas visibles. Il invite cependant les Maliens à ne pas se tromper d’ennemis. «Nos ennemis ce ne sont pas les forces étrangères, ce sont les terroristes qui nous attaquent, qui tuent nos soldats et nos populations», insiste le directeur général du Groupe Impact-Média.
Pour faire baisser cette méfiance vis-à-vis des forces françaises, il exhorte les autorités maliennes, les forces étrangères à expliquer davantage aux Maliens la réalité du terrain, le fonctionnement d’une armée. «Les forces françaises doivent expliquer davantage aux Maliens leur rôle pour une réelle connaissance de leur mission», recommande l’analyste. Pour qui une meilleure collaboration entre les différentes forces peut contribuer à vaincre la menace et rassurer les Maliens. Aussi conviendrait-il, selon Mahamadou Camara, d’expliquer aux Maliens que les forces font face à une guerre asymétrique. Le concert des critiques vis-à-vis des étrangers s’explique par la persistance des tueries et l’absence de perspective réjouissante. Ce qui plonge le pays tout entier dans la tourmente. En de pareils cas, l’étranger prend très vite l’identité du bouc émissaire.
Il serait bon que notre orgueil nous conduise à nous regarder dans le miroir et à nous interroger sur notre propre rôle dans le pourrissement de la situation dans notre pays. Nos partenaires pointent les difficultés dans la montée en puissance de l’armée malienne pour cause de mauvaise gouvernance des troupes et dans l’acquisition du matériel de guerre.
Cheick M. TRAORÉ
Source: L’Essor-Mali