Pendant de nombreuses années, l’Afrique a été le continent où la France a exercé un contrôle certain, voire total, à travers la colonisation. Soixante ans après les indépendances, l’actualité révèle que les liens étroits qui existaient sont désormais largement affaiblis, voire rompus dans certains pays. Cela se manifeste à travers un sentiment anti-français croissant au Sahel, et des rapports tendus au Maghreb, notamment en Algérie et au Maroc. Pour la Tunisie, ses relations diplomatiques avec la France semblent normales.
Il est indéniable que l’influence française a diminué sur le continent où les populations critiquent souvent, la suprématie de la France et la persistance du système de la Françafrique, bien que celui-ci n’existe plus.
Hamza Meddeb, politologue et chercheur au Carnegie Middle-East Center nous livre sont analyse sur la question.
L’Afrique mondialisée…La France dépassée
En Afrique et notamment au Sahel, on assiste à la fin d’une ère qui a structuré les relations entre la France et ses anciennes colonies. Pendant la guerre froide, la Françafrique a été un mode de relation qui inclut aussi bien des réseaux officiels qu’informels et qui ont permis à la France d’avoir un accès direct aux ressources naturelles et aux marchés économique assoyant une position dominante dans la région. Cela a permis aussi aux élites post-coloniales de compter sur la protection de la France pour sécuriser leur pouvoir.
« Après la guerre froide les relations ont changé progressivement. Petit à petit les relations ont commencé à se distendre. La France n’a plus la même présence. La crise financière passant par là, la France a été contrainte de revoir son dispositif de présence », nous dit Hamza Meddeb.
En effet, à partir de 2011, la présence française au Sahel ne se limitaient plus qu’à une présence militaire à travers les différentes opérations menées par l’armée francaise, au nom de la lutte anti-terroriste.
Pourtant, la France a eu pendant des décennies plusieurs outils qui lui permettaient de maintenir sa présence et de préserver ses intérêts en Afrique: l’outils monétaire (le Franc CFA étant relié par un mécanisme d‘adéquation à l’Euro), l’outil culturel (langue, écoles, etc…), outils économiques (entreprises, homme d’affaires) et l’outil militaire. Or depuis la dernière décennies ces outils se sont délités et il est resté dans le cas du Sahel, uniquement l’outil militaire.
« Finalement la France n’a pas vu les choses changer alors qu’en attendant l’Afrique s’est petit à petit mondialisée à travers de nouveaux acteurs comme la Chine ou d’autres pays par lesquels l’Afrique importe. Ainsi la France s’est retrouvée concurrencée sur le plan économique et également géopolitique », souligne le chercheur.
Selon Meddeb, les sociétés subsahariennes ont également évolué. Ces dernières connaissent des situations de blocage en raison de régimes devenus de plus en plus prédateurs, des luttes de pouvoirs intenses, une jeunesse qui ne voit son avenir que dans l’immigration, la lutte armée ou la radicalisation. « Cette jeunesse a développé un sentiment anti-francais la voyant comme le garant de ces régimes prédateurs qui sont à l’origine des maux de toute une génération ».
Les coups d’Etat ont incarne une sortie de ces situations de blocage. Ainsi, les différents coups d’Etat survenu au Niger, au Burkina Faso, ou encore au Mali ont été présentés par les juntes au pouvoir comme un moyen d’achever le processus de décolonisation en tournant définitivement la page française. « Les militaires ayant effectué ces coups d’Etat, souvent issus de cette jeunesse, utilisent justement ces arguments anti-coloniaux et un discours néo-souverainiste, pour être en phase avec la population et pour s’appuyer également sur la compétition géopolitiques qui se joue en Afrique impliquant aussi bien la France que la Chine, la Russie, la Turquie ou encore les États Unis », souligne Hamza Meddeb.
La France dans le marasme des tensions algéro-marocaines
Au Maghreb la configuration est différente qu’au Sahel. Jusque l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, les relations entre le Maroc et la France et l’Algérie et la France ne posaient aucun problème. Or aujourd’hui les relations avec ces deux pays sont arrivées dans une phase d’extrême tension.
Selon Hamza Meddeb, la France paye le prix de l’intensification de la rivalité Algéro-Marocaine dans la région. En effet, depuis plusieurs années, la Maroc s’est engagé dans un processus de recentrage de sa politique étrangère sur la question de la revendication de la marocainité du Sahara-Occidental. « Le Maroc a demandé à la France de reconnaître la marocainité du Sahara-Occidental, et le Royaume devient très agressif dans cette démarche, ne faisant plus de place pour l’ambiguité », souligne le chercheur.
Si la France venait à accéder à cette demande, elle prendrai le risque de mettre en péril ses relations avec l’Algérie. Cependant, cette doléance marocaine intervient à un moment où Emmanuel Macron s’est attaché à apaiser les relations avec l’Algérie notamment sur le plan mémoriel afin de tourner définitivement la page de la blessure coloniale et ouvrant une un nouveau chapitre des relations franco-algériennes. « Les marocains y ont vu un gros rapprochement entre l’Algérie et la France et ont vu s’éloigner la possibilité pour la France de reconnaître la marocanité du Sahara-Occidental », relève Meddeb.
Outre le passé coloniale et la volonté de développer de nouvelles relations, la France se doit de preserver la paix avec l’Algérie en raison également de la question énergétique. « Avec la guerre en Ukraine, la donne énergétique dans le monde a été chamboulée et l’Algérie s’affiche comme étant un partenaire stratégique pour la France, d’une part pour son approvisionnement en gaz mais aussi pour developper les activités de TOTAL sur le sol algérien », nous dit Hamza Meddeb.
En dépit de la volonté d’apaisement, du Président Macron avec l’Algérie, il semble que ce soit un échec. A cet égard, il est important de noter que la visite du Président Abdelmajid Tebboun n’a toujours pas eu lieu. « L’Algérie investit beaucoup dans cette rente mémoriel étant un pilier de la légitimité du régime algérien », affirme le politologue. .
En somme la France a perdu ses relations privilégiées avec le Maroc et n’a pas réussi à apaiser ses relations avec l’Algérie.
La France veut préserver ses relations avec la Tunisie
« Comparé avec nos voisins algériens et marocains, les relations entre la France et la Tunisie ne sont pas si tendue qu’ils n’en paraissent, elles sont même plutôt apaisées », souligne Hamza Meddeb.
D’abord, le politologue rappelle que Kaïs Saïed a été invité par la France deux fois depuis le début de son mandat, lors d’une visite officielle, et au moment de la tenue du sommet France-Afrique.
Toutefois, Meddeb indique qu’il y a des dynamiques similaires qu’au Sahel, en raison de la mondialisation de la Tunisie. En effet, pendant les 10 ans de transition démocratique, la France n’a pas été la seule à soutenir la Tunisie. « Les Etats-Unis ou encore les Allemands ont soutenu l’expérience démocratique. L’arrivée au pouvoir du mouvement Ennahdha a également renforcé les relations avec la Turquie. Il y a donc d’autres pays qui sont actifs et qui cherchent à avoir accès au marché tunisien et qui veulent renforcer leurs relations avec les acteurs tunisiens ».
Pour autant, la France continue d’investir en Tunisie et elle constitue le premier marché d’exportation de la Tunisie. « La France veut continuer à avoir une présence économique mais aussi culturelle. Elle reste un marché important pour la France et un réservoir de ressources humaines et de capital humain », ajoute Hamza Meddeb.
Par ailleurs, les bonnes relations Franco-Tunisienne ont été également mise à l’honneur lors de la dernière édition du Sommet de la Francophonie. Il est important de rappeler que cet événement a été reporté d’un an afin de permettre à la Tunisie d’organiser au mieux ce sommet, et ce sur l’insistance du Président Macron.
Cependant, selon Meddeb, il faut prendre en compte la perception de la société tunisienne vis-à-vis de la France. Si elle reste la première destination migratoire, il y a un sentiment anti-français qui a émergé en Tunisie en raison du discours néo-souverainiste prôné par le président Saïed, sans pour autant compromettre ses relations avec la France. « En réalité c’est un discours anti-occidental dans lequel la France est inclue ».
Récemment le discours d’Emmanuel Macron sur la question des migrants et l’annonce de la volonté d’envoi d’experts afin de soutenir la Tunisie dans la lutte contre la migration illégale n’a pas non plus entaché les relations diplomatiques entre les deux pays. « Macron a relayé une décision européenne et non pas française. La France ne veut pas avoir de couac avec la Tunisie comme c’est le cas avec le Maroc ou l’Algérie », souligne Meddeb.
Wissal Ayadi
gnet.tn