Le phénomène est en train de prendre de l’ampleur avec des maliennes. Le premier arrêt de notre enquête nous conduit à Banankabougou. Dans un endroit sombre, ce Samedi 8 mars, les échanges sont houleux et violents. « Quittez là, sinon c’est des paires de gifles. La nuit n’est pas faite pour les gamines. Rentrez chez vos parents et ne revenez plus dans ce quartier ». « En quoi nous vous gênons ? », Réplique le camp d’en face en langue vernaculaire.
La prochaine destination sera moins conquérante. A l’angle très animé d’un hôtel, les belles de nuit pullulent. Il ne pouvait en être autrement. Quelques véhicules au loin font danser leurs phares. Plusieurs femmes se laissent apercevoir dans la foulée des signaux. Ici, feutrés derrière les parebrises, l’apparence devient un passeport pour commettre des forfaits : « Regardez celle qui va vers le véhicule blanc. Je parie que la gamine qu’elle conduit vers le client comme une bête à l’abattoir n’a pas encore 16 ans.
Mais quand nous voyons la gamme des véhicules qui viennent parfois stationner, on ne veut pas se créer des ennuis, vous voyez un peu de quoi je veux parler ». Nous lance un habitant du quartier écœuré.
Des jeunes déscolarisés, sous l’emprise de produits psychotropes, jouent aux badauds pour servir de boucliers la nuit aux mineures, travailleuses de sexe. Et ils ne le font pas pour les beaux yeux des filles. « Ils font des rondes quand on est dans les parages. Ils doivent nous protéger contre toute attaque et nous prévenir d’une présence policière. Je peux aussi les appeler quand un client refuse de payer après l’acte. Comment se positionnent-ils ? Bon, si vous faites un peu attention, ils sont postés aux carrefours des sites, parfois dans le noir, parfois même exposés aux lampadaires en train de discuter comme des personnes inoffensives. A moto ou à pieds, ils font des va-et-vient.
A la fin de la nuit, nous rétribuons le meneur du groupe qui se charge du partage. La rémunération varie entre 3000 francs pour les travailleuses majeures de sexe et 5000 francs pour les mineures. Ils estiment que les plus jeunes ont plus la côte auprès des clients. Si tu veux poursuivre paisiblement sur les lieux sans être harcelée, tu as intérêt à venir remettre leurs sous. Même quand un client t’emporte au fin fond de la nuit ». Témoigne Alima, une adolescente de 15 ans originaire de Ségou.
« Si, grâce à la contraception, on peut éviter une grossesse non désirée en cas de perforation du préservatif, on ne peut pas en faire autant quand on couche sans le savoir avec un porteur du VIH. C’est un risque mortel qui nous guette chaque jour ». Confie Kady, avec un brin de résignation. Un grand silence suivit. Et puis les yeux brillent puis les larmes dégoulinent le long des joues. « J’ai perdu ma meilleure amie l’an dernier à cause d’une sexualité non protégée. Celui qui lui a trouvé les clients a promis de doubler la mise. Sous l’effet de la drogue, elle n’a pas su faire le bon choix. Elle n’a jamais accepté sa séropositivité et banalisait les soins ».
Confiée par sa famille à l’âge de 16 ans à un parent pour servir de domestique, un phénomène très répandu au Mali, elle a été introduite dans la prostitution. Mascotte de la clientèle dans un groupe de 5 mineures sous influence, elle est privée de soins contre son gré. Et pourtant, 03 mineures sur 4 avouent ne pas utiliser toujours de préservatifs avec leurs clients. 4 mineures sur 10 déclarent avoir été infectées une fois dans leur vie par les IST/MST dont peut-être le VIH.
« Les clients sont prêts à mettre un prix fort quand elles ont en face des créatures très jeunes qui se lancent à peine. Ils (les proxénètes) recrutent donc parfois de manière extrêmement violente et les filles qui manifestent la volonté de quitter le système font l’objet de menaces et de sortilèges. Le taux de sortie des réseaux est dès lors infime ».
Après recoupement des témoignages, il apparaît que certaines jeunes filles envisagent la prostitution comme une solution provisoire, parce qu’il leur semble ne pas y avoir pour elles une alternative économique après la déscolarisation. Elles s’y résignent en espérant qu’elle leur permettra de gagner suffisamment d’argents pour mettre leurs familles à l’abri du besoin ou trouver un emploi formel. Selon l’Unicef, les filles se disent disposées à accepter n’importe quel emploi. La prostitution des filles mineures âgées de 12 à 17 ans représente ainsi au Mali, un défi majeur (BIT, 2008).
Nous pénétrons dans une maison de quatre pièces à Faladié. Les travailleuses de sexe récupèrent dans les habitations. « C’est un lieu de repos et non un harem. Elles vont travailler la nuit et le jour, elles viennent ici se ressourcer ». Tente de rassurer notre guide. « Il est presque 16 heures. Si vous patientez un peu, vous allez assister à leur réveil avant les interviews ». Il nous prévient que son site n’accepte pas les mineures. Néanmoins, on flaire que l’itinéraire a été prémédité. « Ne prenez pas par là. Il n’y a rien à voir de ce côté. Arrêtez de jeter des coups d’œil partout. Je l’avais dit à votre intermédiaire ». S’irrite notre interlocuteur.
Soudain, une chambre s’ouvre et une silhouette féminine apparaît sur l’estrade : « j’ai de la visite. C’est mon ami. Dis à tes gars de le laisser passer ». Sur le fait, notre guide décide de briser la glace « C’est une fille mère de 18 ans que vous avez vue. Elle a une fille d’un an et demi dont elle ignore le père mais son cas est loin d’être unique ». En effet, certains clients se lient durablement d’amitié avec les adolescentes travailleuses de sexe. Ils leur offrent des présents, payent des sorties, tout ça, sans forcément aller au sexe tous les jours. Une seule travailleuse de sexe peut avoir plusieurs clients réguliers qui se comportent ainsi.
A travers ces relations, la fille se sent considérée et aimée malgré le caractère déshonorable de sa profession. Elles retrouvent la chaleur humaine et donc ne mettent plus de barrière, consentent ainsi à des rapports sexuels non protégés. Les nigérianes disent « my boy-friend ». Mais quand une grossesse survient, tous ces chevaliers servant prennent la fuite.
Paul Y. N’GUESSAN
Source: Bamakonews