e président français Emmanuel Macron a annoncé le 10 juin une réduction de la présence militaire française au Sahel marquée par la fermeture de bases et une réarticulation de la lutte antidjihadiste autour d’une « alliance internationale » associant les partenaires européens et les États-Unis. Quels sont les impacts dans un pays comme le Niger pris dans l’œil du cyclone par les « deux djihadismes » avec un front dans la région des trois frontières proche du Mali et du Burkina Faso et l’autre au Sud, avec Boko Haram qio sévit depuis le Nigeria ? Il y a aussi au nord le débordement des trafics en tout genre depuis la Libye.
Le pays a également payé un lourd tribut avec plus de 700 militaires nigériens tués en huit ans. Pour autant, le pays est loin d’avoir basculé. Premièrement, sur le plan politique, le Niger a consolidé ses acquis démocratiques. Pour la première fois depuis l’indépendance, deux dirigeants se sont succédé lors d’une transition jugée historique. Mohamed Bazoum, ancien professeur de philosophie, a succédé à Mahamadou Issoufou, qui a accompli deux mandats de cinq ans. Deuxièmement, sur le plan de la stratégie pour contrer les groupes terroristes, le Niger a choisi une voie assez singulière en proposant non pas un dialogue avec les djihadistes, mais une sorte d’amnistie aux anciens combattants, en particulier ceux de Boko Haram, qui seraient passés par un centre de déradicalisation. Dans un entretien à France 24 et RFI, Mohamed Bazoum avait anticipé le retrait de la France, qualifiant d’« échec relatif » la lutte contre le djihadisme dans son pays. « Nous aurions souhaité, dans le cadre de la coopération avec l’armée française, avoir de meilleurs résultats que nous n’en avons. Cet échec relatif, c’est notre échec à tous, l’échec de l’ensemble de la coalition », a expliqué Mohamed Bazoum. Le président nigérien avait alors assuré qu’il ne ressentirait « pas cela comme un abandon de la part des Français ». « Ce qui nous importe, nous, c’est une certaine présence des forces aériennes françaises, qui, de mon point de vue, sera garantie, quels que soient les effectifs français qui seront présents », a-t-il ajouté. Qu’en pense-t-on à Niamey ? Nous avons recueilli quelques réactions de Nigériens à l’approche de la fin de l’opération Barkhane.
Abdou : « Attendre que nos armées montent en puissance »
Ce haut fonctionnaire nigérien n’est « point favorable à l’arrêt de l’opération Barkhane ». « Il faut absolument attendre que nos armées montent en puissance », dit-il. « Cela prendra encore du temps, et j’estime que la France doit encore être à nos côtés. Cette présence nécessaire doit s’accompagner d’une pression sur nos dirigeants pour qu’ils cessent leur méfiance à l’endroit d’une armée puissante », poursuit-il, ajoutant : « Cette méfiance envers l’armée nationale n’a aucun sens. » « Barkhane est nécessaire jusqu’à ce que nos armées soient en mesure de faire face seules à ces hordes de barbares », conclut-il.
Ide Mounkaila : « C’est la question démocratique qui est en jeu »
Pour ce professeur agrégé en biotechnologies, la question centrale n’est pas Barkhane. « Le sentiment de rejet de la France n’en est qu’à ses débuts et sa raison profonde est l’immixtion de la France dans les processus démocratiques. Cela a commencé par le Gabon, puis ce fut la RDC. Ensuite, il y a eu la Guinée et la Côte d’Ivoire. Le cas du Tchad a fait monter d’un cran l’animosité à l’endroit de la France qui annihile la volonté de changement des populations », dit-il. « La mort d’Idriss Déby a fini par convaincre les Africains qu’il n’y aura jamais de démocratie en Afrique tant que la France persistera à imposer des satrapes pourris et inconscients », poursuit-il. Et de conclure : « Barkhane cristallise seulement ce refus. »
Abdourahmane Maiga : « Il faut laisser l’armée nigérienne s’organiser »
Ce consultant indépendant, « par principe, ne souhaite pas qu’on sous-traite la sécurité de [son] pays ». « Nous avons une armée qui a rempli cette fonction pendant plus de soixante ans. Aujourd’hui, on est confrontés à un nouveau défi. Il faut laisser cette armée s’organiser et répondre au problème des djihadistes », dit-il, avant de poursuivre : « On ne se fait pas d’illusions : ceux qui attaquent les villages, il y a quelqu’un qui les a armés, les a dotés d’un certain nombre de moyens. Ainsi, on s’est retrouvé dans un contexte assez particulier. Je crains que ça ne risque de mettre un frein au processus démocratique, que toutes les bases, le socle, les piliers sur lesquels le pays a été construit ne soient progressivement détruits ». Et de conclure : « Je n’ai jamais souhaité la venue d’une armée étrangère. Que Barkhane parte le plus rapidement possible ! C’est mon souhait. On saura se donner les moyens pour pacifier cette zone-là. »
Abdourahmane Maïga : « Qu’on nous laisse entre nous »
Quant à l’impact de la présence de ces forces sur le théâtre des opérations, pour Abdourahmane Maïga, « les gens n’ont jamais été sécurisés avec l’arrivée des armées étrangères, jamais. Vous avez appris ce qui s’est passé à Tera quand l’armée tchadienne est arrivée là-bas ? Des viols ont été commis. »
Et d’ajouter : « Une armée étrangère, avec le temps, elle s’installe, elle commence à entrer dans les maisons. Qu’on nous laisse entre nous, le Niger, le Burkina Faso, le Mali et la Mauritanie. On va trouver une solution à ça. Sans les autres. Pour ce qui est de l’équipement, c’est une question de sous. On sait où ça se vend. On va acheter du matériel performant qui nous permet d’assurer la sécurité de nos zones. Les populations n’ont jamais fait confiance aux armées étrangères. Elles n’ont connu que des exactions. Pour créer la base française qui se trouve dans la région de Ouallam, on a déplacé plus de 100 villages ! Ces villages sont partis et on s’est aperçu après coup que c’était l’armée française qui occupait ces vastes territoires. »
Youssouf Mahamane : « Le moment est très mal choisi »
Pour ce titulaire d’un master, actuellement stagiaire dans une compagnie de téléphonie, le changement autour de Barkhane a été « une grande surprise dans un contexte sécuritaire marqué de plus en plus par de lourdes pertes. En témoignent les récentes attaques au Burkina Faso ». « Je pense que le moment est très mal choisi. En ce sens que la France, qui est un allié militaire historique avec lequel nous avons des accords de défense, ne peut pas aujourd’hui, sans qu’il y ait une stabilisation profonde de la région, retirer ses troupes », poursuit-il. « La force Barkhane, nous l’avons appelée de nos vœux et je pense qu’il est trop tôt pour qu’elle reparte », ajoute-t-il.
Et de poursuivre quant à l’impact du changement opéré autour de Barkhane : « Le retrait de Barkhane va créer la psychose au sein des populations. Quand on voit aujourd’hui qu’une puissance militaire comme la France se résigne face au terrorisme, cela ne peut que créer de la psychose au sein de la population. Il faudrait alors qu’on en sache un peu plus sur cette décision de retirer Barkhane du Sahel pour que cela ne donne pas le sentiment d’un aveu d’échec qui ne peut que troubler, faire peur à toute la communauté ».
Ousseini Laouali Goumay : « La question de la relève est posée »
Pour cet ancien militaire, aujourd’hui tailleur, « avant de penser à un retrait, il faut d’abord songer à une relève sur le terrain ». Et de s’interroger : « Qui va relever Barkhane et avec quels moyens ? » Et de conclure : « Le timing est trop court, parce qu’il faut d’abord du temps et de la préparation. »
Commentant l’impact de ce changement sur le théâtre d’opérations, sur les populations, leur comportement vis-à-vis des troupes étrangères, leur moral aussi, il dit : « Le comportement des populations vis-à-vis des troupes étrangères est de deux types. Il y a ceux qui croient dur comme fer que l’Occident arme et finance les terroristes. Ceux-là ne verront jamais d’un bon œil les troupes étrangères. De l’autre côté, il y a ceux qui se disent que le Sahel est immense et que, sans la collaboration des locaux, il n’y aura pas d’issue heureuse à cette guerre asymétrique. »
Source: lepoint