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Feu Yéhia Ould Zarawana : Leader de la trempe de Cabral

L’ancien secrétaire général de l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) est décédé dans la nuit du jeudi 27 octobre 2022. Leader charismatique, intelligent et très éloquent, il a pris le mouvement estudiantin en main à un moment où l’AEEM se trouvait dans une zone de turbulences. Deux Premiers ministres claquent la porte suite aux manifestations violentes des élèves.  IBK venu pour sauver le régime du président Alpha Oumar Konaré prend des mesures radicales et draconiennes. Lesquelles ? Qui est Zarawana ? Les secrets de son élection au poste de Ségal du bureau de coordination ? Son parcours ? Flash-back sur le parcours d’un homme convaincu de ses idées et de ses actes.

L’arrivée de Zarawana à la tête de l’AEEM est similaire à celle d’Abdoul Karim Camara dit Cabral, ancien secrétaire général de l’Union nationale des élèves et étudiants du Mali (UNEEM), assassiné en 1980 par le régime dictatorial de feu président Moussa Traoré. Il a eu le courage de conduire les destinées de l’UNEEM à l’issue d’un congrès extraordinaire clandestin, parce que l’association estudiantine venait d’être dissoute par le pouvoir et la branche juvénile du parti UDPM créée. Hélas ! Cabral n’aura pas la chance d’aller au bout de sa lutte.

Yehia Ould Zarawana a lui aussi pris les rênes de l’AEEM à l’issue d’un congrès extraordinaire. Issa Mariko qui avait remplacé Oumar Mariko était contesté par une majeure partie du comité directeur. La gestion des revendications et les stratégies de lutte de son bureau ne faisaient pas l’unanimité.

Après la chute du régime de Moussa Traoré, l’AEEM réclamait toujours de meilleures conditions de vie, notamment l’internat, la bourse au secondaire sur la base de 11,50 au lieu de 12 comme moyenne, la passerelle, l’octroi d’un siège, le procès des anciens dignitaires. Et le secrétaire général du bureau de coordination était accusé de collusion avec le pouvoir central.

Dépassés par la tournure des manifestations violentes des élèves, deux premiers ministres, Younoussi Touré et Abdoulaye Sékou Sow, démissionnent.

Finalement un Comité de transition des élèves et étudiants du Mali, piloté par les Bakary Koné, Makan Konaté du lycée Askia Mohamed, Ismaël Yoro Dicko de l’ENA, Alfousseyni Sidibé du lycée Technique est mis en place. Cet organe redresse la barre par un congrès extraordinaire pour débarquer Issa Mariko.

Yehia Ould Zarawana devient secrétaire général du bureau de coordination de l’AEEM. Il faisait la 2e année à l’Ecole nationale des postes et télécommunications (ENPT). La lutte estudiantine amorce sa nouvelle vitesse de croisière, avec des leaders déterminés, guidés par leurs convictions.

Charisme

Zarawana entame une tournée dans les grands établissements centraux, surtout que ses premières heures coïncident avec une grave crise à l’IPR de Katibougou. Le 16 février 1993, les élèves de l’IPR, mécontents de la diminution de leur bourse, incendient les bureaux du gouvernorat, et commettent d’autres dégâts matériels dans la ville.

Les sanctions tombent, et le bureau de coordination de l’AEEM en fait son affaire. Les élèves et étudiants paralysent la capitale. Cette situation a été un goulot d’étranglement pour le gouvernement. En son temps Zarawana a regroupé le lycée de Jeunes filles et le lycée Technique pour une assemblée générale commune à l’Ecica. Ce jour-là, habillé d’un pantalon jean et d’une chemise bleue marine, il requinque le moral de la troupe. “Rien ne pourra nous arrêter.  Si les grèves, les marches, la casse sont la clef des revendications de l’AEEM, elle n’hésiterait pas à prendre ses responsabilités”, promet-il sous une pluie d’ovations.

C’est le début d’une incompréhension entre les autorités et l’AEEM. Le débat télévisé sur l’ORTM, dirigé par feu Thomas Lazare Keïta, censé être la dernière chance pour coordonner les positions, s’avère un échec. Il regroupe les autorités de l’école malienne et Zarawana. Malgré la reprise des cours les positions demeurent tranchées jusqu’à faire démissionner deux Premiers ministres.

Rendez-vous manqué

A la suite d’une casse de l’AEEM, le tout-nouveau chef du gouvernement, Ibrahim Boubacar Kéita, ferme les écoles, et traque les leaders estudiantins. Yéhia Ould Zarawana rentre dans la clandestinité, mais continue de coordonner les actions.

Mais il est arrêté par les éléments de la Sécurité d’Etat dans une station d’essence alors qu’il se faisait transporter à moto par un de ses acolytes. Il paie ainsi le prix de son imprudence.

Le secrétaire général du bureau de coordination et certains de ses lieutenants sont mis aux arrêts, l’année blanche est consommée sans être actée de façon officielle. A sa libération Zarawana bénéficie d’une bourse sur la France où il s’inscrit à l’Université de Grenoble. Devenu avocat, il rentre au Barreau de Paris en 2005. A l’accession du président ATT au pouvoir, il est nommé conseiller à la présidence de la République, puis chargé de mission au ministère des Affaires religieuses avant d’intégrer le cabinet de Me Malick Coulibaly.

Nous avions l’habitude de contacter notre ancien secrétaire général dans le cadre de la rubrique “Que sont-ils devenus ?”. Très aimable, il avait donné son accord de principe. Mais son emploi du temps en a décidé autrement.

Dors en paix cher Ségal ! Tes camarades se souviendront longtemps de toi. Parce que tu n’as pas vécu inutile.

O. Roger Sissoko

Tél (00223) 63 88 24 23

Madani Tall : “Zarawana ne pouvait pas vivre longtemps, car les gens de son espèce sont des symboles de la jeunesse éternelle”

J’ai eu le privilège en 2014 de représenter la famille de trois brillants jeunes hommes pour leur réception au barreau de Bamako. Yahia Ould Zarawana était l’un d’eux. Auparavant, nous avions sillonné le Mali ensemble, de Lofinè à Inaditafane, avions dormi dans le meilleur lit du monde que sont les dunes de Casey-Casey et assisté au passage des éléphants du Gourma. Z comme ses intimes l’appelaient était un personnage fait de paradoxes : intelligent et naïf, taciturne et bavard, doux et colérique, bien élevé et impoli, cynique et idéaliste. Mais par-dessus tout, il était d’une bonté et d’une gentillesse rare.

Lui qui n’obéissait à personne avait décidé de me prendre pour mentor et la vérité est que j’aimais beaucoup ce jeune frère qui nous quitte en laissant toute une génération de jeunes Maliens sur leur faim. Car Z était un leader né que le système a détruit sans réussir à briser les idéaux.

Mais en vérité, Z ne pouvait pas vivre longtemps car les gens de son espèce sont des symboles de la jeunesse éternelle et ne peuvent donc jamais vieillir. Il représente cette part de jeunesse que nous avons tous en nous, cette part de révolte contre l’injustice et l’arbitraire de l’Etat. Ah mon jeune frère Zarawana, sur ton âme que Dieu veille.

Source: Aujourd’hui-Mali

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