Depuis 2015, l’Etat du Mali s’est engagé à promouvoir le genre pour l’accès des hommes et femmes aux fonctions nominatives et électives afin d’accroître particulièrement la participation publique des femmes aux instances de prise de décisions et réduire les inégalités. Cependant, dans la pratique, cette loi peine à être respectée par l’Etat, les institutions et les collectivités.
Le pourcentage de femmes dans le gouvernement est inférieur au quota fixé par la loi. Il ressort clairement du décret de nomination des membres du Collège de l’Aige que sur les 15 membres, il y a 4 femmes (soit 26,66 %).
Parmi les 147 membres du Conseil national de transition (CNT), il y a 42 femmes (soit 28,57 %). En ce qui concerne le gouvernement de Transition, sur les 29 ministres et ministres délégués, il y a 6 femmes (soit 20,68 %). Sur les 72 membres de la Commission chargée de la finalisation du projet de nouvelle Constitution de la République du Mali, il n’y a que 15 femmes (soit 20,83%).
Pour Mme Sidibé Fadima Madani Tall, présidente des femmes Faso Yiriwa, “l’applicabilité de la loi 052 est vraiment très importante. Il s’agit de vérifier, de voir dans quelle mesure la loi sera applicable au moins à 80 %. Parce qu’une loi est faite pour être appliquée, et c’est cela la lutte pour l’égalité et l’équité. Une loi perd son sens si elle n’est pas appliquée. La loi 052, pour qu’elle soit appliquée, il faut que les autorités soient vigilantes et s’y mettent réellement, car tout dépend d’elles”.
La loi 052 sur le genre est pour l’équité, en faveur des femmes et des personnes vivant avec un handicap. Pour l’appliquer réellement, Mme Sidibé suggère un suivi réel avec la mise en place d’un comité en charge de l’application de la loi 052.
Selon elle, si le comité de suivi est instauré, sa première mission sera un contrôle à tous les niveaux, les nominations et les listes électorales ; l’établissement d’un programme de travail qui va respecter et développer des thématiques. “Il faudrait aussi que ce comité ait des ramifications partout dans les ministères et dans les institutions car il faut qu’ils soient impliqués”.
Mme Konaté Nansa, secrétaire générale du Collectif des femmes du Mali (Codem), secrétaire à l’organisation du Groupe pivot Droit et citoyenneté des femmes (GP/DCF), estime que “la loi 052 du 18 décembre 2015 instituant le genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives a connu quelques difficultés ; à savoir : le non-respect des engagements pris par le gouvernement, le manque de volonté politique et le manque de suivi”.
Les femmes, malgré leur présence constante dans l’animation de la vie politique, restent faiblement représentées dans les instances de prises de décision surtout au niveau des fonctions nominatives ou elles n’atteignent globalement pas les 20 %.
A en croire Mme Konaté, il faut une harmonisation des textes législatifs spécifiques sur la protection des droits des femmes et des enfants ; veiller à l’application effective de la loi 052, la 1325 et la nouvelle loi électorale ainsi que la loi n°2017-001 du 11 avril 2017 sur le foncier agricole et son décret d’application ; prendre en compte le genre dans les projets/programmes gouvernementales et privées et vulgariser la loi 052 et la loi électorale.
Me Habib Kalifa Koné, avocat, reconnaît des insuffisances dans la mise en œuvre, “même dans la composition du gouvernement déjà. Des avocats ont souvent saisi le juge pour l’annulation des listes pour non-respect de cette loi et le juge a annulé la liste. La justice a fortement contribué à l’application. Des juges ont systématiquement annulé des listes électorales pour ce motif lorsqu’ils ont été saisis. C’est une bonne contribution”.
Selon Dr. Coulibaly Bamoussa, sociologue, les us, les traditions et les coutumes ont plus de valeurs dans notre société que les lois pour plusieurs raisons. Les lois sont donc le prolongement d’un ordre extérieur qu’on a imposé à notre société. Dans une société phallocratique comme la nôtre, la culture et surtout la religion n’accordent pas aux hommes et aux femmes les mêmes droits.
De la question par exemple de l’héritage jusqu’à la représentation à la tête des institutions, le statut de la femme subit le poids de certains préjugés qui sont un obstacle au progrès de la condition féminine.
Les traditions, les us et les coutumes sont des éléments importants de la conscience nationale qui a déterminé la place de chacun dans notre société. Malgré l’évolution des mentalités, les progrès enregistrés par rapport au statut de la femme par exemple, n’ont aucune chance de bouleverser l’ordre social établi dans ce domaine.
Notre sociologue, concernant la loi qui accorde 30 % de place aux femmes dans les représentations gouvernementales ou parlementaires pense que cela ressemble beaucoup plus à une opération de communication à l’endroit des femmes. “Ce chiffre est beaucoup plus un maquillage. Il est nécessaire d’aller au-delà d’une simple opération de communication car les femmes ont fait la preuve de leur efficacité à plusieurs niveaux”, dit-il.
A l’hôpital, à l’université, dans les laboratoires ou pendant les mobilisations citoyennes, elles sont aussi efficaces. Notre société en respectant le contenu de la loi sur le genre donne la possibilité à plus de la moitié de la population d’apporter sa pierre à l’édifice surtout dans le contexte actuel de refondation.
Sur le plan religieux, Cheick Hamahoullah Sow, islamologue et imam d’une mosquée d’Hamdallaye, assure que l’islam n’interdit pas à une femme d’avoir accès aux fonctions “électives ou nominatives surtout des fonctions qui leur correspondent en tant que femmes à condition qu’elles respectent les prescriptions divines”.
Il ajoute qu’une femme compétente qui maîtrise bien une spécialité doit être favorisée en présence des hommes non compétents dans le même domaine. “En islam, il est reconnu à la femme le droit des postes si elle a la maîtrise et s’il y a le besoin”, rappelle-t-il.
Bintou Diawara
“Ce reportage est publié avec le soutien de Journalistes pour les droits humains et NED”
Source: Mali Tribune