La situation des femmes sur le marché de l’emploi reste plus fragile que celle des hommes au Mali. Présentes de plus en plus sur le marché du travail, les vulnérabilités qu’elles subissent sont aggravées par un manque d’opportunités professionnelles et le défi de concilier vie familiale et professionnelle. Ainsi, elles font face au harcèlement ou à des violences sexuelles, souvent aux licenciements lorsqu’elles sont en grossesse, à des difficultés de promotion.
Dans le rapport d’analyse du 2e passage avril-juin 2022 de l’Enquête modulaire et permanente auprès des ménages (Emop) de l’Institut national de la statistique, la proportion de personnes en emploi est de 54,4 % chez les personnes âgées de 15 ans ou plus. Les femmes sont moins actives que les hommes soit 43,3 % contre 73,6 % respectivement. Au niveau national, sur la période de collecte, le taux combiné du chômage de la main d’œuvre potentielle frappe 7,7 % de la population en âge de travailler (15 ans ou plus). Les femmes sont plus touchées que les hommes par le phénomène, soit 10,3 % contre 5,7 % respectivement.
- D. une victime de harcèlement au travail
- D., une jeune femme raconte sa mésaventure : “J’ai 32 ans. Je travaillais depuis plus de 3 ans dans une grande société à Bamako. Je me suis donnée à fond pour la réussite de cette société. Tout allait bien jusqu’à ce que je tombe enceinte. Lorsque je suis tombée enceinte, au moment de mon accouchement, j’ai pris à peu près 3 semaines sans venir au bureau car je devais accoucher dans un autre pays. De retour à Bamako, j’ai épuisé le reste des 3 mois de mon congé de maternité comme le dit la loi malienne. En tout, j’ai fait 3 mois juste. Et lorsque je suis venue, j’ai trouvé que j’ai été remplacée et on m’a dit d’aller me joindre à un autre groupe de travail. Là-bas aussi c’était le calvaire, il ne me laissait rien faire et même si je demandais, il disait qu’il n’y a rien à faire alors qu’il continuait de travailler. Fatiguée de cette situation, j’ai été voir mon directeur et celui-ci m’a dit clairement qu’il n’y a rien à faire que d’attendre. Je suis restée jusqu’à 6 mois dans l’attente, chaque jour le même scénario. Je vais et je retourne sans qu’on me dise quoi que ce soit. Et durant ces 6 mois, je n’ai été payée qu’une seule fois. J’ai été harcelée émotionnellement jusqu’à ce que j’ai décidé de quitter la société”.
Ibrahim Ag Nock, directeur général de l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi (ANPE) déclare que sur le marché du travail, “une étude spécifique nous montre réellement cette tendance de fragilité des emplois féminins par rapport à ceux des hommes. Mais ce qui ressort des données générales, lorsque nous recevons des offres d’emploi, deux tiers des postes sont occupés par les hommes et les un tiers restent très marginale en ce qui concerne la part occupée par les femmes. Ceci revêt un caractère de fragilité, souvent de marginalisation, etc… Il se trouve que les qualifications, les corps de métiers dans lesquels les hommes sont formés sont aussi différents que les corps de métier des femmes. En termes d’insertion du personnel, ce champ d’application est restreint à cause du fait que les femmes n’ont pas les qualifications requises”.
Sourakata Séméga, chef d’entreprise, estime qu’il existe diverses raisons qui expliquent les fragilités pour les femmes dans les situations d’emploi. Selon lui, “depuis la base, la femme part défavorisée parce que le plus grand nombre des diplômés est constitué d’hommes. Il va de soi que le plus grand nombre des personnes qui ont du boulot, soit les hommes même si les choses sont en train de changer de façon positive mais il reste encore beaucoup à faire. Maintenant il y a d’autres raisons qui viennent se greffer à la chose parce qu’on se dit que l’homme peut faire 100 % de boulot en pensant que ces activités ne sont pas faites pour les femmes. Donc, il y a déjà une forme de discriminations qui fait qu’elles sont déjà éliminées sélectivement”.
Sourakata Séméga poursuit : “Nous avons une société qui est corrompue où la morale est en décadence parce que certains recruteurs vont conditionner l’obtention d’un emploi à des faveurs sexuelles alors qu’une femme bien éduquée ne va jamais accepter de céder à ce genre de chantage. Du coup, certaines se voient face à des portes fermées même si elles sont en compétences égales ou même beaucoup plus compétentes que certains hommes”.
Houday Ag Mohamed, directeur régional du travail du district de Bamako nous explique ce que dit la loi par rapport à la situation. “La loi en elle-même traite à égalité de situations en matière d’emploi. Il n’y a pas de ségrégation en ce qui concerne les femmes et les hommes. Ils ont tous les mêmes diplômes, les mêmes compétences et le même traitement du point de vue salaire. Je crois que sur ce plan, la loi est juste, équitable en matière de traitement des hommes et des femmes”.
Pour Mme Amanda Coulibaly, directrice de l’ONG BNCE et sociologue de la famille et de l’éducation, “le marché de l’emploi est vraiment fragile pour les femmes. Dans notre éducation même en Afrique, on a tendance à qualifier la femme de faible, d’être humain qui doit être à la maison, qui doit faire des travaux ménagers et qui n’a même pas le droit d’aller à l’école. Maintenant que les temps ont changé, les femmes font même de longues études en même temps que les hommes. Quand tu es jeune fille et que tu es à la recherche d’emploi, on essaye d’abord de te draguer. On essaye de montrer que tu es faible, ce qui n’est pas normal. Cela décourage les femmes d’aller sur le marché de l’emploi. C’est pourquoi, beaucoup de femmes actuellement entreprennent car elles ne veulent pas se faire harceler”.
Des propositions de solutions pour protéger les femmes
Mme Amanda Coulibaly, directrice de l’ONG BNCE et sociologue de la famille et de l’éducation pense “qu’on doit changer de mentalité, changer notre façon d’éduquer les enfants à la maison”.
Pour Houday Ag Mohamed, directeur régional du travail du district de Bamako, “les femmes doivent être protégées. La première protection d’abord incombe aux femmes elles-mêmes. Si elles estiment qu’au sein d’un service, elles sont victimes d’une quelconque situation différentielle avec les hommes, c’est à elles de venir au niveau de nos services ou des services compétents pour gérer cette situation”.
Ibrahim Ag Nock, DG de l’ANPE, martèle “qu’il faut mettre la femme au centre des décisions. Il faudrait donc faire en sorte que dans les curricula même des enseignements au niveau professionnel, que ces curricula soient adaptés et qu’on incite les filles à s’inscrire dans des professions ou profils qui soient réellement en adéquation avec les offres d’emploi. Sensibiliser aussi les femmes à avoir confiance en elles-mêmes. Cette sensibilisation passe par ce que nous faisons au niveau des structures éducatives. Le législateur doit aller vers une réforme structurelle, proposer de mesures législatives qui encouragent l’insertion des femmes sur le marché du travail. L’ANPE travaille dans le cadre de l’appui à l’économie sociale et solidaire. Nous privilégions les femmes, ceci dénote des mesures techniques que le gouvernement met en place. Maintenant, on doit aller au-delà pour inverser la tendance et la tendance ne peut pas être inversée à moins qu’il y ait un changement de paradigmes et mentalités“.
Bintou Diawara
Cet article a été publié avec le soutien de JDH-Journalistes pour les droits humains et NED
Source : Mali Tribune