1963, Happy Club, Bamako. Dans un club de danse de la capitale malienne, un couple de jeunes esquisse des pas de twist. On imagine le craquement du vinyle sur la platine et les enceintes qui vibrent au son de Johnny Hallyday et des Chats sauvages. Au cœur de la piste, derrière le viseur de son appareil photo, Malick Sidibé. Il a 28 ans et vient de réaliser un des clichés les plus emblématiques de la photographie africaine : « Nuit de Noël », qui sera même sélectionnée parmi les 100 photographies les plus influentes de l’histoire, selon le magazine américain Time.
Malick Sidibé fait revivre le Mali des années 1960
À l’époque, Malick Sidibé parcourt les soirées de la capitale avec son Kodak Brownie Flash pour photographier cette jeunesse découvrant les danses venues d’Europe et de Cuba. Un vent de liberté souffle sur Bamako. Les couples se déhanchent sur du twist, du rock’n’roll et des musiques afro-cubaines. Les jeunes filles portent la minijupe et les garçons le patte d’éph. « Tous les vendredis et samedis soir, des surprises-parties étaient organisées, il fallait le dernier vêtement à la mode, le meilleur 45 tours. Malick devait être là pour que la fête commence. On voulait être photographié. C’était l’œil de Bamako, tout le monde le connaissait et il connaissait tout le monde », explique André Magnin, commissaire de l’exposition, ayant contribué à faire connaître le travail de l’artiste en Occident. Le lendemain, les jeunes se retrouvent sur les rives du fleuve Niger pour se baigner et pique-niquer toujours devant l’objectif de Malick Sidibé. « Malicki », comme on le surnomme alors, devient le « reporter de la jeunesse ». Témoin privilégié des soirées bamakoises des années 1960-1970, il photographie en noir en blanc la vie culturelle et sociale de sa ville en pleine effervescence depuis l’indépendance du Mali en 1960. « Après la proclamation de l’indépendance, il y avait beaucoup d’espoir, d’euphorie et de liberté. Les jeunes avaient besoin de ces fêtes pour s’émanciper. La photographie était une manière de s’affirmer et de reprendre le contrôle de son image », témoigne l’écrivain malien Manthia Diawara, qui a grandi dans le même quartier que l’artiste, « un grand frère » pour lui.
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« Je n’aime pas la tristesse en photographie, c’est la misère »
Fils de paysan peul, Malick Sidibé est né en 1935 à Soloba, un village au sud de Bamako, près de la frontière guinéenne. Après un passage à « l’école des Blancs », il obtient son CAP à l’École des artisans soudanais puis son diplôme d’artisan-bijoutier. À 20 ans, il est repéré par Gérard Guillat, dit « Gégé la pellicule », qui l’engage pour décorer son studio. L’apprenti réalise ses premiers portraits de clients maliens. En 1962, le photographe autodidacte ouvre le « Studio Malick » dans le quartier de Bagadadji, près de la grande mosquée. Son magasin devient vite l’endroit incontournable de la capitale pour se faire tirer le portrait. Bergers, boxeurs, adolescents apprêtés, enfants déguisés pour le carnaval, Malick Sidibé photographie ses modèles d’un œil toujours complice.
« Le client compte beaucoup sur moi, il faut le rassurer. L’embellir. Je regarde comment il se tient, on blague ensemble, il y a toujours du cousinage. Il faut de la confiance. Et du bonheur. […] Je n’aime pas la tristesse en photographie, c’est la misère », confiait-il à la journaliste Brigitte Ollier lors d’une interview en 1997. À l’instar du grand maître de la photographie malienne de l’époque Seydou Keïta, Malick Sidibé devient l’un des portraitistes les plus en vue du pays. « C’est l’âge d’or du portrait en Afrique de l’Ouest. Seydou photographiait les notables, Malick les classes populaires », précise Brigitte Ollier, commissaire adjointe de l’exposition. La reconnaissance internationale arrivera bien plus tard. En 1995, la Fondation Cartier présente la première exposition de l’artiste hors du continent africain. Quelques années plus tard, Malick Sidibé est le premier Africain à recevoir le prix de la photographie Hasselblad. En 2007, il reçoit, les larmes aux yeux, un Lion d’or d’honneur pour l’ensemble de sa carrière à la Biennale de Venise.
À voir à la Fondation Cartier
Un an après la mort du photographe, le 14 avril 2016, « Mali Twist » est un véritable hommage à « l’œil de Bamako » avec 260 œuvres et archives inédites rassemblées pour l’événement, soit le plus vaste ensemble de tirages vintages jamais réuni de l’artiste. « J’ai voulu rendre hommage à cet homme que j’ai profondément aimé, à son travail, mais aussi à l’Afrique », souligne André Magnin. À l’image du maître malien, l’exposition se veut ouverte et généreuse. Grâce aux différentes installations, le public se laissera d’ailleurs volontiers plonger dans l’ambiance des soirées de Bamako sur la bande-son sixties créée pour l’occasion ou encore prendre la pose dans un « Studio Malick » version 2.0.
* « Malick Sidibé, Mali Twist », jusqu’au 25 février 2018, Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris 14e .