Assurant environ 78 % de la production industrielle de l’or du pays, Kayes est la principale région aurifère du Mali devant Sikasso qui comptabilise les 22 % restants. Mais, pour les Kayésiens, cela ressemble à une illusion ou plutôt à un mirage compte tenu de toutes les difficultés (enclavement, manque d’électricité, péril environnemental…) auxquelles les populations de la région sont confrontées. Dans un document intitulé «Orpaillage dans la région de Kayes : Enjeux économiques, sécuritaires et stratégiques» (présenté lors d’un colloque) l’économiste Abdoulaye Shaka Bagayogo a donné des pistes de solution.
Esclavage, dégradation de l’environnement, pressions anthropiques sur l’environnement, rapports sociaux inégalitaires et modes d’occupation de l’espace, magistrats corrompus, corps habillés prédateurs ; Etat absent… Sans compter les conflits dans les nombreux placers… «Les ingrédients du cocktail qui a explosé au centre du Mali sont tous présents à Kayes», alerte l’économiste Abdoulaye Shaka Bagayogo dans «Orpaillage dans la région de Kayes : Enjeux économiques, sécuritaires et stratégiques» ! Et d’enfoncer le clou en rappelant que «les changements climatiques y ont déjà transformé l’environnement pour le pire».
Nous savons déjà qu’il n’y a pas de «barrière naturelle entre le Macina et le nord de la région de Kayes déjà visée par des attaques attribuées aux Groupes armés terroristes (GAT)». Et surtout que, «malgré tout ce qu’elle donne au Mali, «la région de Kayes est enclavée ; même les zones aurifères n’échappent pas à l’enclavement». Pratique millénaire dans notre pays, l’orpaillage est aujourd’hui une vraie menace. Et cela depuis que, à partir des années 2010, «des individus de nationalité chinoise se sont intéressés au secteur. Ces Chinois venus chercher fortune au Mali de la même manière que des centaines de milliers de Maliens sont partis chercher fortune dans le monde depuis les premières heures de l’indépendance du pays. Il ne s’agit donc pas de Chinois qui travaillent pour l’Etat chinois, ni avec son aval d’ailleurs», rappelle M. Abdoulaye Shaka Bagayogo.
Malheureusement, sous-couvert d’exploitation artisanale, «ces opérateurs chinois font de l’exploitation industrielle impliquant des équipements lourds. Ils ne disposent d’aucun document légal qui les autorise à pratiquer leur activité et causent des dégâts environnementaux incommensurables», dénonce l’expert. Ainsi, sur des centaines de sites (le nombre exact n’est pas connu) des machines excavent, concassent, tamisent le minerai d’or auquel est ajouté des substances interdites d’utilisation (mercure ou cyanure) pour produire de l’or brut. Et cela toute la journée et tous les jours de la semaine.
«L’Etat du Mali ne s’est jamais donné les moyens d’avoir des informations de base sur cette activité délétère. Il n’y a aucune statistique sur le nombre de sites déjà exploités et abandonnés», dénonce-t-il. Et pourtant, dès que les entrepreneurs chinois épuisent un site, il le laisse en l’état pour s’attaquer à un autre. Les eaux polluées du site abandonné ne sont pas du tout traitées pas plus que les boues issues du traitement du minerai.
«L’environnement dévasté par les entrepreneurs chinois est laissé en l’état. Le gouvernement du Mali (l’actuel, comme ceux qui se sont succédés à la tête du pays depuis des années) n’est pas capable de donner le nombre de sites déjà exploités, les quantités d’or qui y ont été extraites, les impacts économiques, sanitaires et environnementaux de l’activité des entrepreneurs chinois. Cela est pour le passé. Mais la situation est la même au présent», dénonce le rapport d’investigation de l’économiste.
Quand l’exploitation de l’or devient une malédiction pour les riverains
Ainsi au lieu d’être une bénédiction pour les zones de production, l’or est en train de devenir une malédiction. Les pertes économiques et financières sont à la hauteur des dégâts causés à l’environnement. «Les 532 tonnes exportées illégalement de 2012 à 2021 représentent l’équivalent des réserves prouvées des compagnies qui procèdent à l’extraction industrielle. Morale de l’histoire, si le Mali n’y prend garde tout son or sera extrait et exporté à son insu».
«Les différentes crises qui ne finissent pas de secouer le pays depuis 2011 ont été amorties par l’orpaillage. Si les entrepreneurs chinois épuisent la ressource, ce sera le chaos au Mali. Le gouvernement n’est même pas capable de donner une estimation statistique du nombre de personnes qui travaillent dans les placers, du nombre de familles qui vivent directement et indirectement de l’orpaillage», déplore M. Bagayogo.
En termes de données indispensables à la prise de décision, rappelle-t-il, «c’est le vide total du côté des pouvoirs publics. Depuis plus de 10 ans le ministère en charge des Mines estime la production annuelle de l’orpaillage à 6 tonnes ! Pendant que l’Etat dort son or s’envole». Pour éviter ce chaos, l’économiste Abdoulaye Shaka Bagayogo, recommande de mettre fin sans délai à l’exploitation illégale d’or par les entrepreneurs chinois et à cette exploitation frauduleuse et agir de sorte que tous leurs équipements soient saisis simultanément ; de saisir les quantités d’or en leur possession ; de refaire la route Bamako-Kati-Kita-Kéniéba avec les équipements saisis et les produits de la vente de l’or saisi ; de cartographier tous les sites dévastés par les entrepreneurs chinois et tous les sites en cours de dévastation…
Il conseille également aux autorités maliennes d’appliquer les recommandations des rapports de l’ITIE (Initiative pour la transparence dans les industries extractives), de formaliser l’orpaillage traditionnel dans un délai de 3 ans ; de faire arrêter tous les complices maliens des entrepreneurs chinois, en particuliers ceux qui sont tapis dans l’administration publique ou dans l’armée.
Moussa Bolly
Le Matin