C’est un secret de Polichinelle pour Le Sphinx qui a l’habitude d’enquêter et des faire des révélations sans équivoque sur le pillage systémique des fonds publics au ministère de l’Éducation nationale depuis plus 20 ans. Mais pour les non avertis, c’est sans doute l’un des plus grands scandales de ces dernières années.
Le sulfureux rapport de l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite (OCLEI) qui a analysé de manière contradictoire les subventions accordées aux établissements privés de l’enseignement secondaire général, technique et professionnel de 2014 à 2021 a le mérite d’exister. Ses recommandations doivent être prises au sérieux puisque, comme l’ont si bien dit ses auditeurs, il y a va même de l’existence de l’école malienne qui est, depuis plus de 30 ans au creux de la vague.
Dans leurs conclusions, les auditeurs de l’OCLEI recommandent de revoir « la méthode actuelle d’orientation des élèves de l’État vers les établissements privés qui n’est pas de nature à assurer une saine gestion des ressources publiques ». Car pour eux : « Les dysfonctionnements ont atteint un seuil alarmant » et qu’il convient « d’adopter des mesures fortes pour améliorer la gouvernance du secteur sans compromettre les équilibres macroéconomiques »
Dans la veine, l’OCLEI demande aux autorités :
de procéder au contrôle administratif systématique des actes de création et d’ouverture des établissements privés de l’Enseignement privé secondaire général, technique et professionnel sur l’ensemble du territoire ;
d’élaborer la carte scolaire de l’Enseignement privé secondaire général, technique et professionnel ;
de veiller au respect strict des dispositions réglementaires en matière d’orientation et de réorientation des élèves dans les établissements privés ;
d’adopter un plan de progression du nombre d’établissements secondaires publics ;
de procéder à la fermeture de tous les établissements privés ne remplissant pas rigoureusement les conditions d’exercice ;
de mettre en recouvrement des sommes indument perçues par les établissements se prévalant d’arrêtés présumés faux ;
de traduire en justice les auteurs , coauteurs et complices de la production et de l’utilisation des arrêtés présumés faux( C’est nous qui soulignons, Ndlr)
Un pillage systémique du trésor public
Comme Le Sphinx le dit depuis plus de vingt ans, au niveau du ministère de l’Éducation, il existe une prédation systémique des ressources publiques allouées à cet effet. Le rapport de l’OCLEI vient encore une fois de mettre à nu ce système mis en place par des délinquants à col blanc et de haut vol !
Selon ces éminents auditeurs, dans la période 2017-2020, l’État a versé la somme de 196, 095 milliards FCFA aux établissements secondaires privés de l’Enseignement secondaire général, professionnel et technique soit en moyenne de 49, 023 milliards. Avec ce montant l’État peut construire, équiper, et faire fonctionner chaque année 80 lycées publics, et tenez-vous bien, avec toutes charges comprises, dont les dépenses de personnel
Les paiements tracés par la Direction général du Budget dépassent de 26,288 milliards FCFA – oui, vous avez bien lu : 26 milliards – ceux indiqués par la Cellule de Planification et de Statistique (CPS). Ce gap abyssal doit être expliqué par les services concernés.
L’OCLEI n’a pas eu de données sur les paiements effectués lors des années scolaires 2014-2015 à 2016-2017. Vous l’aurez compris on était en pleins préparatifs des élections générales de 2018 (législatives et présidentielle). Il ne fallait laisser de traces qui permettent de retrouver la destination des milliards volés pour financer la campagne.
Le nombre des établissements secondaires privés est passés de 1 147 en 2016 à 2 421 en 2021, soit une augmentations de 111% alors que le nombre d’établissements secondaires publics est de 111 sur l’ensemble du territoire national.
Le plus grave est que l’OCLEI a dénombré 1 077 écoles secondaires privées fonctionnant grâce à des arrêtés présumés faux qui ont reçu la bagatelle de 15,56 milliards de FCFA de 2017-2018 à 2020-2021. Et cerise sur le gâteau, plusieurs de ces écoles ont pour promoteurs des fonctionnaires du ministère de l’Éducation nationale.
Les 196 milliards de FCFA alloués aux établissements privés d’enseignement au titre de paiement des frais scolaires, demi-bourses et pensions alimentaires des élèves de l’État orientés dans lesdits établissements selon les situations d’exécution équivaut à 6,90% du budget national. Ces subventions sont passées de 43 milliards de FCFA en 2017-2018 à 57 milliards de FCFA, soit une augmentation de 33%
Les coûts de constructions et de fonctionnement de 80 lycées alloués aux bandits
Pour les auditeurs de l’OCLEI, sur la période de 2017-2018 à 2020-2021, le montant que l’État a versé en moyenne par an aux établissements secondaires privés (49,03 milliards de FCFA) pouvait construire et faire fonctionner de 80 lycées publics . Toujours selon experts de l’OCLEI, les montants alloués au titre des subventions pouvaient construire, tenez-bien, 320 lycées publics. Ce nombre est près de 3 fois le nombre actuel d’établissements publics d’enseignement secondaire général, technique , professionnel qui ne sont que de 111.
Plus grave encore, il existe des disparités entre les données communiquées par les services techniques du ministère de l’Éducation nationale. Le montant total retracé par la Direction générale de l’Enseignement secondaire général (DNESG) est de 169 849 780 000 FCFA, celui communiqué par la Cellule de planification et de Statistique du secteur de l’Éducation nationale (CPS) est de 169 806 985 000 FCFA d’où un écart de 42 795 000 FCFA qui ont disparu comme par enchantement.
Les subventions décaissées suivant les données de la Direction générale du Budget (DGB) s’élèvent à 196 095 864 207 FCFA alors que les montants communiqués par la CPS s’établissent à 169 806 985 000 FCFA d’où un gap de 288 879 207 FCFA de 2017-2018 à 2020-2021.
Le hold-up du siècle
Vous l’aurez compris l’investissement le plus rentable au Mali post-démocratie est sans nul doute la création d’école privée. Et toutes les manœuvres sordides sont bonnes pour y arriver. L’Oclei a recensé plus de 1 000 établissements secondaires privés fonctionnant grâce à des arrêtés présumés faux. De nombreux établissements privés existent et ont reçu des élèves sans avoir au préalable les autorisations requises. Il y a 1077 écoles privées qui fonctionnent sur la base d’arrêtés d’autorisation de création et d’ouverture présentant de graves anomalies.
Les numéros et les dates d’arrêtés régulièrement enregistrés au Secrétariat général du Gouvernement (SGG) sont utilisés dans d’autres arrêtés sous la dénomination d’arrêtés d’autorisation de création d’établissement ou d’autorisation d’ouverture.
Ainsi les références de l’Arrêté n° 2011-3196/MLAFU-SG du 05 août 2011 fixant la liste de titres fonciers situés dans l’emprise et les servitudes des travaux de construction de la route Kita-Sekokoto-Bafing-Falémé de la route régionale Kita-Saraya sont reprises dans l’arrêté de deux établissements privés : le Lycée Intelligentsia (sic) de Sotuba et le Lycée Technique Intelligentsia (ressic) sis à Boulkassoumbougou dans la circonscription de l’Académie d’Enseignement de Bamako Rive gauche.(Ne sou(s)riez pas, Ndlr)
Les références de l’Arrêté n°2010-2829/MSIPC-SG du 06 septembre 2010, portant Détachement d’un Commissaire de Police auprès du Tribunal Pénal Internationale pour le Rwanda sont reprises dans l’arrêté d’ouverture de deux établissements privés : le Lycée Coumba Sidibé et l’Institut de Formation professionnelle tous deux à Kita Sirako. Décidemment, on aurait tout vu au Mali !
Les références de l’Arrêté n° 2022-1563/MEN-SG du 19 mai 2022 portant autorisation d’ouverture d’un établissement privé d’enseignement secondaire général dénommé « Lycée privé Sportif BoubouSow» en abrégé (LPSBS), sis à Soutoucoulé dans la commune rurale de Khouloum, cercle de Kayes, sont reprises dans l’arrêté d’ouverture d’un autre « Lycée » privé Djiguiya en abrégé « LPD-Bla » sis à Bla. Ne jetez plus !
Ce sont exactement 15 565 941 000 FCFA qui ont été payés par l’État à ces 1077 écoles privés fonctionnant sur la base de faux arrêtés pour un effectif cumulé de 105 234 élèves.
C’est donc à juste titre que l’OCLEI, qui a abattu un admirable, demande le remboursement de ces 15,5 milliards indument encaissés par les pseudo-directeurs d’établissements privés sans foi ni loi.
Mais surtout de traduire en justice les auteurs , coauteurs et complices de la production et de l’utilisation des arrêtés présumés faux
Le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière
Le Sphinx compte sur les autorités de transition qui se targuent du Malikura d’appliquer la loi dans sa dernière rigueur.
Le hold-up systémique instauré par les « démocrates convaincus et patriotes sincères » dans l’école malienne est un serpent à 3 têtes :
les élèves fantômes ;
les établissements fictifs
les élèves doublement facturés par les établissements 100% privés, respectivement aux parents, par leur propre choix et à l’État par le truchement du paiement indu des frais scolaires et des demibourses.
A titre illustratif soit deux filles Adja et Mamie respectivement d’origine nantie et modeste. Les parents d’Adja qui ont les moyens décident de l’inscrire à « Vie-École » où les coûts de formation varient entre 600 à 900 000 FCFA entre la 10ème et la Terminale. Les parents de Mamie qui n’ont pas le choix, la maintiennent dans l’établissement d’orientation. Alors que l’État n’est pas censé payer pour Adja dont les parents ont pris en charge sa formation, soit dit en passant. Toutefois, dans la pratique, il arrive que des montants soient alloués par l’Erat au nom de celle-ci. Au bout du compte, «Vie-École » a le beurre, l’argent du beurre et..le sourire de de la crémière. Vivement que l’OCLEI passe au peigne fin cette autre magouille sordide qui fait perdre à l’État des milliards de nos francs par an.
Les délinquants à col blanc maliens dont l’impéritie notoire et corruptrice a envahi tous les secteurs y compris l’Éducation nationale qui le fondement essentiel de la vie d’une nation ne méritent qu’une chose : la prison à perpette. Avec de tels éducateurs, on ne doit pas s’étonner qu’il y ait aujourd’hui dans notre pays une déliquescence morale, intellectuelle et sociale. À quand le grand nettoyage à grande eau.
Adama Dramé
Source : Le Sphinx