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Entretien avec Lassine Coulibaly dit King Massassy : «Ils ne feront jamais au Mali ce qu’ils ont réussi au Soudan»

King Massassy, est de Missango, entre Bamako et Ségou. Sa  grand-mère est une Coulibaly Massassi du Karta. Vous avez 43 ans. Vous vivez en France depuis un peu plus de 7 ans, mais, en tant qu’artiste, vous avez un pied ici, l’autre au Mali. Les jeunes rappeurs maliens vous appellent Vieux Père. En 1989, avec Tidiane Traoré «Master T», aujourd’hui décédé, il a  créé le groupe Sofa. King et d’autres jeunes sont les initiateurs du mouvement hip hop malien, à Bamako.  

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Vous pouvez nous parler du rap de cette époque ?

King Massassy : Les textes du hip hop malien, et africain en général, étaient vraiment engagés et patriotiques. Nous affichions même le drapeau de nos pays. La situation politique était difficile. La jeunesse avait un fort esprit critique. J’avais 18 ans, je faisais des études. J’étais secrétaire général de l’AEEM de Kati. Nos textes étaient censurés. Nous avions des ennuis avec le régime, car le pouvoir savait que le hip hop était une voie de lutte sociale supplémentaire. Nous parlions des leaders africains abattus dans leur lutte panafricaniste. Nous n’étions pas pleurnichards. Nous ne parlions pas de l’Afrique pauvre et sous-développée. Non, nous étions revendicatifs. Nous encouragions les Africains à défendre leurs droits. Nous parlions de corruption. Nous parlions contre la dépigmentation, contre l’inégalité homme/femme, contre l’exclusion des albinos, thème que Salif Keita porte sans relâche. Nous  appelions au respect de la tradition et des mœurs. C’était tout ça le rôle du rap. C’était avant que les ONG ne s’emparent de ces thèmes, et gagnent de l’argent sur le dos des populations.  Le rap malien pénétrait jusque dans le dernier village grâce à la radio. Les parents d’aujourd’hui se reconnaissent dans ce rap là. En 1995-96, le nombre de groupes de hip hop avait quadruplé. Il y en avait plus d’une centaine. Les différents régimes ont tout fait pour nous museler. Aujourd’hui, le paysage musical a changé. Presque tous ces rappeurs sont allés vers des carrières artistiques solo, ou se sont dirigés vers d’autres domaines.

Le rap malien n’est plus ce qu’il était, n’est-ce pas ?

Effectivement. C’est le résultat de plusieurs années de censure. Les jeunes rappeurs ont compris que s’ils prenaient un autre chemin, ils pourraient y échapper, quitte à détruire ce qui avait été bâti par les anciens. Ils se sont éloignés de l’engagement social pour plus de justice et d’équité. Ils insultent père et mère. Ils se bagarrent entre eux par textes interposés, c’est ce qu’on appelle des clashs dans le jargon hip hop. Ils en arrivent aux mains. Ils ont été soutenus par les politiciens satisfaits de cet anéantissement du hip hop engagé. Les jeunes rappeurs acceptent même de soutenir les campagnes politiques.

Parlez-nous du Kotéba, ce théâtre malien traditionnel ?

Le Kotéba est un outil de sensibilisation populaire. Sa portée sociale est énorme. À la toute fin des années 80, la troupe du Théâtre national, avec des acteurs comme Fanta Berthé, Habib Dembélé, dit Guimba, Michel Sangaré  et Gabriel Magma, a joué la pièce, WARI, écrite et mise en scène par Ousmane Sow. La troupe a pris beaucoup de risques car cette pièce dénonçait le système en place.  Ils ont  échappé à la censure du régime de Moussa Traoré.  En 2010, au sein de  la compagnie BlonBa, j’ai joué, avec Ramsès et  Amkoullel, dans la comédie musicale BAMA SABA qui mêlait le hip hop et le Kotéba. Exprimer les déboires et espoirs de la société malienne, grâce au rap et au Kotéba, c’était, une fois de plus, ne pas abandonner  la lutte sociale.  Quoique nous fassions dans cette bataille de longue haleine, nous ne devons pas oublier que tous les politiciens boivent le même thé. Ceux du continent et ceux de l’occident boivent dans la même tasse. Nous devons tous les dénoncer.  C’est l’impact que la parole des artistes a, socialement et politiquement, qui explique pourquoi, au Mali comme ailleurs, les politiciens essaient de faire taire cette parole engagée. La prise de conscience collective qu’elle réveille est dangereuse pour le pouvoir. Quand le budget global d’un pays doit être diminué, les gouvernements commencent par restreindre la part attribuée à la culture. C’est le prétexte rêvé pour étouffer la création artistique qu’ils considèrent souvent comme subversive.

Dans quelle mesure l’accès à l’internet favorise-t-il cette prise de conscience sociale?

L’immense majorité des jeunes a un téléphone. Mais ils ne savent pas  profiter de l’immense bénéfice que le web pourrait leur apporter. Ils ne vont pas à l’essentiel. Au lieu de s’enrichir intellectuellement en consultant, par exemple, les analyses de Naomi Klein, Noam Chomsky ou Jean Ziegler, pour mieux comprendre la situation globale dont l’Afrique souffre, ils s’intéressent à des futilités. Quand ils entendent parler de gabegie, laisser-aller ou Françafrique, 80% des jeunes ignorent le sens réel de ces termes. Ils réagissent sans chercher à comprendre l’historique de ces constats. Combien d’entre eux ont lu ce que François-Xavier Verschave, de l’association Survie, a écrit des rapports quasi incestueux entre certains dirigeants africains francophones et les dirigeants français, qu’il a appelés la Françafrique ?  Si les décideurs de nos pays avaient réellement envie de faire progresser leurs pays, ils inviteraient des analystes comme ceux que je viens de citer à faire des conférences dans nos universités. Le prix des billets d’avion pour les inviter ne serait rien en comparaison avec ce qui a été dépensé pour l’achat de l’avion présidentiel. Ils ne le font pas. On peut se demander ce qu’ils craignent. Ont-ils peur des conséquences sur leurs propres rapports avec l’Occident ? Ces analystes, souvent considérés comme des ennemis de l’ordre global, dévoileraient-ils à nos jeunes qui complote avec qui, et pourquoi ?

Que faut-il faire alors ?

Il faut d’abord comprendre. Comprendre pour savoir quoi proposer afin de modifier la situation qui ne convient pas. Ce qui me semble le plus préoccupant au Mali, c’est le lobbying, surtout celui qui enveloppe le groupuscule indépendantiste. C’est incompréhensible. Je me pose beaucoup de questions. De quoi vivent ces bandits ici en Europe et ailleurs ? D’où provient l’argent qui leur a permis d’avoir des armes pour agresser le pays, et installer un Etat à l’intérieur de notre Etat ? Qui finance les documentaires qui véhiculent leur propagande, alors que ce sont des criminels qui se battent contre le Mali ? Qui finance les formations que certains d’entre eux suivent en Suisse ? Ils y sont formés, mais à quoi, et à quelle fin ? Il y a beaucoup de choses que je ne sais pas, que je ne comprends pas. J’écoute tout, j’analyse tout. Je me forge ma propre opinion. On doit dénoncer nos dirigeants s’ils complotent avec d’autres. Mais à l’aune de l’Histoire, on sait que, s’ils décidaient d’agir autrement, cela pourrait avoir des conséquences tragiques pour eux-mêmes et le pays. Une chose est certaine, le Mali a besoin de se développer. En France, les gens ne comprennent pas la réalité malienne. Bien sûr, Bamako est plus développée que les villages, mais c’est comme ici. Paris ne se compare pas aux villages français. À l’époque de l’exode rural, partout en Occident, les villages se sont vidés parce que les gens partaient de chez eux pour trouver du travail à la capitale. Et bien l’émigration, c’est le même phénomène, sauf que les gens traversent les mers. Les gens quittent leur famille quand ils n’ont pas d’espoir chez eux. Pour comprendre ce qui se passe au Mali, il faut chercher à connaître le Mali, aller à sa rencontre sur place. Sinon, on n’a pas le droit d’en parler.

18 mois après le lancement de l’intervention Serval, que pouvez-vous dire ?

Serval, je la compare à celui qui a jeté quelqu’un à l’eau, conscient qu’il ne savait pas nager. Il lui tend un bâton clouté, prétendant vouloir le sauver. Celui qui est en perdition va l’attraper à pleines mains. Il n’a pas d’autre solution.  Et pourtant, il sait que ça va les lui déchirer. Pour sortir de la situation actuelle, je vais juste dire, qu’à défaut de sa mère, on se contente de sa grand-mère. Pour nous sauver, il faut d’abord accepter l’intervention de la France. Il faut obtenir le désarmement des bandits et signer un accord entre Maliens, parce que le Mali est un. Il n’y a pas de Mali sans Kidal, sans le dernier village de Kidal. Si on observe ce qu’ils ont fait du Soudan, c’est une réussite. Ils ont créé deux pays. C’est une vraie réussite pour les lobbies, car tant que le pétrole circule il n’y a pas de souci. Mais c’est une tragédie pour les populations. Il n’est pas question qu’ils obtiennent la même chose au Mali.

Réalisé par Françoise WASSERVOGEL  

SOURCE: Le Reporter
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