Dans nombre d’établissements privés de l’enseignement secondaire, les salaires des vacataires ne tombent pas régulièrement. Ils accumulent des arriérés importants et cette situation peut avoir des conséquences fâcheuses sur la qualité de l’enseignement.
Dans le milieu enseignant, beaucoup pensent que c’est aller vite que de penser que l’adoption de la loi n0 94-032 du 25 juillet 1994 fixant le statut de l’enseignement privé dans notre pays pouvait permettre de relever comme d’un coup de baguette magique les multiples challenges de l’éducation en général, et de l’enseignement privé en particulier.
Les établissements d’enseignement privé du secondaire représentent aussi une alternative de formation, en dehors du public et doivent répondre aux mêmes exigences de qualité. Ces établissements qui n’ont pas généralement les compétences requises dans toutes les disciplines sollicitent les enseignants du public pour pallier l’insuffisance de spécialistes, mais aussi apporter plus de crédit à leur formation. Ils ont aussi des permanents. Mais tous ou presque sont plus ou moins confrontés à un retard de paiement des salaires. Dans nombre de cas, percevoir son salaire ne semble pas aller de soi pour leurs enseignants. Aujourd’hui, les arriérés de salaires au niveau de l’enseignement privé secondaire constituent une préoccupation récurrente et suffisamment évoquée pour qu’on s’y intéresse.
Les enseignants qui font la vacation dans le secteur sont souvent désignés sous le vocable peu flatteur de « mercenaires ».
Ils sont censés recevoir des rétributions au prorata des heures de cours, à terme échu. Malheureusement, ces salaires se font attendre des mois.
A la lumière d’une analyse croisée des différents responsables et promoteurs d’établissements scolaires rencontrés, on peut faire le constat d’une situation différente selon les établissements et des raisons multiples. Broulaye Diarrassouba est professeur d’anglais dans un lycée de la Commune IV. Il officie à la fois dans plusieurs écoles et est conscient de la problématique. Certains employeurs paient les trois premiers mois de l’année scolaire et les arriérés sont réglés plus d’un semestre après. Cet interlocuteur s’en accommode mal mais il admet aussi que les promoteurs d’établissements privés aussi ont des difficultés de tresoreie. Oumar enseigne l’Allemand dans un établissement privé. Il vit la même situation. Il affirme avoir reçu ses 9 mois de salaire de l’année scolaire écoulée, seulement en septembre dernier et après d’intenses négociations.
Certains finissent par jeter l’éponge, comme Broulaye Diallo, professeur d’anglais également. Il explique même que les choses se compliquent parfois. A titre d’illustration, il évoque un épisode de l’année dernière où, en compensation de son dû, il s’est vu contraint d’inscrire sa jeune fille dans l’établissement de son débiteur. Boureima Maïga, lui aussi enseigne la langue de Shakespeare dans un lycée à Badalabougou. Il avoue que les promoteurs qui paient régulièrement, d’octobre à juin, sont plutôt rares.
Dans leur immense majorité, les enseignants du privé vivent ce calvaire. Abdoulaye Konaré, membre de l’Association malienne des enseignants économistes du secondaire (AMEES) atteste que ses collègues en pâtissent. Ceux qui ne supportent pas ce traitement sont automatiquement remplacés. Parce que c’est un contrat verbal qui lie les parties, souligne Abdoulaye Konaré. Il ne s’attarde pas trop sur cet aspect mais explique simplement l’urgence pour les autorités d’accorder toute l’attention requise aux conditions des enseignants non fonctionnaires et d’obliger l’Etat à veiller au respect des textes dans le domaine. Ce qui sera gage d’un enseignement de qualité.
DÉFI DE LA QUALITÉ. Si le constat est largement partagé, tous n’entendent pas se limiter à une simple observation des faits. Certains établissements ont mis en place une bonne organisation pour répondre au défi de la qualité des ressources humaines. Ils offrent des conditions acceptables à leurs vacataires en vue de les maintenir. Souleymane Diarra, professeur d’arabe ne semble aucunement stressé par la problématique. Lui, il perçoit on ne peut plus régulièrement ses émoluments dans son établissement.
Pour Mamadou Goïta, professeur de lettres au lycée Ibrahima Ly, il y a une nette amélioration des choses. « Beaucoup de lycées privés sont réguliers dans le paiement des salaires de leurs enseignants ». Le censeur du lycée privé Sekotra à Magnambougou, Abdoulaye Kouyaté, partage cette vision. Il rappelle que depuis trois ans maintenant les promoteurs d’établissements privés n’attendent pas les frais scolaires des élèves orientés par l’Etat dans leurs structures pour payer les enseignants. «Nous avons fait un planning avec une banque de la place. Cela nous permet de faire face à nos obligations, en termes de salaires. Dès que l’Etat paie les frais scolaires des élèves, nous remboursons la banque», déclare le responsable des études. Ces possibilités d’arrangement sont de plus en plus exploitées par les promoteurs. Mangasiré Diakité, secrétaire général adjoint de l’Association des écoles privées agréées au Mali (AEPAM) estime que de nombreux promoteurs ne peuvent pas tenir de septembre à mai. Ils sont contraints de négocier une ligne de crédit avec les banques.
Cette alternative leur apporte une réelle bouffée d’oxygène. Magansiré Diakité précise que dans les orientations les écoles publiques sont prioritaires mais ne peuvent absorber toute la cohorte de candidats admis au DEF. Le reste est orienté dans le privé et l’Etat prend en charge les frais scolaires à ce niveau. «C’est ce qui est convenu dans l’arrêté interministériel n02017-1207/MEF -MEN-SG du 28 avril 2017 fixant le taux des frais scolaires alloués aux établissements privés d’enseignement secondaire». Il incrimine l’Etat qui ne respecte plus ses engagements depuis plus de 10 ans, selon lui. L’article 3 de l’arrêté stipule que le paiement des frais scolaires s’effectue en deux tranches. La première tranche doit être payée à la première quinzaine du mois de mars de l’année en cours et la deuxième tranche doit être perçue la seconde quinzaine du mois de mai de la même année. Pour sa part, Boulkassoum Touré, secrétaire général de l’AEPAM indique que si l’Etat respecte ses engagements, le taux de chômage sera réduit parce que les écoles privées travaillent avec plus de 30 000 vacataires. Certains parmi les victimes pointent du doigt la mauvaise gestion des promoteurs. Ils ne comprennent pas que l’on puisse en arriver là. Moussa Koné, dispense des cours de physique-chimie au lycée Ibrahima Ly. Il fustige les ambitions personnelles des promoteurs d’établissements.
UN FRONT COMMUN. Certains d’entre eux préfèrent s’offrir des commodités personnelles au lieu de faire face à la charge financière de leurs écoles. Pour lui, les arriérés se justifient à deux niveaux : la mauvaise foi des promoteurs et le retard dans le paiement des frais scolaires par le gouvernement. Les promoteurs se défendent. Pour eux, la faute incombe à l’Etat qui ne verse les frais scolaires qu’à la fin de l’année académique. Il faut préciser que ces frais sont des allocations budgétaires que l’Etat prévoit pour les écoles secondaires privées qui encadrent ses élèves. Pour Boureima Maïga, la solution viendra des professeurs. Ceux-ci doivent former un front commun et parler d’une seule et même voix pour trouver la solution au problème. Un professeur de physique–chimie dans un complexe scolaire à Banankoroni pense que cette approche n’apportera pas une solution toute faite. Lui même aurait entrepris, il y a trois ans, de mettre en place une association des enseignants des écoles secondaires privées pour défendre leurs intérêts dans ce secteur d’enseignement avant de renoncer à son projet, faute de collaboration de ses collègues et des lourdeurs administratives. Sur la problématique du retard des salaires dans les établissements privés d’enseignement secondaire, les avis sont partagés. Le directeur national de l’Enseignement secondaire général, Koro Monzon Koné a tenu à préciser que les salaires des enseignants ne doivent pas être conditionnés à la disponibilité des frais scolaires. Pour ce responsable, on n’ouvre pas un établissement scolaire en comptant sur le gouvernement. Il faut une planification et une bonne gestion, précise-t-il. Pour le patron de l’Enseignement secondaire général, le retard est imputable aussi aux établissements eux-mêmes. Les rapports se font souvent attendre, relève Koro Monzon Koné. Les différentes parties peuvent continuer à s’accuser mais ce sont les élèves qui en seront toujours les victimes; eux qui sont, souvent, pris en otage dans les grèves et n’achèvent pas des fois les programmes scolaires. On peut imaginer le cas des candidats au baccalauréat par exemple.
Rappelons que les frais scolaires payés par élève sont annuels et varient selon les filières de formation. Un élève orienté dans l’enseignement secondaire général coûte 96 000 Fcfa, au CAP tertiaire l’Etat verse 108 000 Fcfa. Mais au CAP industrie, l’Etat débourse 132 000 Fcfa pour chaque élève et 132 000 Fcfa au BT tertiaire. Mais au BT agro pastoral et BT industrie un élève orienté dans le privé coûte à l’Etat 162 000 Fcfa. Le même montant est valable pour le baccalauréat technique.
Mohamed D.
DIAWARA
Source: Essor