Mais qu’est-ce qui explique cette vente en masse des terres dans la localité de Djoliba, cette commune voisine de Bamako, la capitale malienne ? Les causes sont sans doute multiples. A en croire Moussa Kéita, chef de village de Djoliba, il n’y a plus de terres cultivables à Djoliba. Actuellement, il ne reste plus que quatre ou cinq ‘‘kabila’’ (grandes familles) qui disposent des terres cultivables. Le reste de la population empruntent les terres pour cultiver. Enquête.
Selon le chef de village, la vente en masse des terres s’explique par le fait que les villageois ne croient plus aux bienfaits de l’agriculture. « Avec l’apparition des sites miniers dans le Mandé, les jeunes, pressés de faire des profits, ont complètement abandonné les champs au profit des sites d’orpaillage », regrette le chef de village de Djoliba.
Mais, la ruée des bras valides (la jeunesse) vers les sites d’orpaillage n’est pas la seule raison expliquant le goût trop élevé des villageois pour l’argent de la vente des terres. « Certains responsables malintentionnés viennent mettre dans l’oreille des villageois la fausse information selon laquelle toutes les terres appartiennent à l’Etat et que s’ils ne se décident pas de les vendre à temps, un jour l’Etat viendra leur retirer leurs terres. Cette fausse information pousse aussi aujourd’hui beaucoup de villageois à brader leurs terres, afin que l’Etat ne vienne les déposséder sans aucun dédommagement », explique Moussa Kéita.
Quant au chef de village de Samalé, Bamba Kéita, il a été plus courageux dans l’indexation des autorités locales qui encouragent les habitants de son village à brader leurs terres.
Dans un langage clair, il pointe du doigt les autorités de la commune rurale du Mandé qui, à l’en croire, sont à l’origine de ce complot ourdi visant à déposséder les villageois de leurs terres à vil prix. « Ce sont les autorités communales de la commune du Mandé qui viennent véhiculer cette fausse information auprès des populations villageoises », confirme d’emblée Bamba Kéita.
A l’en croire, dans le village de Samalé, les villageois qui ont vendu leurs champs sont plus nombreux que ceux qui n’ont pas encore vendu les leurs.
Pour lui, le gouvernement malien n’est pas totalement dédouané dans cette situation où la vente des champs est devenue la mode. « Le gouvernement malien n’a donné aucun pouvoir aux chefs de village dans la prise des décisions relatives aux morcellements. Ils ne sont pas du tout consultés en amont. Le maire parachute dans le village avec les documents signés, ordonnant le morcellement. Le chef de village n’a aucun mot à dire », regrette le chef de village de Samalé.
Il estime que les conséquences de la vente démesurée des terres à Samalé posent aujourd’hui un problème de survie et de sécurité alimentaire. « Les terres pour cultiver se raréfient. Certains villageois, auparavant grands propriétaires terriens, ont même commencé à prêter des champs cultivables. C’est vraiment très grave. Pire que cela, le manque de terres cultivables est actuellement à l’origine des conflits réguliers entre des villages voisins. Là où je vous parle, un conflit judiciaire oppose Samalé à son voisin Samanyana. C’est vraiment triste », dénonce Bamba Kéita.
Ces représentants de l’Etat qui encouragent le désordre
Selon Moussa Camara, ancien maire de la commune rurale du Mandé, le morcellement démesuré des terres dans le Mandé a de beaux jours devant lui. A l’en croire, ce phénomène est fortement encouragé par les personnalités influentes de la zone (les responsables du cercle, les forces de sécurité et même certains les juges). « Car à chaque morcellement, on réserve un lot pour le juge, le chef de la sécurité de la zone, au préfet ou au sous-préfet) », confirme le maire.
A l’en croire, la participation de ces personnalités dans le partage des terres à chaque morcellement constitue un véritablement obstacle pour un bon règlement des litiges fonciers dans la commune du Mandé. « Ceux qui sont censés trancher les litiges sont le plus souvent partie dans l’affaire », regrette le maire.
Pire, selon Moussa Camara, la fin de la crise foncière dans le Mandé n’est pas pour demain. « Les populations vivent déjà cette crise », explique-t-il.
Pour preuve, l’ancien maire explique que lors de son passage à la mairie de la commune du Mandé, il a trouvé plus de 5 milles détenteurs de lettre d’attribution dûment signée, qui attendaient que la mairie leur montre leurs parcelles. « La raison : on a morcelé des titres fonciers dûment obtenus par des individus. Et moi-même, je figurais dans ce lot des personnes pour qui il n’y avait pas de place pour les accueillir, alors qu’elles disposent des documents valablement obtenus auprès des autorités communales », dénonce M. Camara.
Parlant de l’état des lieux des terres au Mandé, l’ancien maire confirme à son tour qu’il n’y a plus de terres au Mandé. « Il suffit de faire un tour dans le Mandé pour s’en rendre compte. Il y a des bornes partout. Le Mandé souffre de sa proximité avec Bamako, où il n’y a plus d’espace pour accueillir les gens. Le Mandé est une zone d’avenir pour les Bamakois », estime l’ancien maire de la commune rurale du Mandé.
Les administrations de Kati et de Kalanbancoro sont en train aujourd’hui de foutre le bordel dans la commune rurale du Mandé. « Elles jouent trop avec le feu dans la commune du Mandé en encourageant les litiges fonciers. Même l’arrivée de l’actuelle autorité intérimaire s’inscrit dans cette logique d’accaparer les terres de la commune du Mandé. L’Etat est en premier responsable de la crise foncière dans le Mandé à travers ses représentants. Il faut que les préfets et les sous-préfets quittent la spéculation foncière », interpelle Mamourou Kéita.
Pour lui, la crise foncière dans le Mandé n’est plus limitée à la zone périurbaine. Elle se propage aussi rapidement dans le Mandé profond ces cinq dernières années. « Le conseil que j’ai dirigé n’a jamais accepté de donner en son temps des parcelles dans le Mandé profond, dans le souci de préserver les moyens de survie des populations rurales que sont leurs champs et leurs lieux de pêche », se dédouane l’ancien maire de la commune du Mandé, qui a été aux affaires pendant huit ans. Il estime que l’Etat doit accélérer le transfert de la sécurité de la commune aux responsables communales, afin de réduire considérablement la marge de manœuvre de ses représentants, à savoir les préfets et les sous-préfets.
Un avenir déjà saboté
Selon Mamourou Kéita, même le schéma directeur d’organisation de la commune, réalisé par le conseil qu’il dirigeait, est aujourd’hui fortement remis en cause du fait de l’œuvre des spéculateurs fonciers. « Financé à coût de 500 millions de F CFA par l’Etat malien, ce schéma directeur de la commune prévoit dans 20 ans les infrastructures et les équipements de développement de la commune. Par exemple, ce schéma directeur prévoyait un poste fluvial entre Djoliba et Samayana. Ce même schéma directeur prévoit des universités dans le Mandé, comme l’ENI. Il y a une zone prévue pour l’AZI à Krousalé. Un stade de foot de 26 hectares est aussi prévu dans la commune du Mandé. Et plein d’autres choses. Mais aujourd’hui, toutes ces prévisions sont menacées par les spéculateurs fonciers en complicité avec les autorités communales actuelles et certains chefs traditionnels. Déjà aujourd’hui, la zone maraichère de 80 hectares réservée à Samanko aux femmes paysannes a été attribuée au promoteur de l’entreprise Cira, Seydou Coulibaly et le frère de Boubou Cissé, Léo Tall. L’Etat, en complicité avec certaines autorités communales, crée des titres fonciers sur des titres fonciers qui existent déjà dans le Mandé. C’est inadmissible ! C’est le préfet et le sous-préfet qui mélangent tout dans cette commune. Si l’Etat malien n’agit pas vite, il y aura une crise foncière sans précédent dans la commune rurale du Mandé », prévient Mamourou Kéita.
Parlant des solutions envisageables, il propose l’urgence de mettre un terme définitif à l’intervention du préfet et du sous-préfet dans l’installation des chefs de village dans la commune du Mandé. « Les préfets et les sous-préfets font tout pour semer le désordre dans le processus du choix des chefs de village dans la commune, dans le dessein d’en profiter. Ils donnent leur soutien au chef de village prêt à se soumettre à leurs caprices au moment des morcellements des terres. Tant qu’il n’y aura pas de stabilité au niveau du choix des chefs de village, il n’y aura pas d’ordre dans le foncier au Mandé. Dans la commune rurale du Mandé, le préfet ou le sous-préfet se donne le plaisir d’installer le chef de village de son choix. C’est un crime de lèse-majesté ! Pour autant, les textes de 2002 sont sur la question de l’habitat. Ils disent que c’est le ressort du maire. Et ça se passe comme ça dans tous les cercles du Mali, à l’exception de la commune rurale du Mandé, où c’est le cercle de Kati seulement qui donne l’habitat sans que personne ne bronche. C’est ces mêmes préfets et sous-préfets qui véhiculent la fausse information auprès des populations que si elles ne vendent pas leurs terres, l’Etat viendra les leur retirer un jour, sous le prétexte que toutes les terres appartiennent à l’Etat. C’est comme s’ils encourageaient les paysans à se débarrasser de leurs terres », regrette l’ancien maire.
Cependant, si les premiers « propriétaires » (les paysans autour de Bamako) exerçaient des activités agricoles sur les terres, peu de nouveaux acquéreurs s’inscrivent dans cette logique. Autrement dit, les commerçants, fonctionnaires, agents des professions libérales, Maliens de l’extérieur, sociétés immobilières, en modifient les usages. Dans le meilleur des cas, les terres acquises par les Bamakois sont destinées à l’arboriculture et/ou à l’aviculture. Dans le pire des cas, elles sont utilisées comme un moyen de prévoyance foncière pour de futurs terrains d’habitations. C’est ce qui explique les pratiques spéculatives les plus courantes.
Youssouf Z
Source: La Lettre du Peuple