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ENQUÊTE – “Chasse aux homosexuels” au Mali : “Comment j’ai été harcelé”

Sur les réseaux sociaux maliens, des groupes de discussion connaissent un succès fulgurant en s’adonnat à ce qu’ils appellent “la chasse aux homosexuels”. Un phénomène virtuel, mais aux conséquences bien réelles pour les personnes ciblées… Une association malienne tente de les défendre, malgré les complexités juridiques.

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Dans la première partie de cet article, nous expliquions comment ces pages sont nées et quels sont les objectifs de ses administrateurs.

Diaby Balla est un jeune Malien qui vit aujourd’hui en Côte d’Ivoire. “Travesti et homosexuel”, comme il se définit, il a été la cible d’une attaque d’un Malien basé au Canada, surnommé “Momo”, habitué du buzz sur les réseaux sociaux dans le domaine du showbusiness, qui le désigne comme “le PD le plus célèbre du Mali”. Il a accepté de revenir, à visage découvert, sur son calvaire.

“Mes agresseurs m’ont dit : ‘On va te tuer, maudite chose'”

J’ai été alerté en juin par des amis qui m’ont dit : “Diaby, on a vu ta photo sur Facebook et les gens disent qu’ils te cherchent”. C’était des images que nous échangions dans des groupes privés avec des amis, parfois sur WhatsApp, où on me voyait habillé en femme avec des talons et des ongles longs. Je ne sais pas du tout comment ils ont eu accès à ces images, mais en tout cas, le message était clair : ils appelaient les internautes à mener une enquête et à me retrouver.

Dans l’une de ces vidéos intégralement en bambara, “Momo” identifie Diaby Balla en montrant son visage et en expliquant qu’il est “tout ce qu’il faut combattre au Mali”.

Puis ça a empiré : d’autres internautes que je ne connaissais pas ont fait des vidéos pour dire que je vivais en Côte d’Ivoire et proposant un million de francs CFA [environ 1 500 euros] à celui qui me retrouverait. Dans les commentaires, il y avait des messages troublant d’internautes qui disaient m’avoir vu à des endroits d’Abidjan, habillé d’une façon très précise, des informations vraies.

 

“J’ai fait une vidéo pour répondre, pour ne pas être condamné à vivre dans la peur “

J’ai alors décidé de faire une vidéo et de la poster sur Facebook pour réagir à cette cabale. Je ne pouvais pas me laisser humilier, ainsi que l’ensemble de la communauté homosexuelle. Je me suis directement adressé à celui qui avait diffusé la première photo en lui disant qu’on ne peut pas changer quelqu’un en le harcelant sur le Web. Il fallait que j’aie du répondant, sinon, j’étais condamné à vivre dans la peur.

Dans une vidéo, relayée ici par une page de défense des droits LGBT au Mali, Diaby Balla répond aux menaces dont il a fait l’objet par les pages Facebook LCHM.

En Côte d’Ivoire, j’ai eu des réactions très positives [officiellement, la loi ivoirienne permet de condamner pour “acte contre nature avec un individu du même sexe”, comme ce fut le cas en novembre dernier, où deux hommes ont écopé de trois mois de prison ; dans les faits, la loi, vieille de 20 ans, est rarement appliquée, et la Côte d’Ivoire est réputée pour sa tolérance envers les homosexuels, NDLR] : des Ivoiriens me reconnaissaient dans la rue et voulaient prendre des photos avec moi. Ils trouvaient que ce que j’avais fait était courageux.

“Depuis que j’ai été agressé, je sors beaucoup plus rarement “

Mais cela m’a aussi causé des problèmes : il y a trois semaines, alors que j’allais faire des courses, on m’a frappé dans le dos. Je suis tombé à terre, et lorsque je me suis retourné, j’ai vu deux hommes qui m’ont dit : “On va te tuer, maudite chose”. J’ai essayé de me défendre en leur jetant des pierres, mais ils ont répliqué et m’ont déchiré mes vêtements. J’ai eu la chance de réussir à m’échapper, mais j’ai eu plusieurs hématomes sur le corps, heureusement sans gravité. À leur accent, j’ai tout de suite compris qu’ils étaient Maliens et qu’il y avait un lien avec toute cette campagne.

Depuis cet événement, je suis beaucoup plus prudent. J’hésite à sortir, de peur de croiser quelqu’un de mal intentionné. Pour le moment, je ne souhaite pas contacter les autorités maliennes, car la situation s’est un peu tassée, les appels à la haine sont moins nombreux que durant l’été. Mais je suis très marqué par ces événements.”

Au mois de septembre, la photo de Diaby Bella continuait à circuler avec des messages de haine.

“Des imams influents sur les réseaux sociaux soutiennent ces mouvements “

Pour combattre le phénomène, quelques collectifs, qui disposent de pages Facebook, se battent à la fois sur les réseaux sociaux et sur la plan juridique. C’est le cas du collectif Mali Jolies Dew, dont les membres ont souhaité rester anonymes.

Les premières victimes sont les personnes homosexuelles des quartiers populaires maliens, dont certains voient leur vie affichée sur les réseaux sociaux. Ce sont des zones où le niveau d’instruction est moins élevé qu’ailleurs et où la religion prime. Ce qui est intéressant, c’est que des imams influents sur les réseaux sociaux, comme Chouala Bayaya ou Tyson Haidara[deux imams ouvertement homophobes, NDLR] soutiennent ces mouvements. C’est un moyen pour eux de gagner des fidèles lors de leurs prêches [environ 90 % des Maliens sont musulmans, NDLR].Notre lutte est très artisanale. Nous sommes en contact régulier avec une dizaine de personnes dont nous nous occupons et qui sont des victimes avérées de cette traque, mais c’est très difficile de les aider, la plupart ont quitté le Mali. Nous mettons à leur disposition une psychologue. Nous avons essayé d’alerter les autorités maliennes, mais il y a encore de la réticence à intervenir sur cette question de peur de se mettre à dos une partie de la population.

L’association affirme qu’une plainte a déjà été déposée par une Malienne vivant au Canada et qu’elle constitue un dossier pour déposer également plainte en France.

Les pages défendant les droits des homosexuels sur les réseaux sociaux, comme celles de Malika, est également la cible des attaques des internautes participant à ces mouvements LCHM.

Quelles solutions possibles pour les victimes ?

La problématique, impliquant des situations à cheval entre la France, le Canada et le Mali dans certains cas, rend les solutions juridiques parfois complexes. Fabrice Lorvo, avocat spécialiste du droit des médias pour le cabinet FTPA et chroniqueur sur France Culture, explique :

Ce type de dossiers est caractéristique des nouveaux défis posés par les réseaux sociaux et la nouvelle dissymétrie qui a été créée. D’un côté, l’atteinte au droit d’une personne par les réseaux sociaux est mondiale, immédiate et gratuite. De l’autre, la réponse de la victime doit se faire pays par pays et donc prend beaucoup de temps. Elle est aussi coûteuse, car elle nécessite souvent l’intervention de professionnels du droit.De plus, la réponse apportée est différente selon que le comportement imputé est vrai ou non. Dans les pays où l’homophobie est interdite juridiquement ou “socialement”, une telle imputation, fausse, peut avoir uniquement pour objet de porter atteinte à la réputation d’une personne.

“Le risque d’un effet boomerang”
En France, il existe des sanctions pénales à l’encontre de ceux qui auront “provoqué à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle”. Donc dans le cas de critères de rattachement [d’une page] avec la France, par exemple si l’incitation provient d’un Malien vivant en France, une action pourra être engagée devant les juridictions pénales françaises par la victime, le procureur de la République ou certaines associations.À l’inverse si dans un pays, il n’existe pas de loi protégeant les personnes stigmatisées en raison de leur orientation sexuelle, une réponse judiciaire sera difficile à mettre en œuvre. Avec un risque : l’action judiciaire dans ce pays pourrait avoir un effet boomerang néfaste, car elle pourrait être perçue comme une revendication par la personne visée de son homosexualité.

Pour tenter de faire changer les mentalités, quelques initiatives voient le jour au Mali : en octobre 2016 par exemple,

un court-métrage choc sur la violence contre les homosexuels

tentait de montrer à quoi ressemble le quotidien d’un jeune homme gay à l’école, fait de violences morales et physiques, et sensibiliser aux épreuves qu’il traverse. Mais celles-ci se comptent sur les doigts de la main et restent pour le moment isolées.

Article écrit en collaboration avec

Alexandre Capron , Journaliste francophone

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