Au moins 15 personnes ont été tuées, et un nombre indéterminé d’étudiants restait pris en otages jeudi, dans l’université de Garissa, dans le nord-est du Kenya, attaquée à l’aube par un commando des islamistes shebab. Les assaillants, en nombre inconnu, ont pris le campus d’assaut vers 5h30. Ils ont tiré sur deux gardes à l’entrée, puis ouvert le feu au hasard, avant de pénétrer dans la résidence universitaire qui héberge plusieurs centaines d’étudiants.

«Le Kenya est en guerre avec la Somalie, nos hommes sont encore à l’intérieur et se battent, leur mission est de tuer ceux qui sont contre les shebab», a déclaré par téléphone à l’AFP un porte-parole du groupe islamiste, Cheikh Ali Mohamud Rage.

Les shebab ont multiplié les attentats sur le territoire kényan depuis 2011, jusqu’à Nairobi et sur la touristique côte du pays, notamment à Mombasa, principal port d’Afrique de l’Est. Ils ont notamment revendiqué le spectaculaire assaut en septembre 2013 contre le centre commercial Westgate de Nairobi (67 morts) et une série de raids sanglants contre des villages de la côte kényane en juin-juillet 2014 (au moins 96 personnes froidement exécutées). Rien qu’en 2014, ils auraient assassiné quelque 200 personnes, dont 28 enseignants non musulmans en novembre, lors d’une attaque d’un bus. Quelle est leur stratégie ? Comment l’endiguer ? Elements de réponse avec Roland Marchal, chercheur au CNRS et auteur en 2011 d’une étude sur al-Shabaab («Jeunesse»).

On disait l’influence des shebab en baisse après la perte de Barawe en novembre, dernier grand port somalien aux mains de ces islamistes, or ils viennent de s’illustrer par un attentat à nouveau très meurtrier…

L’attaque n’a rien d’une surprise. Les gens doivent comprendre que si des mouvements violents et radicaux comme les shebab continuent d’exister, c’est parce qu’ils ont une base sociale qui va au-delà de l’acceptation du terrorisme. L’élimination physique de certains de leurs leaders, comme ce fut le cas d’Ahmed Abdi Godane en septembre, ou de leurs cadres n’a pas fondamentalement changé la configuration de leur base. Au contraire, cela les a poussés à se réinventer, surmonter leurs divisions et utiliser leur faiblesse. Même s’ils sont trois fois moins nombreux qu’en 2009, ils sont encore au moins 5 000.

Et, bien qu’affaiblie militairement, la milice jihadiste conserve une immense capacité de nuisance et de rebonds. Avant, lors de leur création entre 2003 et 2005, il y avait des lignes de front, on n’était pas dans une stratégie de guérilla. Désormais, ils sont très efficaces pour monter des attentats, des assassinats ciblés, avec des formations de base de trois mois, et d’autres plus spécifiques, sur la fabrication de bombe, les attaques terroristes. Si on ne se cantonne qu’à la guerre contre eux, les pays de l’Union africaine comme les Etats occidentaux pourraient bien gagner beaucoup de batailles mais, in fine, perdre la guerre contre le terrorisme.

Donc ils continuent malgré tout de recruter des forces ?

Oui, et pas uniquement avec de l’argent. Des finances, les shebab en ont. Avec leur économie de protection, des milieux d’affaires leur payent des dîmes. Aussi, avec une partie de la diaspora qui leur reste en partie favorable. Et par ailleurs via Al-Qaeda dans la péninsule islamique (Aqpa) avec qui ils travaillent main dans la main depuis qu’ils ont obtenu leur affiliation en 2013. Au-delà, il faut aussi savoir qu’une partie de la population somalienne les soutient et que ce n’est pas qu’un petit clan de fanatiques hystériques. Et ils ont un ancrage réel, même après été poussé à évacuer un certain nombre de villes, notamment Mogadiscio, la capitale, en août 2011, par les soldats de la force mixte Nations unies-Union africaine (Amisom) et de l’armée gouvernementale.

Et même après la perte de leur fief de Kismayo, dans le sud. Leur nouveau leader, Ahmed Omar, aussi connu sous le nom d’Oumar Abou Oubaïda, vient du Jubaland, d’une zone frontalière avec le Kenya, il connaît l’histoire locale, y a des appuis. Et son message, qui consiste à dire au Kenya «vos troupes se battent sur notre territoire, vous y avez apporté la guerre, on va l’exporter chez vous», a des adeptes… Ils ne seront jamais «nos amis», mais les populations rurales ne les voient pas forcément comme des ennemis.

Quelle est la stratégie des shebab ?

Ils savent qu’ils ne gagneront pas la guerre, mais ils ont des soutiens. Ils radicalisent leur salafisme terroriste comme le monde radicalise sa volonté d’y mettre fin. Ils veulent créer de l’instabilité au Kenya pour que les troupes de leur pays quittent la Somalie. Et puis, ils rêvent que les Kényans étendent le mouvement jihadiste sur leur propre territoire. Pour l’instant, les plus radicalisés hésitent encore à passer à l’action. Mais le régime kényan est aussi affaibli, même s’il bénéficie de soutiens des grandes puissances. Il se développe un courant très hostile à sa politique qui privilégie l’ethnie kikuyu, et ne se préoccupe que peu du développement du pays.

Source: liberation.fr