En commandant de bord soucieux de ne plus perdre de temps, le Président de la Transition a appuyé, le 10 juin, sur le bouton déclencheur de la « Commission de rédaction chargée d’élaborer un avant-projet de loi portant Constitution de la République du Mali, dans le cadre de la refondation. » Un nouveau départ vers une traversée constitutionnelle qui, gage-t-on, éloignera la République des zones de turbulence créées par la Loi fondamentale de 92. Depuis l’annonce du décret présidentiel, les 20 à 21 millions de passagers à bord de l’AIR MALI fondent beaucoup d’espoirs en ce voyage du renouveau. Et nos concitoyens d’émettre des propositions.
Boureima Soulo, journaliste
Je crois que le moment n’est pas propice pour une nouvelle révision. Vu que, quand IBK a voulu faire la même chose en 2017, on a clamé le non-respect de l’article 118 de la constitution. Tant qu’une partie du territoire n’est pas sous le contrôle de l’Etat central, on ne doit pas organiser de référendum. Si l’on tient toujours compte de cet article-là, il faudrait que l’Etat recouvre l’intégralité du territoire national pour pouvoir organiser un référendum, donc changer la constitution. Si cela n’est pas fait, je ne suis pas pour la mise en place d’une nouvelle constitution. Mais si la volonté de l’Etat est d’élaborer une nouvelle constitution, je crois qu’il y’aura un problème avec la communauté internationale parce que, pour mener une nouvelle réforme, il faut un régime légitime et légal. Or, pour moi, ce régime n’a pas les qualités pour le faire. S’il faut vraiment aller vers la révision constitutionnelle, il faut changer plusieurs points comme : diminuer le pouvoir du président, donner plus de pouvoir aux partis politiques, à la justice et surtout à l’Assemblée nationale, pour qu’on ait un moyen de destituer légalement les Présidents de la République qui ne seront pas en mesure de gouverner. Cela vaut mieux que de faire des manifestations interminables. Il faudrait aussi privilégier la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
Karim Samaké, enseignant
Comme tout bon citoyen, je voudrais une constitution adaptée à notre réalité. En partant de cette idée, je souhaiterais que certaines parties importées des constitutions occidentales soient revues car elles ne correspondent pas à nos réalités. Enfin, je propose qu’un accent particulier soit mis sur l’instauration du civisme. Et qu’on enlève, si possible, les articles 95 et 96 relatifs à la Haute Cour de Justice ou que l’on revoie les prérogatives de ses membres.
Fatoumata Sacko, étudiante
Pour ma part, je souhaite que les militaires fassent tout pour faire appliquer les prochains articles de la constitution. Qu’ils tiennent particulièrement compte de nos mœurs et coutumes dans l’élaboration des nouvelles lois de la constitution. Et, surtout, qu’ils fassent des propositions d’articles pour lutter contre la corruption.
Ibrahim Doumbia, commerçant
Mes attentes pour la révision de notre constitution sont : avant tout, il faut que les lois soient élaborées par les Maliens. Je propose que la Charte de Kouroukanfuka soit la base de cette future constitution. Parce que l’ancienne constitution était une copie de celle de la France, donc qui n’était pas conforme aux réalités maliennes. Si l’on se réfère à la Charte de Kurukanfuka, on aura plus de chance d’avoir des lois qui nous ressemblent.
Moussa Dembélé, comptable
Je voudrais, tout d’abord, que notre constitution soit élaborée en fonction de nos réalités et qu’elle ne soit point un copié-collé d’autres constitutions qui ne tiennent pas compte de notre situation sécuritaire et socio-politique. Nous devons comprendre que chaque pays a ses propres réalités qui sont différentes de celles des autres pays. A cet effet, cette future constitution doit poser les bases et les principes d’un Etat fort et souverain. Pour ce faire, je propose l’autonomie du pouvoir judiciaire. Que la justice ne soit pas un instrument politique mais qu’elle soit en mesure d’enquêter sur les institutions et même la personne du Président de la République, s’il y’a lieu, pour lutter efficacement contre le favoritisme, la corruption et tous les vices qui vont avec.
Mahamadou Doumbia, gestionnaire
Personnellement, je souhaiterais avoir, dans la nouvelle constitution, les tâches encore précises de la Cour Constitutionnelle et pourquoi pas sa composition ? Pour un Mali appaisé dans le futur, on a besoin d’une constitution forte pour que des déstabilisations à tout moment de l’État cesse.
Issa Togola, commerçant
C’est le début de dératisation politique au Mali ! Passer la constitution au peigne fin pour ne laisser nulle place aux politiciens qui pourraient nous ramener en arrière. En cas de haute trahison avérée, je veux que le Président soit destitué. La constitution doit tenir compte de beaucoup de nos réalités sociales et culturelles. On ne doit plus donner trop de pouvoir aux présidents.
Mamadou Diarra, enseignant
Que cette constitution soit une soupape de sécurité qui exclurait toute tentative de permettre à la nation de faire du rétropédalage, d’éviter que le Mali ne retombe plus aux mains des prédateurs extérieurs à travers leurs hommes de main locaux.
Baye Sidibé, technicien de Bâtiment :
Je propose qu’on fasse le referendum pour savoir ce que le peuple veut que la constitution contienne. Moi personnellement, je veux qu’on ne donne plus le pouvoir absolu au Président de la République ; en cas de faute grave, je voudrais qu’il soit destitué du pouvoir. Qu’on confère beaucoup pouvoir à la Justice.
Aminata Keïta, secrétaire
Il serait mieux de faire en sorte que le Président de la République n’ait pas plus de pouvoir que les autres Institutions. Et qu’il soit destitué s’il n’arrive plus à satisfaire les attentes de la population.
Lassina Fané, enseignant
J’attends beaucoup de cette nouvelle institution. Elle doit pouvoir mettre fin aux dérives des autorités. Il faudra donner à la Justice son indépendance. Le Président de la République ne doit plus pouvoir faire ce qu’il veut. Je veux qu’il soit destitué quand le peuple se plaint de lui en cas de faute grave ou de haute trahison contre la nation.
- Diarra, enseignant
Qu’on interdise le nomadisme politique, c’est-à-dire qu’un député élu sous les couleurs d’un parti politique, ne puisse plus changer de camp politique au sein de l’Assemblée nationale. Qu’on insère dans la nouvelle constitution la possibilité de révoquer, par le système de pétition, une autorité élue avant même le terme de son mandat. Qu’on réduise les prérogatives du Président de la République qui sont démesurées. Voilà un peu ma vision de la chose.
Franklin Traoré, journaliste
Pour ma part, je n’ai pas d’attentes particulières ; je propose juste un mandat présidentiel de six ans au lieu de cinq actuellement ; un salaire aux contours clairement définis pour le Président de la République, avec des prérogatives claires durant tout son mandat, hors des missions qu’il sera amené à effectuer ; la légalisation de certaines fêtes chrétiennes telles que la Pentecôte, l’ascension et l’Assomption.
Kassim Konaté, juriste
La nouvelle réforme constitutionnelle pourrait être une bonne alternative pour remédier aux maux auxquelles nous faisons face. Je suggère que les pouvoirs soient strictement séparés et qu’on donne de l’indépendance et de l’impartialité au système judiciaire (juges, magistrats…). En dehors de l’organe judiciaire, je suggère :
- la réduction des pouvoirs du Président de la République à un niveau équitable.
- la réduction des salaires des députés et l’augmentation du nombre de députés représentant le peuple.
- la réduction des postes ministériels.
- la mise en place d’un comité d’organisation indépendant des élections, selon le protocole électoral de la CEDEAO.
- plus de droit pour les jeunes et les femmes dans la gestion des affaires de l’État (nominations et autres)
- la destitution du Président de la République par le peuple, sans passer par des voies illégales.
- la réforme du régime politique en adoptant soit le bipartisme regroupant les deux blocs (républicains et démocrates par exemple), soit le tripartisme (gauche, droite, centre).
Benoit Saye, analyste politique
Je salue l’initiative pour la nouvelle constitution. Parce qu’il y a beaucoup choses à réviser dans notre constitution. Et le plus important est que les décisions qui seront prises soient appliquées à la lettre. Et l’avenir du Mali restera menacé tant que le pouvoir ne sera pas réservé aux plus méritants.
Fatoumata Keïta, ménagère
La gestion de notre nation est fondée sur plusieurs textes qui ne sont pas ou qui sont insuffisamment appliqués. Je crois qu’une nouvelle constitution ne va rien changer dans ce pays.
Malamine Bah, fonctionnaire
La création d’une commission de rédaction chargée d’élaborer un avant-projet de loi portant Constitution de la République du Mali, dans le cadre de la refondation de l’État est une très bonne chose pour le Mali. Je crois que la constitution de 1992 comporte beaucoup de lacunes. Il s’agit des prérogatives du Président de la République, qui devraient être réduites afin d’éviter des coups d’Etat consécutifs.
Salif Coulibaly, sociologue
Cette annonce de nouvelle constitution survient alors que le Président de transition a signé, le 6 juin, un décret stipulant que les militaires gouverneraient jusqu’en mars 2024 avant de rendre le pouvoir aux civils. Je suis entièrement d’accord et je propose un changement par rapport à la langue officielle. Il nous faut inscrire nos langues dans la nouvelle constitution pour favoriser la compréhension, par le peuple, des faits et gestes de nos autorités.
Sékou Fofana, promoteur d’une maison d’édition
J’attends des autorités que l’équipe de rédaction de la nouvelle Constitution comprenne notamment un président, deux rapporteurs et des experts « nommés par décret » du Président de la transition. Je pense que le travail du Pr Daba Diawara pourrait être retenu comme une bonne base pour l’élaboration d’une nouvelle constitution qui pourrait être inspirée de la Charte de « Kurukan Fuka » (la Charte du Mandé).
Mady Moussa Sissoko, calligraphe
Je crois l’élaboration d’une nouvelle constitution devra se faire avec l’implication de toutes les couches de la société. Je propose surtout de substituer au français le bamanankan comme langue officielle qui est parlé par 95% de la population malienne. Tant qu’on n’adopte pas cela, le Mali ne sera jamais souverain.
Mme Mariam Sangaré, membre du CNT
L’équipe qui va constituer la commission de rédaction de la prochaine constitution pourra consulter l’ensemble des forces vives de la nation. Aussi il nous faut l’implication de la classe politique, des groupes armés signataires de l’Accord pour la paix dans le Nord du Mali, les syndicats, les organisations religieuses et les autorités traditionnelles, dont certaines sont souvent ignorées. C’est un challenge parce que le Président lui-même a annoncé dans la nuit du vendredi 10 au samedi 11 juin 2022, la création d’une commission chargée d’élaborer une nouvelle constitution pendant une durée maximale de deux mois. Je crois qu’il y aura des experts compétents pour que ce travail soit une réussite.
Mme Diallo Aminata Diawara, greffière
Une nouvelle constitution ? Cela se comprend aisément, on sait que tous les régimes successifs de l’ère démocratique du Mali ont tenté de réviser cette constitution du 25 février 1992. Mais personne n’a réussi à le faire. Tout n’est pas mauvais et tout n’est pas bon non plus ; mais il faut le faire avec patience en impliquant non seulement les constitutionnalistes mais aussi les sociologues. Je suis optimiste du fait que c’est le moment idéal de le faire. En outre, je propose la révision des prérogatives de l’Exécutif et la création d’une Cour des Comptes. Il faut aussi revoir notre système de nomination des membres de la Cour constitutionnelle.
Mamadou Ombotimbé, ancien agent de sécurité
Je me rappelle qu’Alpha Oumar Konaré, Amadou Toumani Touré et Ibrahim Boubacar Keïta ont tous échoué dans leur tentative de réviser la constitution. Aucun d’eux n’y est parvenu. Pendant les Assises nationales de la refondation, nous nous sommes exprimés en faveur de l’élaboration d’une nouvelle constitution. Je suis sûr que celle-ci pourrait changer le visage de notre pays. Tant qu’on est dans la présente constitution, on ne pourra jamais se libérer du néocolonialisme.
Dr Bakary Traoré, Analyste politique
Les membres de cette commission qui vont travailler pendant deux mois sous l’autorité du Président de la Transition, présenteront un avant-projet de loi et rendront une proposition de texte de loi dans les deux prochains mois. Mais, d’ores et déjà, en tenant compte de certaines recommandations phares des Assises nationales de la refondation, on peut deviner les points qui vont certainement être pris en compte dans cet avant-projet. Je pense notamment aux mécanismes de destitution du Président de la République en cas de forfaiture, à l’instauration du scrutin proportionnel au niveau des législatives, à la participation des Maliens établis à l’extérieur aux législatives et aux dispositions à prendre pour la mise en place d’un organe indépendant de gestion des élections.
Cheick Oumar Faïnké, promoteur d’école
J’ai attendu l’élaboration de la nouvelle constitution depuis longtemps car les dirigeants précédents n’ont rien pu faire par rapport à cela. J’espère que ces autorités de la Transition ont la capacité de bouger les lignes. Je propose une réforme totale de notre système éducatif. Je crois que le président Co. Assimi Goïta a la volonté de développer ce pays. Mais une chose est sûre, il faut l’aider à résoudre les problèmes existants.
Mme Cissé Oumou Diarra, Secrétaire Générale d’une association
Tout le monde est unanime pour la nécessité de d’adopter une nouvelle constitution. Je crois que notre retard est dû à la constitution de 1992. Cette dernière est caduque. Il y a beaucoup de choses qu’il faudrait enlever. Elle n’est pas très centrée sur notre identité culturelle. On a oublié certaines valeurs comme Maya, Sinankouya, Niamakalaya et Horonya. Il faut que la dimension environnementale l’assainissement soit insérée dans la nouvelle constitution.
Abdoulaye Sanogo, sociologue : « Je pense que la révision de la constitution ne peut pas être considérée comme une mauvaise chose, car l’ancienne est dépassée. Elle doit être révisée pour ajouter certaines choses qui manquent à l’ancienne et non pour faire plaisir à une partie de la population. Car on entend souvent qu’il faut réviser la constitution pour prendre en compte les recommandations de l’accord d’Alger, ce qui n’est pas bon dans un pays, il n’y a pas de super Maliens ; nous sommes tous égaux. Les autorités doivent consulter la classe politique afin d’éviter une nouvelle crise ».
Abou Maiga, comptable : « Je pense que le changement est vraiment important. La constitution du Mali a été établie par la France ? donc il faut impérativement la changer, pour protéger nos ressources minières et surtout pour responsabiliser chaque département ministériel, c’est-à-dire leur donner leur pleine et entière autonomie, sans la main d’aucune force étrangère plus particulièrement les ministre de la Défense et des Mines. Pour la Défense, il ne doit pas être rattaché à la Présidence, mais il faut un chef d’état-major suprême des armées ».
Housseiny Djènèpo, philosophe : « A mon avis, c’est une bonne chose que la constitution soit revue, qu’on donne aussi la possibilité aux membres de cette transition afin de pouvoir se présenter à l’élection présidentielle. Et il faut que tous ceux qui tenteront un 3ème mandat soit poursuivis et traduits en Justice ».
Hamadou Diallo, enseignant : « C’est avec joie que j’ai appris cette nouvelle tant attendue par le peuple malien. Nous avons en main une constitution qui est beaucoup limitée et qui est révolue lorsqu’on se réfère à l’état actuel de notre pays qui traverse des moments difficiles. Le choix des rédacteurs est un aspect important. Tous ceux qui participeront à la rédaction de la nouvelle constitution doivent être des citoyens maliens dotés de connaissances avérées, de bonne moralité. Il faut revoir les articles en fonction des réalités du pays et la séparation des pouvoirs est une nécessité. Mon souhait, c’est d’écrire dans la constitution «celui qui a la double nationalité n’est pas éligible ». Et, si possible, la durée du mandat doit être revue à quatre (4) ans ».
Bacary Doumbia, Informaticien : « Je pense que si une constitution a des insuffisances, la nécessité de révision s’impose pour prendre en compte les aspects et aspirations du peuple, sans pour autant nuire à l’existence de l’Etat ».
Propos recueillis par Siguéta Salimata Dembélé, Fatoumata Boba Doumbia, Mamadou Sangaré, Aminata Téra, Mamadou Komina, Ketsia Konaté
Chapô par Mohamed Meba TEMBELY
Source: Les Échos- Mali