Accueilli dans une ferveur populaire le dimanche 24 décembre dernier à Bamako, comme le plus grand héros de l’histoire contemporaine du Mali, l’ex-président Amadou Toumani Touré pourra-t-il véritablement être indifférent dans le grand rendez-vous électoral décisif de l’année prochaine ? Le doute est permis
En regagnant ses terres natales du Mali, dans une liesse grandiose, le 24 décembre dernier après avoir été contraint à un exil forcé de presque six ans à Dakar, ATT a sûrement mesuré l’attachement que les Maliens lui vouent. La joie et les larmes d’émotion que son retour au bercail a provoqué chez des milliers de ses compatriotes l’ont touché au point qu’il n’a pas pu, lui aussi, empêcher ses yeux de larmoyer de compassion. « J’avais quitté mon pays seul, voué aux gémonies, me voici de retour accueilli mieux que le président de la République », devrait-t-il méditer silencieusement.
Or, il est presque certain que parmi les personnalités qui ont apprécié cet exil forcé dakarois d’ATT se trouve un certain Ibrahim Boubacar Kéita, dont le gouvernement avait, sous son instigation menacé le soldat de la démocratie de poursuite pour « haute trahison ». Et l’on avait même entendu des cadres du parti présidentiel monter au créneau pour tenir le discours de la diabolisation contre ATT. « Ce sont ceux qui ont dirigé ce pays ces dernières années qui sont responsables de la crise actuelle », avaient-ils claironné. Sans oublier qu’au lendemain du coup d’Etat du 22 mars 2012, le Secrétaire politique d’alors (aujourd’hui vice-président du parti) du RPM, Nancoman Kéita et d’autres responsables avaient plutôt jubilé : «ce coup d’Etat est salutaire et sanitaire… ». En quoi, le coup d’Etat qui a failli coûter la vie au président ATT le contraignant avec sa famille à l’exil au Sénégal était-il salutaire et sanitaire ? En ce que ce renversement du régime marqué du sceau du consensus politique du président Touré ouvrait la voie sûre à IBK de se faire élire à Koulouba. Le scénario du « ôte-toi pour que je m’y mette » a ainsi parfaitement marché. A quel prix ? L’effondrement de tout un pays sur tous les plans…
Ainsi, après avoir goûté aux affres de l’humiliation, de l’injure et de la diffamation, ATT retrouve son pays et n’a pu pleurer à chaude larme il y a quelques jours sur la tombe de sa mère à Bandiagara. Il n’oubliera certainement pas qu’au décès de Maman Molobaly, IBK est bien assis au palais présidentiel du Mali et n’a pu garantir les conditions sécuritaires de son retour pour accompagner sa tendre mère à sa dernière demeure. Un événement qui marque à vie. Et dire que c’est sous ATT à Koulouba qu’IBK a pu occuper le perchoir de l’Hémicycle en tant que deuxième personnalité de la République, de 2002 à 2007.
L’on peut se demander si le repentir actif tardif d’IBK d’autoriser enfin le retour d’ATT au pays comme un cadeau de noël, le 24 décembre 2017 va effacer cette sorte de déception. Cette question se pose dans la mesure où l’on a eu l’impression que le locataire de Koulouba a présenté ce retour au bercail comme étant sa seule initiative. Alors que l’on a observé une série de manifestations réclamant que le soldat de la démocratie regagne le pays comme élément facilitant le processus de réconciliation. Sans omettre que des leaders religieux et des acteurs politiques ont, de façon répétitive plaidé cette cause avant qu’IBK ne semble récupérer la démarche. Ce qui fera dire à Nouhoum Togo du PDES que le retour d’ATT ne doit avoir aucun calcul politique, même s’il en sait gré au chef de l’Etat.
Ce tableau fera certainement que dans les grandes manœuvres pour l’élection présidentielle de 2018, le retour d’ATT ne pourra pas être insignifiant. Car, fort de la popularité qui est la sienne, l’ex-président pourra difficilement s’imposer un certain devoir de neutralité. Même s’il a proclamé haut et fort qu’il ne fera pas de politique, le mentor du PDES sera quasiment bousculé. A moins qu’il se bunkérise et refuse tout accès à sa résidence, comme le fait Alpha Oumar Konaré.
Mais, pour ses proches, ATT ne peut imiter son prédécesseur à Koulouba (dont les rapports avec IBK ne sont pas au beau fixe). S’il est peu probable qu’il soit instrumentalisé par IBK, il n’est pas exclu qu’ATT confie des indiscrétions à certains de ses proches partisans, qui sont aujourd’hui dans l’opposition. Le soldat de la démocratie, qui a poliment refusé de s’afficher à côté du locataire de Koulouba à la biennale culturelle, devrait, murmurent ses proches, caresser secrètement le vœu d’un changement sur la colline du pouvoir. Ce qu’on ne pourra pas lui reprocher.