Revenu de La Mecque, paré de gloire, El Hadj Omar Tall se présente sous les couleurs de la Tidjaniya en Afrique de l’ouest. Il en est le Calife. Originaire du Fouta Toro (Sénégal), il construira sa légitimité, sous la bannière de la guerre sainte en Guinée, au Soudan et au Nigéria. Il y écrira ses lettres de noblesses, telles que chantées encore par les griots.
Il s’attaquera à l’Empire peul du Massina en 1862. Deux ans après, il court à sa perte personnelle et politique à Déguembéré, dans le Pays dogon. Depuis, plusieurs versions, plus ou moins intelligibles circulent sur sa « mort », son « suicide » et même sa « disparition mystérieuse » ! Le récit historique croise la légende. Dans cette publication, nous revenons sur certains de ces récits, ceux qui ont été documentés par des travaux d’historiens.
L’avènement politique d’El Hadj Omar Tall intervient au moment même où l’entreprise coloniale s’implantait dans notre pays. En 1857, le Khasso était un état dont la capitale « Madina » attirait l’attention du fait de sa position stratégique sur un promontoire surplombant le fleuve Sénégal.
Les Français ne s’y trompèrent pas et entreprirent de négocier avec le roi Diouka Sambala pour l’installation d’un comptoir commercial adossé à un fort. L’entente fut acceptée pacifiquement et devait être utile aux deux parties d’autant que le roi pouvait bénéficier d’un subside financier annuel et, aussi et surtout, compter sur la puissance de feu de son nouvel allié pour décourager les hostilités de El Hadj Omar.
L’érection du fort à Médine sur une superficie de 5 ha 66 ca procédait de cette dynamique. Sa construction se fera au pas de charge entre le 15 septembre et le 20 octobre 1855. L’espace a coûté la mirobolante somme de 5. 000 F et des versements annuels estimés à 1. 200 F (cf Louis Faidherbe, « Le Sénégal, la France dans l’Afrique occidentale », Paris 1889, p.230, rapporté par Thierno Moucar Bah in « Les forts français et le contrôle de l’espace dans le Haut-Sénégal-Niger (1855-1898), Publications de la Société française d’histoire des outre-mers, 1981 )
Le conquérant toucouleur a vite compris les enjeux qui se présentaient. Il lui fallait tenter une réhabilitation des frères de Diouka Sambala (qui l’ont rejoint et qui ont été bannis après, eux et leurs descendants de la chefferie du Khasso), et mettre fin à l’hégémonie naissante des Français. Les deux arguments aboutirent à la justification du siège qu’il entreprit autour du fort de Médine, pendant 97 jours. Le siège est une vieille stratégie militaire pour venir à bout de la résistance d’un adversaire coriace, un adversaire qu’il faut affamer d’abord avant de donner l’assaut.
Le 21 avril 1857, il prend l’initiative. Ses combattants se présentent avec des échelles en bambou, convaincus qu’ils étaient invulnérables. Devant les pertes nombreuses, El Hadj Omar se résolut à la tactique du siège (cf Archives nationales du Sénégal, 13 G 88, Médine, Correspondance du commandant de poste au gouverneur, 1856-1864, p.56.)
Sur le coup, entre harcèlements et attaques sporadiques, El Hadj Omar était sur le point de gagner la partie. Avec le recul, on peut juste constater qu’il a manqué de « renseignements », car les assiégés, le commandant Paul Holle et ses hommes, étaient presque à court de munitions quand pointa Faidherbe, le 18 juillet 1857.
Depuis, les Français et El Hadj Omar ne vont plus s’affronter directement. Méthodiquement, Faidherbe installe les bases de la pénétration française au Soudan. Au même moment, El Hadj Omar prend la direction de l’Est. Il occupe Ségou le 10 mars 1861 après un véritable carnage dont le souvenir est encore vivace dans les esprits. Il confie la gestion de la nouvelle place forte à son fils Amadou. Lui-même prend la direction de Hamadallaye, la capitale d’un empire déclaré pourtant « théocratique » ; tenu par le petit-fils de Sékou Amadou, fondateur de la « Dina ». L’empire du Massina est une construction politique cohérente et structurée qui remonte au 18ème siècle. Là aussi, le carnage est quasi intégral, le 16 mars 1862 à Hamadallaye.
Pourquoi s’attaquer au Massina ?
Sur l’affrontement entre El Hadj Omar Tall et Amadou Amadou, la littérature révèle que les deux leaders ont eu des échanges épistolaires suivis. Hamadou Boly (cf « Le soufisme au Mali du XIXème siècle à nos jours : religion, politique et société », Université de Strasbourg, 2013) cite cinq correspondances, à partir d’une source directement puisée dans le livre « Bayān mā waqa‘a » redigé par El Hadj Omar lui-même. Dans cet ouvrage, le conquérant toucouleur posait déjà les jalons de la guerre inéluctable avec le Massina.
Il écrit : « Sache, ô le lecteur équitable – que la miséricorde de Dieu soit sur toi !- que cet Aḥmad b. Aḥmad nous a envoyé cinq lettres. La première est celle qui nous est parvenue à Nioro (….) La seconde est celle qui est arrivée à Sabouciré, la troisième, la quatrième et la cinquième, celles qui nous sont parvenues quand nous étions à Sansandi » (p147).
Hamadou Boly résume les motifs de légitimation de la guerre sainte de El Hadj Omar en trois points :
– le premier était qu’Amadou avait eu tort en accueillant sur son territoire, Bina Ali Diarra, le dernier roi bambara de Ségou. Amadou a tout fait pour convaincre El Hadj Omar de la conversion à l’islam de Bina Ali, rien à faire. Du coup, il mit Amadou et Bina Ali à la même échelle, celle des mécréants ;
– le deuxième était que pour le Calife de la Tidjaniya, Amadou n’avait aucune aptitude intellectuelle pour revendiquer son titre de « Commandeur des croyants ». à la limite, il serait un imposteur ;
– le troisième était que Amadou appliquait avec une grande légèreté la sharia.
Ces trois motifs sont-ils suffisants pour qu’un musulman s’attaque à un autre ? Apparemment non. Mohamed Aliou Thiam, le premier conseiller de El Hadj Omar, son ami et son porte-parole, a littéralement désapprouvé l’action militaire contre le pouvoir théocratique du Massina. Il s’en désolidarisa et retourna tout simplement au Fouta.
En face, Amadou et son grand Conseil de gouvernance, n’ont pas croisé les bras devant la menace de guerre. Après une lecture profonde du droit musulman, ils ont opté pour une position qui était qu’ils n’allaient pas attaquer El Hadj Omar. Si, ils étaient attaqués, ils se défendraient comme ils le feraient contre tout agresseur.
Voilà comment, El Hadj Omar entra à Hamadallaye, la capitale de l’empire théocratique du Massina, le 16 mai 1862. Il y fit exécuter Amadou Amadou et son hôte Bina Ali. Rien n’échappa à la furie des envahisseurs, pas même l’immense bibliothèque. Mais moins de deux ans après, la donne changea. Devant une constellation de combattants hostiles, déjà vaincus mais réorganisés, le stratège est contraint de « se dégager ».
Il envoya chercher du renfort à Bandiagara où régnait son neveu Tidiani. Les choses vont se précipiter contre lui, car une coalition de bambaras, partis de Ségou, de peuls d’une grande partie du Massina et l’armée des talibés de Elbékaye Kounta, depuis Tombouctou, va le confiner à Déguimbéré, dans le Pays dogon.
À suivre
Source : L’ESSOR