Les agriculteurs égyptiens, déjà affaiblis par une économie en ruine, redoutent la construction par l’Ethiopie d’un barrage sur le Nil qui pourrait, en diminuant le niveau du fleuve, les empêcher de cultiver leurs terres et réduire ainsi à néant leurs revenus.
« Nous ne voulons pas de ce barrage », lance Saïd al-Simari depuis sa modeste parcelle de terrain dans le Delta du Nil, fertile région du nord égyptien. « Nous sommes très inquiets pour nos cultures », lâche-t-il à l’AFP.
« Nous voulons cultiver nos terres et pour cela, il nous faut de l’eau. C’est déjà assez difficile avec l’eau que nous avons, alors je ne peux pas imaginer comment nous ferions sans », poursuit-il.
L’Ethiopie a entamé fin mai une déviation du Nil Bleu –qui rejoint le Nil Blanc au Soudan pour former le Nil– en vue de la construction d’un barrage hydro-électrique d’un coût de 3,2 milliards d’euros.
Ce colossal ouvrage, appelé « Grande Renaissance », devrait avoir à terme une capacité de 6.000 mégawatts. Il a déclenché la fureur de l’Egypte qui redoute qu’il ne réduise le débit du fleuve.
Dans ce pays, où les experts dénoncent une pénurie d’eau à cause de la forte croissance de la population, la question est très sensible.
« En moyenne, un Egyptien consomme de 620 à 640 mètres cubes par an. Sachant que le seuil de pauvreté en eau se situe à 1.000 mètres cubes, nous sommes déjà en-dessous », souligne Alaa al-Zawahry, membre d’une commission gouvernementale chargée d’étudier l’impact du barrage éthiopien.
L’Egypte considère que ses « droits historiques » sur le Nil sont garantis par les traités de 1929 et 1959, lui accordant un droit de veto sur tout projet en amont qu’elle jugerait contraire à ses intérêts.
Ces textes sont toutefois contestés par la majorité des autres pays du bassin du Nil, dont l’Ethiopie, qui ont conclu un accord distinct en 2010 leur permettant de réaliser des projets sur le fleuve sans avoir à solliciter l’approbation du Caire.
Une étude d’experts internationaux sur l’impact du barrage a été remise à l’Egypte et au Soudan. Le Caire a rejeté ses conclusions, qui relativisent cet impact, demandant des analyses supplémentaires.
L’Egypte, qui compte près de 85 millions d’habitants, tire du Nil 90% de son eau. Même en conservant les accords actuels, le fleuve ne suffira plus à ses besoins à partir de 2017.
L’eau des puits moins fertile que le limon
« Le niveau d’eau est déjà très bas, cela va causer un énorme problème aux agriculteurs », affirme Chaaban Sayed, qui cultive une parcelle de terre dans le village d’Ezbet Rabia proche du Caire.
Comme d’autres cultivateurs, il redoute de devoir aller puiser son eau dans des puits profonds dont l’eau est bien moins riche en nutriments et en minéraux que le limon du Nil, précieux pour les cultures.
La première phase de « Grande Renaissance » devrait s’achever en 2016 et générer 700 mégawatts. Remplir le barrage éthiopien devrait prendre environ cinq années au cours desquelles la réserve stratégique du barrage égyptien d’Assouan sera réduite drastiquement.
A l’issue des cinq années, « des pénuries d’électricité vont commencer et l’Egypte aura perdu sa réserve stratégique », privant les agriculteurs d’une protection supplémentaire, estime M. Zawahry.
L’Ethiopie, qui espère s’assurer avec ce barrage une source d’énergie vitale, a promis de continuer à dialoguer avec l’Egypte.
Mais pour M. Zawahri, « il y aura toujours un conflit entre l’Ethiopie qui voudra produire plus d’électricité et l’Egypte qui demandera à recevoir l’eau dont elle a besoin ».
Et ce conflit pourrait être avivé si l’Ethiopie décide d’utiliser le barrage pour son agriculture. « A chaque hectare irrigué en Ethiopie, un hectare sera laissé en friche en Egypte », dit-il.
Le Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn a récemment promis de tenir compte des besoins en eau de l’Egypte, une déclaration saluée par Le Caire. Et les ministres égyptien, soudanais et éthiopien de l’Eau doivent se réunir prochainement pour discuter de l’avancée du projet de barrage, ont annoncé les autorités égyptiennes.
Mais les agriculteurs, eux, ne partagent pas cet optimisme diplomatique. « Ce ne sera pas bon pour nos cultures », dit M. Sayed, qui cultive le maïs sur ses deux hectares. « Comment est-ce qu’(un autre pays) pourrait décider de tout contrôler comme ça? ».