Les autorités nigériennes ont dénoncé l’accord de coopération militaire qui liait le pays aux Etats-Unis. Comment justifier cette annonce des autorités nigériennes ? Quels sont les possibles scénarios futurs ? Dr. Mohamed Amara, sociologue et analyste sécuritaire répond à nos questions. Entretien.
Mali Tribune : Comment justifiez-vous le retrait annoncé des forces américaines au Niger ?
Dr. Mohamed Amara : Ce retrait se justifie d’abord par la difficulté des Nigériens et des Américains à s’accorder sur la poursuite de leur coopération après le putsch militaire du général Tchiani, actuel président de la transition nigérienne. Ensuite, l’hypothèse la plus plausible c’est que le Niger lorgne du côté de la Fédération de Russie pour nouer des coopérations militaires comme le Mali et le Burkina-Faso, tous membres de l’Alliance des États du Sahel (AES). En réalité, les Américains sont poussés dehors par les Nigériens au profit des Russes. Dans ce contexte, il y a un climat de méfiance des uns vis-à-vis des autres, un facteur aggravant des tensions actuelles entre Nigériens et Américains dont la conséquence immédiate ne peut être que la rupture des liens de coopération entre eux.
Mali Tribune : Les américains sont-ils dans l’illégalité ?
Dr. M. A. : Evidemment, c’est le narratif utilisé par les autorités de la transition nigérienne pour pousser les Américains dehors. Mais, au fond, il est difficile de travailler à la fois avec les Américains et les Russes, connaissant leurs rivalités. Et je crois dur comme fer qu’il n’y a pas d’illégalité, mais c’est plutôt une façon d’inverser les rapports de force, espérant mettre de leur côté les populations.
Mali Tribune : Les militaires américains vont-ils quitter le Niger ?
Dr. M. A. : Je ne saurais le dire. Je peux juste supposer qu’ils ne seront pas dans les meilleures conditions de travail. Ils finiraient par lâcher prise.
Mali Tribune : Quelles implications en termes de sécurité nationale ?
Dr. M. A. : Rappelez-vous que la Russie s’est installée au Mali et au Burkina Faso après le départ de la France. Il en serait de même pour le Niger. Par exemple, l’AES sera un cadre pour le Niger pour faciliter les éventuels accords de coopération avec la Russie. Un autre élément important dans les futurs liens entre la Russie et le Niger, c’est la dégradation de la situation sécuritaire du Niger : plusieurs soldats sont morts dans une attaque terroriste en mars dernier.
Mali Tribune : Selon vous, quels seront les possibles scénarios futurs en termes de relations diplomatiques entre Niamey et Washington ?
Dr. M.A : Ça serait des relations très difficiles. Les Etats-Unis d’Amérique dans leur Constitution, rejettent les coups d’Etat. Cependant, il y a une donnée importante, c’est le résultat de la future élection présidentielle, prévue en novembre. Si Biden est réélu, il n’y aura pas un grand chamboulement dans les rapports de coopération. Mais si c’est Trump, la donne pourrait changer. N’oublions pas que Donald Trump défend le concept America first, donc une politique beaucoup plus tournée vers les intérêts vitaux américains de manière manifeste.
Mali Tribune : Bien que la Constitution américaine ne cautionne pas des coups d’Etat Washington a nommé une ambassadrice à Niamey. Comment expliquez-vous cela ?
Dr. M. A. : Bien entendu, la politique extérieure américaine actuelle consiste à s’opposer à la pénétration russe dans les régions considérées acquises à l’Occident. Ce qui explique les tentatives de négociations des Américains avec les Nigériens.
Mali Tribune : Quel avenir pour les Américains dans le Sahel après ce retrait ?
Dr. M. A. : Les Américains ont un avenir incertain dans le Sahel, particulièrement dans les pays de l’AES. Les rapports de force s’inversent au profit de la Russie, qui a bien compris les intérêts géopolitiques, l’uranium par exemple, du pays.
Propos recueillis par
Ousmane Mahamane